Plume féministe

Fausse couche, le "tunnel de tristesse" d'Anna Lentzer

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Extrait couv C'est maintenant

Dans "C'est maintenant qu'on se quitte", Anna Lentzer raconte sa propre histoire, celle d'une future maman qui fait une fausse couche. 

© Les insolentes
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Dans C'est déjà maintenant qu'on se quitte, aux éditions Les Insolentes, Anna Lentzer s'attaque au sujet encore tabou des fausses couches, à partir de ce qu'elle a elle-même vécu, entre solitude et colère. Entretien.

La dessinatrice Anna Lentzer signe son premier roman graphique C'est déjà maintenant qu'on se quitte, un livre saisissant sur les fausses couches afin de mieux comprendre cet événement qu’elle a vécu, mais aussi d’accompagner celles qui le traversent, souvent, seules. 

Elle y raconte l'histoire d'une femme qui se prépare à devenir mère. Seulement, lors de la première échographie, elle apprend que ce n'est pas un bébé qui va arriver, mais une fausse couche. De la joie à la perte, du chagrin au retour du désir, Anna Lentzner livre le récit intime d'une grossesse arrêtée. Un sujet qui reste tabou encore aujourd'hui dans la société et peu traité dans la littérature, il touche pourtant des millions de femmes chaque année à travers le monde. 

Entretien avec Anna Lentzer 

Anna Lentzer

Anna Lentzer, autrice et dessinatrice de BD. 

DR

Terriennes : Comment ce livre est-il né ?

Anna Lentzer : C'est le récit de mon expérience personnelle de la fausse-couche. Quand avec mon compagnon, on a décidé d’avoir un bébé, j'ai commencé un carnet de dessins qui s'est transformé en carnet de grossesse et puis rapidement en carnet de fausses couches puisque l’une des seules choses qui me faisait du bien, c'était de continuer à dessiner. 

Une grossesse sur quatre se transforme en fausse-couche. Ça touche plus de 200.000 femmes chaque année en France. Anna Lentzer

Parallèlement à cela, je cherchais du réconfort dans ce qui me donne habituellement du réconfort (les livres, le cinéma). Mais je me suis rendu compte, avec colère et surprise, que la fausse-couche était peu, voire pas du tout représentée dans la bande dessinée, dans la littérature, et ailleurs. C'était une grande colère puisqu'une grossesse sur quatre se transforme en fausse-couche. Ça touche plus de 200.000 femmes chaque année en France. Donc, a priori, on connaît tous et toutes une femme qui a fait une fausse-couche. 

Le livre est né de cette colère et de cette solitude. Anna Lentzer

C'est un sujet qui concerne tellement de personnes et pourtant, il était si peu traité, si peu représenté. J'ai rencontré une très grande solitude de ne pas pouvoir me raccrocher à d'autres récits qui parlent de mon expérience. Le livre est né de cette colère et de cette solitude.

BD Anna Lentzer
© Editions Les insolentes

Avec la fausse-couche, on parle d'un sujet qui traite de sexualité, de corps, de mort. Ce sont des sujets qu'on ne clame pas sur la place publique, mais qu'on chuchote. Anna Lentzer

Comment expliquez-vous le fait qu'il ait peu de témoignages sur la fausse-couche ? 

Anna Lentzer : Il y a plusieurs raisons. La première, c'est que c'est un sujet qui concerne d'abord les femmes et comme plein de sujets qui touchent les femmes et leur intimité, c'est un sujet qui n'a pas sa place dans la société. De plus, avec la fausse-couche, on parle d'un sujet qui traite de sexualité, de corps, de mort. Ce sont des sujets qu'on ne clame pas sur la place publique, mais qu'on chuchote. Ensuite, la fausse-couche est un sujet qui fait peur puisque du jour au lendemain, on parle de quelque chose qui existait dans le ventre, mais qui n'existe plus. 

C'est un sujet qui est au carrefour de plusieurs tabous. Ce qui fait qu'il est peu mis en avant. Pourtant le livre a eu un très bon accueil qui m'a fait plaisir. J'ai eu plusieurs retours de femmes qui ont eu une fausse-couche. Elles m'ont écrit pour me dire ce qu’elles pensaient du livre, qui leur a permis de se sentir moins seules et de faire comprendre à leur entourage ce qu'elles vivaient. 

