Tantôt sexualisé, tantôt caché, souvent inaccessible. Jusqu'au 17 novembre au Musée Bourdelle à Paris, le Palais Galliera expose et explore les différentes facettes de la plus grande partie de notre corps : le dos. Comment la mode en-a-t-il fait pour les femmes un symbole d'émancipation mais aussi de contrainte ? Visite guidée avec Terriennes.
C'est sans doute l'une des scènes les plus cultes du cinéma français. Mireille Darc qui susurre à l'oreille du Grand Blond,
"c'est si agréable un peu d'intimité de temps en temps", avant de se retourner pour arpenter la pièce, d'une démarche chaloupée. Une Mireille Darc qui dans sa robe noire, au profond décolleté dans le dos, laisse derrière elle un Pierre Richard ému. Yves Robert avait même fait changer le scénario du
Grand Blond avec une chaussure noire (1972), pour en faire une scène entière.
C'est justement cette robe, conçue par le couturier Guy Laroche, qui ouvre le bal dans l'exposition
Dos à la mode/Back Side au musée Bourdelle à Paris.
Le commissaire, Alexandre Samson, a voulu explorer toutes les facettes du dos dans la manière dont les couturiers se sont emparés de cette zone charnière du corps des femmes. Comme le feuillet de l'expo l'indique :
"Le dos rappelle à l'homme ses propres limites : il se dérobe à la vue et en partie au toucher. Cependant, la mode ne cesse de l'orner, de le charger ou de le dénuder". Alors
pourquoi cette partie de notre corps fascine-t-elle autant ?
Le dos féminin mis à nu
Ici, la question se pose essentiellement autour du dos des femmes, et des tenues qui l'ont soit caché soit mis en avant...
Interrogé à ce sujet sur France Inter le 8 août dernier, Alexandre Samson en a conscience :
"La manière dont les hommes abordent leur dos est le parent pauvre de l'exposition". Les raisons sont simples.
"L'homme est indépendant par nature, historiquement, socialement, et donc forcément il ne joue pas avec son corps comme un outil de séduction", analyse le commissaire. Nul besoin donc, comme pour un vêtement de femme, d'y mettre une fermeture ou de le dénuder.
Le dos nu révèle un véritable processus de libération du corps féminin.Alexandre Samson
Au fil de l'exposition, une dichotomie apparaît : le dos de la femme a tantôt été perçu - à travers l'habit - comme la garantie d'une libération sexuelle, tantôt comme une contrainte, un espace du corps à apprivoiser.
"Le dos nu révèle un véritable processus de libération du corps féminin. A partir de la première guerre mondiale, les canons de beauté changent, le bronzage devient à la mode et les femmes dévoilent de plus en plus leur corps, explique Alexandre Samson.
Et c'est à travers la prise de possession de leur propre corps, en le montrant, que les femmes atteignent cette indépendance". Une salle entière incarne ces propos, en exposant une multitude de robes dos nu. Ici, toute la dimension "haute couture" de l'exposition prend son sens. Les couturiers abordent cette thématique dans le travail du tissu, des formes, du découpage. Yves Saint Laurent, Helmut Lang, Givenchy... Tous dénudent, à leur manière, le dos des femmes.
"En dévoilant l'une des parties les plus vulnérables de son corps,
elle tisse un jeu psychologique subtil entre son dos dénudé et le regardeur invisible à ses yeux", peut-on lire sur le mur, à propos de la séduction dont joueraient la femme lorsqu'elle laisse apparaître son dos aux yeux d'autrui.
Mais la force du dos de la femme ne se limite pas qu'au simple jeu de séduction et ne reste pas étalonnée par le regard masculin. Une pièce de Rick Owens, un créateur de mode américain, le montre bien : une robe noire avec, en guise de sac-à-dos, un sweatshirt à capuche. Un vêtement conceptuel qui forme en réalité deux habits en un. Cette robe, "Ensemble suspendu", est issue de la collection "Cyclops" (printemps-été 2016). Lors du lancement de la collection, les mannequins défilaient en portant d'autres femmes sur leurs dos ou sur le devant, grâce à des harnais. L'objectif : rendre hommage, grâce à cette allégorie, à la force des femmes et leur soutien mutuel.
Traîne et champ de pouvoir...
L'exposition éclaire aussi le visiteur sur la symbolique derrière les longues traînes des robes portées par les femmes de l'élite d'autrefois. Le sillage que celles-ci créaient dans la cour royale permettait de délimiter leur espace, affirmant ainsi leur champ de pouvoir...
Mais il y a aussi le revers de la médaille : le dos emprisonné comme métaphore de la femme dominée, ou en tout cas, contrainte. Depuis la fin du XVe siècle, dans les sociétés occidentales, lacets, rubans, crochets et boutons sont autant de fermetures réservées à la gent féminine. Les corsets qui s'attachent par derrière, coupant littéralement le souffle, obligeant les femmes à recourir à une aide extérieure pour se vêtir.
Le caractère contraignant du dos par le vêtement se cristallise dans cette création de Jean-Paul Gaultier, exposée au milieu de corsets et camisoles utilisés dans les hôpitaux psychiatriques. Une combinaison de couleur marron, fermée par un lacet de 8,58 mètres de long, passé à travers 166 oeillets. Même si le créateur a eu à coeur de détourner les corsets de leur fonction initiale dans son art,
comme l'explique Alexandre Samson à France culture, le 29 juillet :
"Il l'utilise au tout début des années 1980, de manière décorative et sans vocation structurelle". Ici, le laçage
"dessine une nouvelle colonne vertébrale". Signe d'une emprise sur le corps, et le dos, de la femme.
Même les robes considérées comme attractives peuvent avoir un côté contraignant. La fermeture éclair constitue un bon exemple : comme pour le port du corset, une aide extérieure est parfois nécessaire. L'acte de remonter la fermeture éclair peut aussi évoquer une volonté de cacher, de protéger cette partie vulnérable.
Autant d'éléments qui, finalement, montrent que le rapport au dos est éminemment genré.
"Il y a une différence d'appréciation entre l'homme et la femme dans son dos tout simplement parce que l'homme ne peut pas se permettre de jouer avec une partie qu'il ne contrôle pas", explique le commissaire. Dans l'histoire de la mode, on voit rarement de dos nu masculin. Et lorsqu'il est représenté, il est considéré comme homoérotique. Comme si, montrer sa vulnérabilité, était avant tout un attrait féminin, et n'aurait lieu d'être chez les hommes, jusque dans la manière de se vêtir.
Backside/Dos à la mode, au Musée Bourdelle, jusqu'au 17 novembre. De 8 € à 10 €.