A 32 ans, Fara Djiba Kamano est l’un des rares hommes d’Afrique à militer publiquement pour l’abandon de l’excision. Originaire de Guinée, deuxième pays au monde où l’on pratique le plus l’excision, il a été accueilli à Paris, le 6 février dernier, par l’ONG Plan International à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre les mutilations génitales féminines. Il nous explique pourquoi les hommes doivent prendre part à la mobilisation.
Des figures masculines investies dans la lutte contre l’excision, on en connaît peu. Hormis le gynécologue congolais et militant des droits humains,
Denis Mukwedge, qu’on surnomme désormais « l’homme qui répare les femmes », difficile d’égrener d’autres noms. Il n’est pourtant pas le seul courageux. Fara Djiba Kamano, est de ceux-là. Il a 32 ans, est papa de deux petites filles et vit en Guinée. L’un des pays d’Afrique où l’on pratique le plus au monde l’excision. En effet, 97 % de femmes, âgées de 15 à 49 ans, ont subi une excision par ablation partielle ou totale du clitoris. La Guinée se place donc en deuxième position, juste après la Somalie où le taux de prévalence de cette pratique atteint 98 %, comme le révèle une infographie réalisée par
RFI en 2017.
Un engagement qui peut coûter la vie
S’engager dans cette lutte lorsque l’on est un homme, n’est pas du tout commun. Si Fara Djiba Kamano a choisi ce combat singulier, c’est grâce à sa mère. Victime d'une excision qui lui a causé « des difficultés », elle est devenue une fervente activiste dans son pays, jusqu’à éveiller la conscience de son jeune garçon. «
C’est comme ça que je me suis intéressé à ce sujet, raconte Fara Djiba Kamano, devenu lui même président exécutif de l’
ONG d’Accompagnement des Forces d’Actions Sociocommunautaires, qui agit notamment en faveur des droits des femmes et des enfants de Guinée.
Ma mère m’a fait comprendre que l’excision est une mauvaise chose, que cette pratique entraîne de graves conséquences pour les femmes et qu’il était urgent d’y mettre fin.»
Tu risques ta vie dans certaines communautés.Fara Djiba Kamano, président de l'ONG AFASCO
Un engagement loin d’être bien accueilli dans sa communauté et qui peut lui coûter la vie. Comme dans beaucoup de pays d’Afrique où l’on pratique les mutilations génitales, mais aussi en Indonésie, en Malaisie, en Inde, ou encore en Colombie, le sujet est tabou. Les femmes comme les hommes sont soumis à « une pression sociale et des sanctions qui peuvent aller jusqu’à l’empoisonnement » interdisant à quiconque de dévoiler «
le secret de l’excision ».
«
Tu risques ta vie dans certaines communautés, confirme le militant
. Aujourd’hui cet engagement est menacé mais on tient, car si les femmes doivent mener des actions, il faut aussi que les hommes soient au centre de la mobilisation. »
« L' homme, autre victime de l’excision »
Selon lui, la population masculine doit s’engager «
parce que c’est l’homme qui finance l’excision de la fille », et qu’il occupe la place de «
chef de famille », ce qui signifie qu’il détient le pouvoir de soumettre ou non sa fille à l’excision. Il ajoute qu’au niveau de la vie conjugale, «
l’homme est aussi une autre victime de l’excision, car à la suite d’une mutilation génitale féminine, la femme voit sa sensibilité réduite ». Par conséquent, «
on a un couple, avec d’un côté, une personne pour qui la sensibilité a été fortement réduite et l’autre la sensibilité est demeurée naturelle, explique-t-il,
ce qui crée un déséquilibre dans la vie du foyer, et qui conduit des fois au divorce.»
Fara Djiba Kamano revient sur son parcours, dans l’entretien ci-dessous, et sur la situation de son pays, ainsi que son combat pour la promotion de l'abandon de l'excision.
Echec ou avancées dans la lutte contre l’excision ?
La Guinée mène d’importantes actions de sensibilisation sur les risques liées aux mutilations génitales. En 2000, le gouvernement a même promulgué une loi interdisant les excisions.
