Fariba Adelkhah retourne en prison à Téhéran

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L’anthropologue franco-iranienne Fariba Adelkhah, diplômée de l’Université de Strasbourg et directrice de recherche à Sciences Po Paris, vient de recevoir le prix Irène Joliot-Curie dans la catégorie « femme scientifique de l’année ».
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©youtube/Sciences-Po
Une grande photo de la chercheuse Fariba Adelkhah, détenue depuis un an à Téhéran, a été dressée sur la façade de l'Hôtel de Ville à Paris, avec la mention : "Son combat pour la liberté est le nôtre".
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Fariba Adelkhah se retrouve à nouveau incarcérée dans la prison d'Evin à Téhéran.  Retenue contre son gré en Iran depuis juin 2019, l'anthropologue franco-iranienne est sous le coup d'une peine de prison de 5 ans. La France réclame officiellement "sa libération immédiate". 

"Nous apprenons avec stupeur et indignation la réincarcération dans la prison d'Evin de Fariba Adelkhah", a annoncé jeudi 13 janvier 2022 le comité de soutien à Fariba Adelka dans un communiqué, dénonçant des agissements "cyniques" du pouvoir iranien qui utiliserait le cas de la chercheuse "selon des fins extérieures ou intérieures qui demeurent opaques"

"Alors que la pandémie de Covid continue de battre son plein le gouvernement iranien met délibérément en danger la santé et même la vie de Fariba Adelkhah - la mort en détention du poète et réalisateur Baktash Abtin, samedi dernier, ayant démontré son incapacité ou son mauvais vouloir à garantir la sécurité de ses détenus", ajoute  son comité de soutien. 

Cela fait deux ans et demi que Fariba est au centre de négociations politiques auxquelles elle n'a rien à voir, ni ses travaux d'ailleurs. C'est un jeu vraiment cynique que joue le pouvoir iranien.
Sandrine Perrot, membre du comité de soutien à Fariba Adelkha

Réagissant dans le 64' sur TV5monde, Sandrine Perrot, membre de son comité de soutien, a appris la nouvelle "avec surprise, on est sous le choc. Et surtout avec inquiétude et de la colère. On n'a eu aucun élément qui nous laissait penser que la résidence surveillée aurait une fin. On est très inquiet de par les raisons de cette décision dont on ne sait rien. Et aussi sur les conditions d'incarcération de Fariba à Evin". "Cela fait deux ans et demi que Fariba est au centre de négociations politiques auxquelles elle n'a rien à voir, ni ses travaux d'ailleurs. C'est un jeu vraiment cynique que joue le pouvoir iranien en gardant ces bi-nationaux sous la main pour pouvoir entrer dans le jeu de ces négociations", s'insurge-t-elle. 

Le gouvernement français a aussitôt réagi en apprenant la nouvelle : "La décision de sa réincarcération, que nous condamnons, ne peut qu'avoir des conséquences négatives sur la relation entre la France et l'Iran et réduire la confiance entre nos deux pays", lit-on dans un communiqué le ministère des Affaires étrangères, exigeant la "libération immédiate".

Femme scientifique de l'année 2021

Fariba Adelkhah, diplômée de l’Université de Strasbourg et directrice de recherche à Sciences Po Paris, s'est vu décerner le prix Irène Joliot-Curie dans la catégorie "femme scientifique de l’année".

Interdite de prise de parole publique, impossible pour elle de commenter cette distinction. Cela fait plus de deux ans et demi qu’elle est retenue en Iran, contre son gré. "Elle ne peut pas se déplacer au-delà de 300 mètres de son domicile. Elle ne peut pas non plus recevoir de visite. Elle ne peut voir que sa famille la plus proche", raconte Hugues Dreyssé, directeur du jardin des sciences de l’Université de Strasbourg, sur le site de nos confrères de France 3.

Ce prix, qui s'accompagne d'une enveloppe de 40.000 euros, est avant tout la reconnaissance d’une "femme de terrain""dont la vocation et l’œuvre cherche à vous faire comprendre une société", estime de son côté le professeur Jean François Bayart, Président du comité de soutien à Fariba Adelkhah.

Privée de liberté

En octobre 2020, Fariba était sortie de prison et avait pu regagner son domicile personnel où elle était assignée à résidence, sous contrôle d'un bracelet électronique, "Au titre des mesures sanitaires et dans le cadre d'une permission pour cause médicale", comme le précisait alors son comité de soutien. 

