Née à La Martinique, Euzhan Palcy réalise son premier film pour la télévision antillaise à 17 ans. Elle rejoint ensuite Paris où elle étudie à l'université de la Sorbonne et à l'Ecole de Cinéma Louis Lumière.
En 1983, soutenue par François Truffaut, elle réalise Rue Cases-Nègres, adapté du roman éponyme de Joseph Zobel. Le film est un succès : il est primé 17 fois à l'international. Elle devient la première femme à remporter un César.
Son film suivant,
Une saison blanche et sèche, est lui aussi une adaptation du roman du même nom d'André Brink. Elle y aborde la politique de l'apartheid en Afrique du Sud alors qu'elle a toujours cours dans le pays. Ce film fait d'Euzhan Palcy la première femme noire réalisatrice à être produite par Hollywood.
Euzhan Palcy aux Oscars, aussi
Après le mouvement
#Oscarsowhite, l'académie américaine du cinéma a procédé à un renouvellement de ses membres pour y faire rentrer plus de femmes et plus de minorités. Parmi les 683 nominations, Euhzan Palcy, la réalisatrice martiniquaise a répondu favorablement à cette invitation.
Le 19 novembre 2022, aux côtés d'autres personnalités du monde du cinéma, dont l'acteur Michael J.Fox, Euzhan Palcy a reçu un Oscar d'honneur pour l'ensemble de son oeuvre : "Euzhan Palcy est une pionnière dont l'importance considérable dans le cinéma international est ancrée dans l'histoire du 7e art", salue le président de l'Académie des Oscars, David Rubin. "En m'honorant ainsi avec cet Oscar d'honneur, @TheAcademy honore toute la diaspora, les femmes cinéastes, la diversité! J'en suis très fière", répond la cinéaste sur twitter.
Celle qui reste largement inconnue du public français, alors que le cinéma international rend un hommage unanime à son talent, a livré un vibrant discours en recevant sa récompense :
Son cinéma, son engagement
Tout au long de sa carrière, la réalisatrice s'est engagée en faveur des minorités et des droits civiques. Reconnue dans le monde entier, Euzhan Palcy vit son cinéma comme une forme d'engagement.
Terriennes : est-ce difficile d’être une femme noire dans le milieu du cinéma ?Euzhan Palcy : Je ne me suis jamais posé de question concernant ma couleur ou mon sexe en faisant ce métier parce que quand j’ai décidé de le faire, je devais avoir entre 10 et 12 ans. C’est en arrivant à Paris pour étudier à la Sorbonne, avec mes rêves et mes désirs, que j’ai pris conscience que je suis une femme et noire. Ce sont des choses qu’on me présentait comme une sorte de handicap : « une nana qui veut faire du cinéma, c’est pas possible ». Il y avait une mainmise extraordinaire, c’était un métier d’homme et quand une jeune femme osait dire "voilà je réalise un film", on la décourageait.
Je pense que j’ai eu la chance d’avoir une famille qui m’a donné les outils et les armes nécessaires pour pouvoir lutter contre ça et m’aider à considérer ces choses-là non pas comme des handicaps mais comme des atouts. Et c’est ce que j’ai essayé de faire.
Je disais : « Ok je suis une femme, et alors ? C’est très bien et pour rien au monde je changerais de sexe. Je suis noire ? Parfait, vous êtes jaloux ?" Je répondais toujours par des boutades mais en même temps je disais ce que je pensais.
A-t-on essayé de vous mettre des bâtons dans les roues ?On ne vous prend pas au sérieux déjà quand vous êtes femme, sans même parler de couleur de peau. Ce sont surtout à mon sens les sujets que je proposais de porter à l’écran qui dérangeaient certains.
Quel genre de sujets ?Tout ce qui touche au racisme, au sexisme, à l’exclusion.
Ce septième art que j’aimais tant, que je chérissais tant, et qui m’émerveillait tant, me blessait en même temps. Il me renvoyait à moi, femme noire, négresse de Martinique comme j’ai pour habitude de dire, une image très dévalorisante.
