Fausse couche ou arrêt naturel de grossesse : pourquoi il faut en parler

La fausse couche, ou l'arrêt naturel d’une grossesse, est une épreuve encore trop peu prise en charge au sein de notre société. La France a prévu d'instaurer un congé maladie pour sa prise en charge. Au cours de ces dernières années, dans les médias ou sur les réseaux sociaux ou à travers des livres "confession", peu à peu, la parole se libère. Entretien avec Sandra Lorenzo, autrice de Une fausse couche comme les autres.
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britney tutelle manif
Le portrait de Britney Spears lors d'une manifestation de soutien à la chanteuse, le 12 novembre 2021, à Los Angeles, alors que la justice la libère de la tutelle de son père. Le 14 mai 2022, Britney Spears annonce sur Instagram qu'elle a souffert d'une fausse couche. 
©AP Photo/Chris Pizzello
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​En France, un congé maladie pour la fausse couche

L'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi de la majorité présidentielle, dans la nuit du mercredi 8 au jeudi 9 mars 2023, permettant un meilleur accompagnement des femmes après une fausse couche. Le texte, qui doit être examiné par le Sénat, instaure un arrêt maladie rémunéré sans jour de carence et une prise en charge psychologique.

 
Cette « levée de la carence interviendra dès que possible et au plus tard » le 1er janvier 2024, a souligné le ministre de la Santé François Braun.

Britney, histoire d'un deuil

"C'est avec la plus profonde tristesse que nous devons annoncer que nous avons perdu notre bébé miracle. Et ce de façon prématurée durant la grossesse. C’est une période dévastatrice pour n’importe quel parent". C'est avec ces mots que Britney Spears a informé ses fans, le samedi 14 mai sur son compte Instagram (41 millions d'abonné-e-s). 

Un mois plus tôt, la superstar américaine, 40 ans, révélait qu'elle et son compagnon, Sam Asghari, 28 ans, attendaient un bébé. Une grossesse "surprise" dont l'annonce avait été faite également via les réseaux sociaux : "J'ai fait un test de grossesse... Euh, eh ben... J'attends un bébé".

Cette annonce précoce, Britney Spears avoue aujourd'hui la regretter :"Peut-être que nous aurions dû attendre un peu", ajoutant qu’elle n’avait pas pu résister à l’envie d’annoncer cette merveilleuse nouvelle, "Cependant, nous étions trop heureux de pouvoir partager la bonne nouvelle à l’époque".

Britney Spears et Sam Asghari, qui se sont connus en 2016, ont ajouté qu'ils "allaient continuer à essayer d'élargir leur jolie famille" et demandé qu'en attendant, on "respecte leur intimité en ce moment difficile".

La chanteuse a déjà deux garçons, Sean et Jayden, avec son ex-mari Kevin Federline.

Révélée adolescente par plusieurs tubes planétaires, dont "Baby One More Time",en 1998, elle fait régulièrement la Une de la presse populaire et des médias américains. En novembre 2021, la justice américaine lui a rendu le contrôle sur sa vie personnelle en mettant fin à la tutelle exercée principalement par son père Jamie Spears. La mesure avait été prise en 2008 en raison de troubles psychologiques de la star, qui l'avait qualifiée d'"abusive" et qui, selon elle, l'empêchait de retirer son stérilet contraceptif malgré son désir d'avoir d'autres enfants.

Pourquoi médiatiser sa "fausse couche" ?

Britney Spears n'est pas la première "star" à en parler publiquement. Gwyneth Paltrow, Michelle Obama, Adele... Ces dernières années, de multiples célébrités ont brisé le silence de cette souffrance.
 Dans son documentaire Life Is but a Dream, Beyoncé se remémorait la perte de son premier bébé, avant la naissance de sa fille Blue Ivy en 2012 et celle de ses jumeaux Sir et Rumi en 2017. "J'étais enceinte pour la première fois, raconte-t-elle en 2013. J'ai entendu le battement de cœur, qui était la plus belle musique que j'avais entendue de ma vie." Le médecin lui avait par la suite annoncé que ce battement s'était arrêté. "Je suis allée au studio et j'ai écrit la chanson la plus triste de ma vie... Et c'était la meilleure des thérapies, car c'était aussi la chose la plus triste que j'aie jamais vécue.", confie-t-elle. Dans le magazine Elle, la chanteuse décrit un changement radical de mode de vie pour retrouver l’harmonie avec son corps après être "morte, puis de nouveau en vie".  
 