"Cela ne change rien au fond du problème. Fariba reste prisonnière scientifique, sous le coup d'une peine de prison de cinq ans, à l'issue d'un procès inique, sur la base d'accusations ineptes", rappelle le comité de soutien de la chercheure franco-iranienne,"Nous continuons donc à nous battre pour que l'innocence de notre collègue soit reconnue et qu'elle recouvre sa liberté de recherche et de mouvement. Mais nous pouvons désormais le faire avec un peu de baume au coeur".

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L'appel du président Macron entendu ?

"Il y a un an, Fariba Adelkhah était arbitrairement arrêtée en Iran. Il est inacceptable qu'elle soit toujours emprisonnée", écrivait en juin 2020 le président de la République sur Twitter. "Mon message aux autorités iraniennes : la justice commande que notre compatriote soit immédiatement libérée", ajoutait-il.

"Fariba Adelkhah est un otage du gouvernement iranien. Elle n’a commis aucun crime",  renchérissait de son côté l'avocate iranienne et lauréate du Prix Nobel de la Paix 2003 Shirin Ebadi dans une vidéo.
 

Notre article ici >En Iran, la chercheuse franco-iranienne Fariba Adelkhah condamnée à cinq ans de prison

"Une situation compliquée"

L’anthropologue franco-iranienne, spécialiste du chiisme et de l'Iran post-révolutionnaire à Sciences Po Paris, a été arrêtée le 5 juin 2019 à Téhéran en même temps que son compagnon Roland Marchal, un spécialiste réputé de l'Afrique venu lui rendre visite.

Si ce dernier a été libéré en mars 2021, la chercheuse, née en Iran en 1959 et vivant en France depuis 1977, a été condamnée à cinq ans de prison pour "collusion en vue d'attenter à la sûreté nationale".

La France, qui dénonce une condamnation "politique", n'a cessé depuis de hausser le ton envers l'Iran, par ailleurs au coeur d'un imbroglio stratégique et diplomatique international autour de son programme nucléaire.

Emmanuel Macron s'est lui-même beaucoup impliqué pour tenter de sauver l'accord garantissant le caractère pacifique de ce programme, dont le président américain Donald Trump est sorti de façon tonitruante en 2018 en rétablissant de lourdes sanctions contre l'Iran.

La détention de Fariba Adelkhah "réduit substantiellement la confiance entre nos deux pays", a averti le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. "Qu'est-ce qu'on peut faire ? De la pression !", avait-il concédé, en reconnaissant que la situation était compliquée.

Fariba Adelkhah a été arrêtée par les Gardiens de la Révolution, bras idéologique du régime et tenants d'une ligne beaucoup plus dure face à l'Occident que le président Hassan Rohani. Paris exige aussi un accès consulaire à la chercheuse, catégoriquement refusé depuis le début par les autorités iraniennes qui ne reconnaissent pas la double nationalité.

Marchandages

"Evidemment nous rêvons d'un plan B, d'un autre processus, de négociations qui permettraient à Fariba de sortir de prison même si elle doit rester en Iran et puis ensuite de pouvoir de nouveau faire ce qu'elle a fait pendant plusieurs décennies", poursuit Roland Marchal. Lui-même a fait l'objet d'un échange avec un ingénieur iranien détenu en France et dont les Etats-Unis réclamaient l'extradition. Comme Fariba Adelkhah, une quinzaine de ressortissants étrangers, souvent binationaux, sont aujourd'hui détenus en Iran, selon son comité de soutien.

"Le gouvernement iranien les garde en otage afin que, à travers elles, il puisse arriver à ses fins politiques, qu’il puisse libérer ses propres prisonniers, recevoir de l’argent ou autre", estime Shirin Ebadi. Les Etats-Unis viennent ainsi de renvoyer à Téhéran un scientifique iranien, accusé d'avoir violé les sanctions américaines, et d'obtenir le retour d'un ex-militaire de la marine américaine arrêté en 2018 en Iran.

Mais Paris n'a "rien à échanger" aujourd'hui, estime François Nicoullaud, ex-ambassadeur de France à Téhéran, jugeant en outre que la chercheuse franco-iranienne n'est pas détenue comme "monnaie d'échange pour quelque chose de précis" mais parce qu'elle dérange.
 

Pour réclamer sa libération, une grande photo de la chercheuse avait été déployée sur la façade de l'Hôtel de Ville à Paris, avec la mention : "Son combat pour la liberté est le nôtre".