En France, une page Facebook rend compte, jour après jour, de la mort de femmes, sous les coups d'un compagnon ou ex-conjoint. A Paris, le collectif des "Colleuses" a érigé un mémorial au nom des victimes, plus d'une centaine par an. En Amérique latine, le mouvement "Ni una menos" (Pas une de plus) descend dans la rue à chaque nouvelle disparition ou assassinat. En Amérique du nord, les communautés des Premières nations recensent les disparitions de femmes autochtones.
►Un mémorial parisien pour rendre hommage aux victimes de féminicides
►#Justiciaparatodas, #Niunamenos : colère et indignation au Mexique après deux féminicides, de plus ...
Féminicides, mortes parce que femmes
Au cours de cette dernière décennie, impossible de ne pas connaitre le sens du terme féminicide, tant il fait les titres de l'actualité. Quelles en sont les origines ? Les causes ? Nous avons posé ces questions à Francine Descarries, sociologue, professeure de sociologie à l'Université du Québec à Montréal, figure de proue des études féministes au Québec.2011 2021 : cette année, #Terriennes fête ses ans
— TERRIENNES (@TERRIENNESTV5) December 27, 2021
L'occasion de revenir sur mots qui ont marqué la décennie.
La sociologue québécoise Francine Descarries revient sur l'emploi du terme "féminicide". pic.twitter.com/0VjrxYljxJ
Francine Descarries : Le mot féminicide désigne le meurtre ou les meurtres de femmes parce qu’elles sont des femmes. C’est un assassinat qui résulte, on peut le penser, de la misogynie, de la haine des femmes. C’est aussi lié au fait que les hommes, car il y a plusieurs types de féminicides, pensent avoir le droit de propriété sur les femmes.
Francine Descarries, sociologue et professeure à l'UQAM
Le 6 décembre 1989, 14 femmes perdaient la vie à l’école #Polytechnique à #Montréal, victimes de la folie et de la violence misogynes. 32 ans plus tard, cette haine indicible sévit toujours, dans le monde entier. Mettons fin à la #ViolenceFondeeSurLeGenre maintenant. #16jours pic.twitter.com/HL5RluopG8
— Amy Baker (@AmyBakerCAN) December 6, 2021
32 years. I'm 47 and remember these women and the tragedy like it was yesterday. #PolytechniqueMontréal pic.twitter.com/VmnzqOmHj1
— Yvonne Fully Vaxxed & Masked (@YvonneYYZ) December 7, 2021
►Québec : la tuerie de Polytechnique, 30 ans plus tard
►Le Québec toujours sous le coup de la tuerie masculiniste de Polytechnique du 6 décembre 1989
Le mot féminicide fait passer du fait divers au fait social. Il rend public ce qui a toujours été considéré comme de l'intime. Il rend politique ce qui a toujours été considéré comme du privé. Reconnaître le féminicide, c'est reconnaître qu'il y a, dans notre société, des assassinats qui sont commis au seul motif que les femmes sont des femmes. En nommant cet assassinat, en lui donnant un nom précis, on reconnaît l'existence d'un phénomène construit dans un système patriarcal, on lui donne une réalité et on amène une prise de conscience.
Francine Descarries
Il y a une connotation politique très large au féminicide, comme il y a une connotation sociale très marquée dans nos sociétés où des femmes n'ont pas le droit d'exister parce qu'elles sont femmes ou, pire encore, parce qu'elles sont femmes et minorisées, femmes et racisées ou parce qu'elles sont femmes autochtones.

Le seul fait que cette violence soit nommée est déjà une avancée importante. Cela fait prendre conscience à nos sociétés qu'il y a un phénomène de violence à l'égard des femmes, dont le féminicide est le point culminant. C'est reconnaître les crimes qui sont commis à l'égard des femmes parce qu'elles sont des femmes. Dès lors, la société peut commencer à corriger cette situation et amener certaines transformations.
Surtout, je pense que le fait de nommer le féminicide, notamment à travers les médias de masse, amène les femmes à prendre conscience qu'elles sont encore en tensions, qu'elles sont encore dans des rapports de conflit et qu'il est possible que la situation qu'elles vivent soit partagée par d'autres femmes.
Mes espoirs sont les mêmes depuis cinquante ans dans la lutte pour l'égalité : que la société, tranquillement, avance. Le principe de la violence conjugale est maintenant reconnu, c'est-à-dire qu'on n'accepte plus la violence conjugale. Je souligne que nos institutions, jusque dans les années 1970, reconnaissaient dans une certaine mesure cette violence en donnant aux hommes l'autorité sur les femmes - et qui dit autorité dit souvent violence. Nous sommes une société en marche, qui n'a pas encore réalisé tous ses objectifs en matière d'égalité et d'équité, mais nous somme une société qui, parce qu'elle reconnaît qu'il y a un problème et que ce problème est une injustice sociale profonde, est peut-être en mesure de le corriger.
Francine Descarries
L'égalité, ça n'existe pas dans la nature, c'est un projet politique, c'est une chose pour laquelle il faut se battre, mais j'ai bon espoir qu'on y arrivera. Il faut être très patient et surtout ne tolérer aucune manifestation de violence à l'égard des femmes, quelle qu'elle soit. Le féminicide en est le point culminant, mais il y a toute une démarche qui y mène. Et c'est la non-acceptation de ces gester, de ces pratiques, de ces discours qui va finir par porter ses fruits.

Spécialiste de l'histoire du mouvement des femmes, des discours féministes contemporains et des rapports maternité-famille-travail, Francine Descarries s'est intéressée également aux représentations et à la construction sociale du féminin et du masculin ainsi qu’au rôle et à la place des femmes dans divers secteurs professionnels.
La professeure a mis sur pied le premier cours de sociologie de la condition féminine, dispensé à l’Université de Montréal en 1978. Elle a fait œuvre de pionnière en faisant paraître, en 1988, Le mouvement des femmes et ses courants de pensée: essai de typologie, une référence incontournable pour l'enseignement et la recherche féministe universitaire.
Francine Descarries a reçu, en 2019, le prix du Québec Marie-Andrée-Bertrand, l'une des plus hautes distinctions attribuées par le gouvernement du Québec, elle a aussi obtenu le prix Ursula-Franklin pour l’étude du genre de la Société royale du Canada, en 2012, et le Prix d’excellence en recherche et création, volet Carrière, de l’Université du Québec, en 2011.Retrouvez dans Terriennes notre dossier spécial anniversaire 10 ans :
►TERRIENNES : DIX ANS D'ENGAGEMENT ET D'INFORMATION
Deux autres dossiers :
►VIOLENCES FAITES AUX FEMMES : FÉMINICIDES, COUPS, VIOLS ET AUTRES AGRESSIONS SEXUELLES
►LE MASCULINISME, CETTE HAINE MEURTRIÈRE DES MÂLES CONTRE LES FEMMES
Et nos articles :
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►"Féminicides" : le documentaire qui démonte les mécanismes du crime
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