Je savais, comme je serrais dans mes bras mon premier enfant, que j'étais en train de perdre le second.
Meghan Markle, New York Times, novembre 2020
En novembre 2020, Meghan Markle avait elle aussi tenu à briser le tabou en se confiant dans le New York Times"C'était un matin de juillet qui avait commencé de manière aussi ordinaire qu'un autre jour", écrit-elle dans cette tribune intitulée Nos pertes communes"Après avoir changé la couche d'Archie, j'ai ressenti une violente douleur, poursuit-elle. Je me suis assise sur le sol, avec mon fils dans les bras, en fredonnant une berceuse pour nous calmer tous les deux, cet air joyeux produisant un contraste frappant avec mon impression que quelque chose n'allait pas." Avant d'ajouter : "Je savais, comme je serrais dans mes bras mon premier enfant, que j'étais en train de perdre le second." La duchesse de Sussex découvre aussi à ce moment là qu'elle est loin d'être la seule à traverser cette épreuve, "pour cent femmes, entre dix et vingt ont déjà fait une fausse couche (...) Mais malgré cette stupéfiante douleur commune, le sujet demeure tabou ; ces femmes habitées par la honte (injustifiée) perpétuent le cycle d'un deuil solitaire."

"Une fausse couche comme les autres"

Derrière les confessions des stars, le plus souvent américaines, se cachent bien des silences, de celles qui n'osent en parler et qui gardent en elle leur souffrance.
 
La fausse couche est un arrêt naturel de la grossesse qui se produit dans les 20 premières semaines de grossesse. Environ une grossesse sur quatre se solde par une fausse couche et une femme sur trois environ fera une fausse couche dans sa vie. Douleurs, tristesse, déni, incompréhension, solitude, manque d'accompagnement... Le parcours médical et le défaut d’empathie auxquels sont confrontées les femmes qui subissent un arrêt naturel de grossesse les incitent bien souvent à se taire, voire à avoir honte.
 
bd fausse couche
©Editions First

Dans Une fausse couche comme les autres (Editions First), Sandra Lorenzo, raconte son histoire et aborde le parcours psychologique d'une jeune maman qui attend un heureux événement, mais qui perd son bébé après 6 semaines.  

Sandra Lorenzo a été journaliste au HuffPost pendant neuf ans. Elle y a dirigé la rubrique LIFE (société et vie quotidienne) pendant six ans. Elle est désormais rédactrice freelance et vit à Aubagne, près de Marseille, avec son mari et leurs deux enfants. Elle signe cet ouvrage avec l'illustratrice Mathilde Lemiesle, qui a elle-même vécu plusieurs fausses couches.

"Mettons-nous d’accord dès maintenant : j’ai été enceinte pendant huit semaines. Il n’y avait rien de faux là-dedans. Appelons les fausses couches ce qu’elles sont vraiment, des grossesses arrêtées, des projets d’enfants stoppés net et, parfois, autant de deuils périnataux qu’il faut faire, seul·e·s. Nos fausses couches sont des drames silencieux, des douleurs vécues dans l’ombre", écrit-elle en introduction de son livre. Terriennes l'a rencontrée. 

Terriennes : pourquoi faut-il parler publiquement, comme le font de nombreuses stars, de sa fausse couche aujourd'hui ?

Sandra Lorenzo : Moi, quand j'ai vécu ma fausse couche, je me suis dit : "Je suis la seule à qui ça arrive". Parce que je n'en avais pas forcément entendu parler, que personne autour de moi ne l'avait vécu et que c'était potentiellement de ma faute. Quand Britney Spears publie sur Instagram avec son conjoint qu'elle a vécu une fausse couche, on se dit : "Ok, elle aussi, donc je ne suis pas seule. Ce que je viens de vivre, des millions de femmes le vivent à travers le monde. Mais dans ce qu'elle exprime, il y a quelque chose qui me fait de la peine, c'est lorsqu'elle dit : "On n'aurait pas dû en parler aussi tôt", faisant référence au fait qu'elle était tombée enceinte. C'est comme si elle s'excusait. Elle a brisé le tabou qui veut qu'avant la fin des trois premiers mois de grossesse, on n'en parle pas, "au cas où" il se passe quelque chose. Et ça, c'est terrible en fait.
Moi, mes grossesses, j'ai toujours eu envie d'en parler et de ne pas attendre forcément les 3 premiers mois, et cela se faisait très naturellement. 
 
Encore une fois, on culpabilise la femme ?