Euzhan Palcy
Vous avez fait de ces sujets votre cheval de bataille ?Pas vraiment, non. Je suis une cinéaste qui aime l’humain. J’estime que nous, cinéastes, nous avons des devoirs. Nous distrayons les gens mais notre rôle est aussi de les informer, de les éduquer. Nous sommes des pédagogues quelque part. C’est pour cela que mon cinéma est partout où il y a des êtres humains.
La chose qui m’a poussée à devenir cinéaste, c’est simplement le constat que ce septième art que j’aimais tant, que je chérissais tant, et qui m’émerveillait tant, me blessait en même temps. Il me renvoyait à moi, femme noire, négresse de Martinique comme j’ai pour habitude de dire, une image très dévalorisante.
Quand il y’avait des rôles de Noirs dans les films, c’étaient toujours des rôles très dégradants, jamais des choses valorisantes, sympathiques. Dans ces films, le Noir est dénué d’intelligence, bête, moche. Il était de mon devoir en tant que cinéaste de m’attaquer à cela en priorité. Ce qui ne veut pas dire que je déteste les autres ou que j’écarte les autres, pas du tout, au contraire ! Mon cinéma est à l’image des gens que je fréquente, de mon entourage, du monde dans lequel je vis. Ce que je veux, c’est qu’il y ait des Noirs dans des rôles principaux.
Est-ce que ça a changé aujourd’hui ?Ça continue et je dirais que c’est même pire parce qu’on ne donne plus de rôles aux Noirs. Heureusement qu’il y a des jeunes hommes et femmes noir.e.s qui ont un sens de la dignité, de l’éthique et qui ont une conscience de ce qu’ils sont et d’où ils viennent. Ils savent qu’ils ont beaucoup de choses à dire et à offrir et refusent les rôles dégradants qu’on leur propose.
Le cinéma est une arme très puissante pour détruire ou pour au contraire anoblir, émanciper, permettre d’évoluer et de découvrir des choses. C’est ce cinéma qui m’intéresse.
Est-ce que vous avez l’impression que c’est aussi le cas pour d’autres minorités ?Oui. La France a cette chance extraordinaire d’avoir des minorités intéressantes qui ont beaucoup de belles choses à offrir mais je pense qu’elle n’est pas assez généreuse et honnête pour le reconnaître et se dire « tiens, c’est pas mal, c’est bien, ça nous enrichit ». La France a la chance d’avoir une belle et riche diversité. Je pense qu'elle est aveugle et a un comportement très moyenâgeux. On a l’impression qu’elle va à reculons et qu’elle considère cette richesse comme une ennemie, comme si nous qui faisons partie de cette diversité étions des ennemi.e.s de celles et ceux qui ne sont pas issu.e.s de cette diversité. C’est terrible et c’est un mauvais jugement.
Récemment, des actrices du FESPACO ont dénoncé leur agresseur, un réalisateur. Avant, le mouvement #MeToo est parti de témoignages d'actrices hollywoodiennes. Les agressions sexuelles sont fréquentes dans l'industrie du cinéma ? Je n’étais pas au FESPACO mais j’ai suivi ce qu’il s’est passé. Personnellement, je n’ai jamais dans ma carrière été agressée par qui que ce soit. Mais c’est parce que probablement je suis dans une position de pouvoir puisque je suis réalisatrice. C’est arrivé une seule fois au tout début de ma carrière. Je partageais une villa avec l’un de mes producteurs en Martinique où nous étions partis faire des repérages pour un film. Un soir, de but en blanc, il m’a proposé d’avoir une relation sexuelle avec lui. J’étais choquée parce que ça ne m’était jamais arrivé avant. J’ai décliné avec humour mais il a insisté. J’ai alors réagi plus fermement. Ensuite, j’ai toujours fait très attention à ne jamais me retrouver seule avec lui.
Comment changer les rapports de force ?Aujourd’hui les femmes parlent, dénoncent, ce qu’elles ne faisaient pas avant parce qu’elles avaient honte et n’osaient pas, de peur d’être sanctionnées. Il faut que les femmes dans leurs métiers soient très bien formées pour leur donner de l’assurance. Il faut qu’il y ait davantage de femmes, partout, à tous les postes et surtout à des postes à responsabilités. Ça peut contribuer énormément à changer la donne.
Ici la bande-annonce de l'édition 2019 du festival international de film de femmes de Créteil: