Fil d'Ariane
Li Furui est une femme discrète. Elle a 28 ans, vient de la province de Heilongjiang et est titulaire une licence en Chinois et en littérature. Elle nous accueille à pas feutrés dans les locaux de Feminist Voices, dans de délicats chaussons en forme de chat. Depuis le 23ème étage de l’imposante tour de Chaoyang district, cette jeune militante consacre sa vie à la lutte pour l’égalité des genres, principalement armée de son ordinateur. Mais pas seulement. Si nous sommes loin de l’ambiance électrique des Pussy Riot, les risques encourus ne sont pas moindres et la surveillance demeure étroite. La dernière « visite surprise » de la police dans leurs locaux remonte à décembre 2016.
Nous voulons inciter les femmes à s’affranchir des pressions pour décider elles-mêmes de leur destin
Li Furui, Feminist Voices
Terriennes : Vous avez récemment eu des problèmes. Pouvez-vous nous raconter ?
Li Furui : Le 20 février 2017, nous avons reçu un message nous informant de l’interdiction de publier sur notre compte Weibo pendant 30 jours. Juste avant, on avait posté des informations sur la grève organisée par des femmes qui luttent pour leurs droits aux Etats-Unis. Nous pensons que c’est ça qui a déplu.
Terriennes : Pourquoi ?
Li Furui : Il faut comprendre le contexte chinois. En mars 2017, il y a eu deux sommets politiques très importants. Ca a rendu le gouvernement plus strict. Il ne veut pas qu’il y ait des actions, que les gens s’expriment ouvertement. Ça ne concerne pas que les droits des femmes, mais tous les droits en général. Officiellement il n’y a pas de loi interdisant d’organiser une marche ou de s’exprimer publiquement, mais tout le monde sait que ce n’est pas possible. C’est comme une loi tacite. Si vous le faites, le gouvernement invoquera une autre loi pour vous en empêcher, d’autres raisons.
Terriennes : Cette affaire de fermeture de votre compte Weibo a été reprise dans le monde entier, y compris par le NY Times, comment l’expliquez-vous ?
Li Furui : Nous connaissons des journalistes, des grands-reporters, des avocats, nous sommes de nombreux groupes à tisser des liens et à nous organiser, via les réseaux sociaux. C’est comme ça que nous diffusons notre message et que nous travaillons.
Terriennes : Qu’est-ce qui motive votre combat ?
Les politiques publiques ne vont pas en faveur des droits des femmes, qui se détériorent. Ce qui est problématique, c’est que les mentalités restent souvent traditionnelles, avec la pression du mariage par la société, par les amis, par tout le monde. Mais c’est en train de changer et il faut composer avec ça. Des pensées réactionnaires d’un côté, et des jeunes qui sont de plus en plus conscients des changements à mener de l’autre.
Terriennes : Quels sont vos objectifs ?
Li Furui : On ne veut plus de cette hypocrisie : personne ne s’oppose officiellement à l’égalité des sexes mais dans les faits, les femmes doivent répondre à des exigences comme s’occuper de la maison, se marier, être à l’écoute… Hier elles ne pouvaient avoir qu’un seul enfant et maintenant, avec la fin de la politique de l’enfant unique, elles auront la pression pour en faire deux. Avec des conséquences sur leur carrière. Il faut aussi parler des violences domestiques et du harcèlement sexuel, c’est un gros problème qui est souvent ignoré.
Terriennes : La loi de mars 2015, qui condamne les violences domestiques, représente-t-elle un pas en avant ?
Li Furui : Oui, elle est le fruit de plus de 10 ans de lutte et de travail des ONG. Cela nous a tous rendus très heureux. Il y a des améliorations mais les effets ne sont pas vraiment immédiats. Il y a encore beaucoup de chemin à faire.
(Sur ce sujet voir notre article : > La Chine adopte une loi contre les violences conjugales)
Terriennes : Concrètement, quelles sont vos actions ?
D’abord, on diffuse des informations sur les réseaux sociaux, Weibo et WeChat. Je rédige aussi des contenus, des articles que je diffuse de la même manière. Je dispense aussi des formations dans les lycées. On veut que les jeunes créent leurs propres groupes de réflexion. On parle des violences domestiques, du harcèlement sexuel, des discriminations au travail ou encore des mariages forcés. C’est plutôt basique. Mais en 2012, nous avons réalisé et diffusé une vingtaine de photos de nus. À l’époque c’était passé, même si les réactions des internautes n’étaient pas toujours très positives. Ces temps-ci, l’atmosphère est plus stricte, ça ne passerait pas.
Terriennes : Le gouvernement s’oppose-t-il aux formations que vous dispensez ?
Li Furui : Il ne s’oppose pas à ce que la population soit informée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Les marches et les grèves, les critiques envers le gouvernement, tout ce qui est public, c’est ça qu’il ne faut pas faire. Ces conditions de travail ne sont pas faciles, mais nous les acceptons et nous faisons ce que nous pouvons compte tenu du contexte. Nous ne sommes pas les Pussy Riot, nous n’avons pas les mêmes marges de manœuvre. À Feminist Voices, on relaie un message où on incite les femmes à s’affranchir des pressions pour décider elles-mêmes de leur destin. Ce qui explique que les ONG soient vues d’un mauvais œil par les plus hautes sphères.
Nous savons que notre combat nous expose et nous fait prendre ce genre de risques, mais c’est plus important de continuer que d’avoir peur
Li Furui
Terriennes : Que peut-il vous arriver ?
Li Furui : En 2015, cinq militantes d’une ONG féministe, les « Feminist Five », se sont fait arrêter, alors qu’elles s’apprêtaient à distribuer des tracts contre le harcèlement sexuel. Elles ont passé cinq semaines en prison. Le gouvernement n’a pas retenu comme raison de leur arrestation qu’elles luttaient contre le sexisme. Elles voulaient distribuer des tracts dans la rue, c’est juste ça le problème. Depuis 2014, le gouvernement regarde de plus près toutes les ONG. Ces 5 féministes sont nos amies. Nous nous connaissons tous. Pendant leur incarcération, elles ont été interrogées sans relâche.
Terriennes : Dans ce contexte, vous arrive-t-il d’avoir peur ?
Li Furui : Nous savons que notre combat nous expose et nous fait prendre ce genre de risques, mais c’est plus important de continuer que d’avoir peur.
Terriennes : Est-ce difficile d’être féministe en Chine ?
Li Furui : En chinois, le mot « féministe » n’est pas très flatteur. Pour moi, ça ne pose pas trop de problème, mon mari est féministe aussi. Mais je pense que ce n’est pas qu’en Chine. Ailleurs dans le monde aussi quand une femme se bat pour des droits, cela n’aide pas forcément à trouver un mari. En tous cas la question du mariage est très centrale en Chine.
Terriennes : Pensez-vous qu’un jour on puisse vous appeler « les Pussy Riot Chinoises » ?
Li Furui : Je l’espère ! Même si les choses évoluent lentement, nous ne perdons pas espoir, au contraire.
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