Pourtant, selon l’anthropologue guinéen Alpha Amado Bano Barry, «
la lutte contre l’excision échoue depuis 40 ans en Guinée ». Dans un récent entretien, accordé au site
Euractiv, le chercheur, auteur d’une étude sur les mutilations génitales dans son pays regrette, en effet, le taux de progression de ces pratiques alors que «
8 ou 9 stratégies de lutte contre l’excision ont été développées », comme la reconversion des exciseuses, les campagnes d’information, la formation des professionnels de santé etc.
Cet échec s’explique, selon lui, en raison des faibles condamnations pénales de ces pratiques mais aussi en raison des campagnes de sensibilisation axées sur les mères, alors qu’il faudrait aussi cibler les pères, qui eux, contrairement aux femmes, détiennent le pouvoir de s’opposer à une excision.
Fari Djiba Kamano ne partage pas ces conclusions et se félicite des avancées opérées en Guinée. Il rappelle qu’au niveau national, il y a des forums de discussion, des ONG qui travaillent en réseau, et que des programmes sont mis en oeuvre comme celui avec
Plan International, qui a permis l’identification et la protection de 1080 filles. Des communautés déclarent aujourd'hui publiquement l’abandon de l’excision.
A Conakry et dans les grandes villes, le principe du « faire-semblant » a pris de l’ampleur. Cela consiste à couper légèrement pour faire croire à la communauté qu'il s'agit d'une véritable excision.
Alpha Amado Bano Barry, anthropologue guinéen
«
Il faut donc nuancer, on ne peut pas dire qu’il n’y a pas eu de résultat, assure le militant
. Aujourd’hui de nombreuses personnes sont capables de vous citer les conséquences sanitaires de l’excision, avance-il, avant de reconnaître néanmoins que cela ne les empêchent pas de pratiquer les mutilations.
Ce qui signifie qu’il y a une contradiction due à une pression sociale très forte, conduisant des personnes opposées à l’excision à faire exactement l'inverse en décidant d'exciser leurs filles. »
Alpha Amado Bano Barry reconnaît néanmoins quelques avancées sur la typologie de l' excision. Il révèle
« qu' à Conakry et dans les grandes villes, le principe du « faire-semblant » a pris de l’ampleur. Cela consiste à couper légèrement pour faire croire à la communauté qu'il s'agit d'une véritable excision » .
Des raisons culturelles ou religieuses
Les raisons culturelles ou religieuses sont alors souvent invoquées pour justifier les excisions. Au Sud-Est, la population s’appuie sur la tradition tandis que dans le Nord de la Guinée, certaines communautés prétendent suivre « une recommandation religieuse ».
«
Mais toutes ces raisons sont infondées, parce qu’il a été prouvé que ni la bible ni le Saint Coran ne parle de l’excision, rapporte le jeune président d’ONG.
En Guinée, le secrétariat général des affaires religieuses a émis une fatwa là-dessus, et lors d’une conférence avec les grands imams, ils ont fait une motion pour dire qu’il faut arrêter l’excision. Les documents existent aujourd’hui et les militants les utilisent pour sensibiliser les communautés. » Même si cela ne se traduit pas dans les chiffres, il est donc convaincu que les avancées sont là.
La jeunesse, moteur du changement
Fara Djiba Kamano clame fièrement que lui n’a pas excisé ses deux filles. Il se veut un exemple pour les plus jeunes, convaincu que la jeunesse guinéenne sera le moteur du changement.
C’est tout l’espoir que nous ont laissé en effet deux jeunes militantes guinéennes, Hadja et Rabiatou. Elles nous avaient accordé
un entretien sur les droits des filles en Guinée, dans lequel toutes deux parlaient d’une seule voix sur les questions de l’excision.
Elles viennent d’ailleurs de livrer
des témoignages poignants sur le site de Plan international France où elles racontent leur expérience et leur combat pour l’arrêt définitif de ces pratiques.
Les mots de Rabiatou y résonnent avec une incroyable force : «
Et dire que tout ceci, c’est pour contrôler la sexualité des filles à la puberté. Moi, j'opterais pour une éducation sexuelle sans tabou dans les écoles et dans les communautés pour mettre fin à ce crime contre les filles. J'ai subi cette pratique et cela renforce mon engagement dans la lutte pour les droits des filles et dans les actions de sensibilisation.»
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