« Dis-moi ce que tu portais et je te dirai pourquoi tu as été violée » … Voilà sans nul doute ce qui se cache derrière cette sempiternelle question, entendue et répétée maintes fois, dans les postes de police, dans les tribunaux ou dans l'entourage des victimes et qui a fait, et fait encore tellement de dégâts.
Et c'est justement ce que démonte pièces par pièces, bout de tissus après bout de tissus cette exposition
What were you wearing ?, organisée en janvier 2018 au Centre Communautaire Maritime de Molenbeek, à Bruxelles.
L'idée de cette exposition est née au printemps 2013 aux Etats-Unis, dans le sillage de chiffres alarmants et sans cesse en hausse du nombre de viols perpetrés sur les campus. A l'origine, deux femmes :
Jen Brockman, directrice du Centre de prévention et d’éducation contre les agressions sexuelles de l’Université du Kansas, et
Dr. Mary Wyandt-Hieber. Un projet tout droit inspiré du poème du Dr. Marys Simmerling,
What I Was Wearing. Un tee-shirt blanc, un jean, des baskets blanches, comme celles que l'on porte pour une partie de tennis. Voilà ce que je portais, ce 4 juillet 1987. Vous vous demandez pourquoi je me souviens d'autant de détails? Parce qu'on m'a posé la question maintes et maintes fois. (...) Voilà ce que je portais cette nuit où je fus violée . (...) Je me souviens aussi de ce qu'il portait lui, mais on ne m'a jamais posé la question.
'What I was wearing', Marys Simmerling
Et c'est justement les étudiant.e.s que l'on a interrogé.es. Plusieurs centres d’aide aux victimes de viol, installés dans les universités du Midwest ont lancé des campagnes et des appels à témoignages, par voie d'affichage ou par le biais des réseaux sociaux.
Sur la base des descriptions faites par les victimes qui ont accepté de témoigner, les étudiants et enseignants ont fait don de certains vêtements pour reconstituer les tenues. Les deux initiatrices de cette installation ont finalement selectionné 18 tenues de 18 survivantes d’agressions sexuelles.
La banalité des vêtements de tous les jours
Au premier regard, l'évidence saute aux yeux. La banalité. Le côté passe-partout de ces tenues. Des vêtements de tous les jours, que chacune d’entre-nous possède, ou a pu posséder, dans son armoire. Un simple tee-shirt, un jean, un pyjama, un pantalon noir, un maillot de bain, une robe de petite fille à rayures roses ...
Et c’est bien le but de cette installation : interpeller et provoquer par la banalité.
« Nous souhaitons que les gens puissent s’identifier à travers cette exposition, ses tenues et ses descriptions », explique Jen Brockman.
Le but est d'arriver à ce qu'ils se disent : "Eh ! J'ai la même tenue dans mon placard" ou "J'étais habillée comme ça cette semaine".
Jen Brockman
"Les visiteurs peuvent se mettre à la place de l'autre, aussi bien devant les tenues que devant les récits. Le but est d'arriver à ce qu'ils se disent : "Eh ! J'ai la même tenue dans mon placard" ou "J'étais habillée comme ça cette semaine". Nous tentons ainsi de supprimer la croyance selon laquelle il suffit d'éviter de porter certaines tenues pour être sûre de n'avoir aucun problème, ou que l'on peut faire disparaître les violences sexuelles en changeant la manière de s'habiller", a-t-elle précisé au
Huffpost. L’exposition a déjà été présentée dans d’autres universités, comme celle de l’Arkansas et de l’Iowa.
[L'exposition Que portais-tu ? s'attaque aux mythes selon lesquels les vêtements que l'on porte peuvent provoquer un viol]Ces vêtements ne sont pas exposés, ou jetés en pature aux visiteurs sans accompagnement. A côté de chaque pièce, une légende explique son origine, avec parfois quelques phrases de la victime.
« Des mois après mon agression, ma mère se tenait devant mon dressing et se plaignait du fait que je ne voulais plus porter de robes. J’avais six ans.», lit-on sur l’un des écriteaux aux côtés d’une salopette de fillette.
[Cette exposition prouve que blamer les victimes c'est de la connerie. ] Démonter les préjugés sur une "tenue" de viol
Identification, prise de conscience du public, mais aussi outil de résilience pour les victimes, en premier lieu, celles qui ont accepté de témoigner et les autres, celles qui viennent à cette exposition. Avec pour certaines d'entre elles, un effet positif, comme l’explique la directrice du projet :
« Nous avons reçu plusieurs ‘survivantes’ qui ont vu l’installation et qui ont eu la confirmation que ce qu’ils portaient le jour de l’agression était une tenue normale, et que ce n’était pas de leur faute ».Car cette idée recue selon laquelle la tenue vestimentaire de la victime d'un viol serait un élément à décharge pour l'agresseur, et par conséquent à charge pour l'agressé.e semble toujours aujourd'hui terriblement ancrée dans les mentalités. Pour preuve, cette enquête réalisée il y a juste 2 ans en France par l'association Mémoire Traumatique et Victimologie, selon laquelle 27% des personnes interrogées estimaient l'auteur d'un viol moins responsable si la victime portait une tenue sexy.
En Belgique, selon une enquête réalisée par la Commission européenne en 2014, 1 personne sur 5 estime que le viol est justifiable "
sous influence de la boisson ou de la drogue" et 16% estiment que le viol n'est pas problématique si la victime est vêtue de façon aguichante.
« L'exposition met en évidence qu'une agression sexuelle ne survient jamais à cause de ce qu'une personne porte, mais bien parce qu'une personne en attaque une autre. Les tenues exposées sont banales, basiques et rappellent qu'aucun vêtement ne protège d'une agression sexuelle ni ne la suscite. La violence de la question 'que portais-tu ce jour-là ?' posée aux victimes de ce type d'agression, les rend responsables de qu'elles ont subi et amoindrit la responsabilité de l'agresseur », explique sur
7sur7.be, la responsable projets du service Prévention de la commune de Molenbeek-Saint-Jean, Delphine Goossens.
"L'idée de l'expo est de casser les préjugés" explique l'échevine de la Cohésion sociale Sarah Turine sur le site de la RTBF. "Avec cette question fréquente sur les vêtements portés, finalement on repousse la responsabilité sur la personne qui est victime. Et cette victime peut du coup se sentir honteuse et ne pas porter plainte. Les chiffres montrent que plus de 90% des femmes victimes de viol ne témoignent pas. Et tant qu'on en est là, on n'améliorera pas la situation, on risque de maintenir une situation où un viol est banalisé."
Comme le rappellait Marlène Schiappa, la secrétaire d'Etat pour l'Egalité femmes-hommes en France, sur Twitter :
«Le viol est toujours le choix, la responsabilité, la faute du violeur. Jamais, dans aucun cas, la faute, la responsabilité de la victime».