J'ai aussi eu des retours de lecteurs issus de l'entourage qui m'ont dit que ce livre leur a permis de mieux comprendre le vécu de leurs compagnes. Anna Lentzer

J'ai eu aussi des témoignages de femmes qui avaient eu une fausse-couche, il y a très longtemps, mais qui se reconnectaient à cette période de leur vie grâce au livre. Celui-ci leur a permis de mettre du baume sur ce chapitre-là qui n'avait pas forcément cicatrisé. Et puis j'ai aussi eu des retours de lecteurs issus de l'entourage qui m'ont dit que ce livre leur a permis de mieux comprendre le vécu de leurs compagnes. Ça me réjouit parce que je pense qu'on ne sort pas de cette solitude toute seule. C'est important que ce livre soit aussi lu par l'entourage parce que c'est un sujet qui nous concerne toutes et tous en fait.

planche C'est maintenant 1
© Les insolentes

"Un tunnel de tristesse"

Dans le livre, vous mettez en scène également les situations de dépression qui peuvent toucher énormément de femmes après une fausse-couche…

Anna Lentzer : Je ne parle pas forcément de dépression parce que la dépression, c'est une maladie. Je parle plutôt de deuil parce qu'effectivement, ce deuil à plein d'aspects, dont la tristesse, la colère et l'incompréhension. On se demande pourquoi ça nous arrive parce que ça n'a pas de sens. Il n'y a aucun sens à faire une fausse-couche. Moi, je l'ai ressenti comme un tunnel assez long. Un tunnel de tristesse, d'attente de retomber enceinte, de ne plus être triste. 

Ce sentiment de tristesse s'accompagne d'une solitude puisque autour de soi, les personnes ont parfois du mal à comprendre pourquoi cette tristesse est si présente. Anna Lentzer

Comme je le disais, ce sentiment de tristesse s'accompagne d'une solitude puisque autour de soi, les personnes ont parfois du mal à comprendre pourquoi cette tristesse est si présente. Ce qui fait que parfois, on a des retours qui peuvent être très bienveillants et faire quand même mal. Ce sont des retours comme : « Mais ça ira quand tu arrêteras d'y penser. » ou alors « oui, ça arrive à tout le monde, tu vas t'en sortir. C'est arrivé à ma sœur et à ma belle-sœur » …

Quelles sont les autrices qui vous ont permis de vous construire ? 

Anna Lentzer : Après avoir traversé moi-même une fausse-couche et publié ma bande dessinée, j'ai lu Lettres d'hiver, lettres d'été de Lucille Dupré et Maaï Youssef. C'est un livre qui parle à la fois de fausses couches, de deuil et de dépression post-partum que j'aurais aimé lire quand j'ai eu une fausse-couche, mais malheureusement, le livre n'avait pas encore été publié. Généralement sur la question de la maternité, j'aime beaucoup ce qu'écrit Julia Kerninon. En ce qui concerne mes inspirations graphiques, j'aime beaucoup le travail de Julie Delporte, une autrice française qui vit au Québec et qui fait de l'autofiction à partir de crayons de couleurs, de collages... Elle est très sobre dans ce qu'elle raconte. J'aime beaucoup aussi le travail à l'encre de Catherine Meurisse.

Planche C'est maintenant 2
© Les insolentes

Quel est votre parcours ? 

Anna Lentzer : Je suis dessinatrice depuis six ans maintenant. Avant de travailler dans ce métier, j'ai eu une première vie professionnelle différente. C'est en 2018 que je me suis réorientée vers le dessin. Aujourd'hui, je fais de l'illustration et de la facilitation graphique pour des structures d'intérêt général. C'est-à-dire des associations, des institutions publiques, des collectivités et des entreprises.

Pourquoi avoir choisi le dessin ?

Anna Lentzer : Je me suis tournée vers la bande dessinée parce que j'aime écrire avec du texte et des images. Je pense qu'il y a plein de façons de raconter quelque chose simplement par l'image. Ça touche une autre partie de soi, une autre sensibilité. Ce que peut la bande dessinée, c'est de permettre aux auteurs et aux autrices de s'adresser à un autre public. Il y a des gens qui lisent des livres de littérature et de bandes dessinées, mais il y en d'autres qui préfèrent uniquement la bande dessinée. Pour mon roman graphique, c'était important de passer par l'image. 

J'ai travaillé uniquement à base d'encre et de choses assez matérielles parce que j'avais besoin de recomposer et de représenter avec de la matière la question de la fausse-couche, qui est un sujet éminemment corporel. Ça aurait été une autre histoire si j’avais fait un livre avec uniquement des mots. J'avais besoin de passer par l'image, de passer par la texture. Je trouve que c'est important, car on manque d'images sur plein de sujets. Moi, je ne savais pas à quoi ressemblaient les premières règles qui arrivent après un accouchement ou une fausse-couche. 

C'est assez dramatique qu'il n’y ait pas d'images ni de vocabulaire en ce qui concerne cela par exemple. Et donc il me paraissait important d'avoir des représentations non pas "trash", mais des représentations avec de l'encre et de l'aquarelle, pour celles qui ont besoin de savoir à quoi peuvent ressembler les règles après une fausse-couche.

Planche C'est maintenant
© Les insolentes

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