La culpabilité, c'est une composante très importante de la fausse couche. On se sent coupable car il y a tellement d'injonctions autour de la grossesse que, forcément, si la grossesse s'est arrêtée, c'est qu'on n'a pas respecté les règles. L'interne qui m'a accueillie quand j'ai vécu ma fausse couche, au contraire, m'a rassurée en me disant "Ce n'est ni ce que vous avez mangé, ni ce que vous avez fait qui a provoqué votre fausse couche". Et ça, c'est une phrase que tous les couples qui vivent une fausse couche devraient entendre. Néammoins, cela n'a pas suffi à me déculpabiliser ! Parce qu'une fausse couche, c'est aussi annoncer à des proches qui se sont réjouis à l'annonce de la grossesse que celle-ci s'est arrêtée. On a la peur de les priver d'une joie, c'est ce que j'ai profondément ressentie.  
Quand Britney Spears dit "On n'aurait pas dû en parler si tôt", c'est moins par culpabilité que par peur de décevoir. 

Il n'y a rien de faux dans cette grossesse.
Sandra Lorenzo

La formule "fausse couche" pose problème ?

Ce terme, moi, je le déteste. Il n'y a rien de faux dans cette grossesse. Comme pour les autres, j'ai eu des symptômes, j'ai eu des nausées. Il n'y avait rien de différent, sauf que celle-ci s'est arrêtée. Le jour où l'on va reconnaitre le terme "arrêt de grossesse", on va soulager beaucoup de femmes. On va reconnaitre leur douleur et aussi leur statut et le fait qu'elles ont été enceintes. 

Il est question de prise en charge aussi ? 

La fausse couche peut être un moment ou un espace où les violences obstétricales peuvent survenir, puisque la patiente est dans un état de fragilité. Moi, je n'ai pas été trop maltraitée par les soignants qui m'ont prise en charge à ce moment-là, mais j'ai reçu de nombreux témoignages de femmes qui ont été renvoyées avec des saignements extrêmes, qui ont souffert de séquelles pendant des mois et qui ont dû faire face toute seule, parce qu'elles ont été mal prises en charge aux urgences. Moi, je me suis tout de même retrouvée face à une sage-femme qui ne m'a pas du tout informée de ce qui allait m'arriver à la suite de ma fausse couche. Elle n'a pas voulu répondre à mes questions concernant l'expulsion. Elle m'a juste dit de ne pas m'inquiéter en me précisant qu'il s'agirait de grosses règles. C'est d'ailleurs la phrase qu'une grande partie des femmes qui vivent ça entendent. C'est une phrase qui ne veut rien dire ! 

Des phrases comme "tu n’es pas la première", "ça arrive à tout le monde" ou encore "ce n’était même pas un enfant, sont courante encore aujourd'hui"... 

Il y a une espèce de banalisation, notamment chez les soignants en urgence obstétricales. Pour eux, c'est de l'ordre du quotidien. Des femmes qui vivent des fausses couches, ils en voient tous les jours. Comme l'a dit un grand professeur de gynécologie en France, il ne faut pas banaliser, mais il faut expliquer que c'est fréquent. C'est toute la différence. Cela veut dire qu'on n'est pas seule, qu'on n'y est pour rien, mais que ça n'enlève rien à l'émotion que ça suscite chez nous. 

Enormément de femmes vivent l'expulsion de leur grossesse sur leur lieu de travail, en plein openspace ou dans les toilettes de leur bureau !
Sandra Lorenzo

La preuve la plus flagrante qu'on minimise cette souffrance, c'est qu'aujourd'hui, en France, une femme qui vit une fausse couche n'est pas arrêtée par le médecin. Cela a été mon cas : on m'annonce ma fausse couche le lundi soir et le mardi matin, je suis au travail. Parce que la soignante qui m'a prise en charge n'a pas jugé bon de me prescrire un arrêt maladie. Et je suis loin d'être un cas isolé. Il y a énormément de femmes qui vivent l'expulsion de leur grossesse sur leur lieu de travail, en plein openspace ou dans les toilettes de leur bureau ! C'est un moment extrêmement difficile, imaginez, c'est beaucoup de sang, de douleur. Le fait qu'on ne nous arrête pas, ça veut tout dire. 

Un projet de loi a été déposé en France ... 

C'est un projet qui a été pensé par l'équipe de Paula Forteza, et qui a été rejeté en novembre 2021. Il demande une prise en charge globale des femmes qui subissent une fausse couche, la suppression du délai de carence et la création d'un congé maladie de trois jours pour la femme et le coparent (comme en Nouvelle-Zélande). Notre collectif milite pour qu'une campagne nationale soit lancée et que de petits livrets d'information  soient facilement accessibles. 

Il faut que l'homme soit pris en charge aussi pour que le couple survive.
Sandra Lorenzo

Vous dédiez votre livre à tous les hommes. Ils sont un peu les oubliés ?

Il faut qu'on se rende bien compte que cet événement peut toucher les coparents, et qu'il peut affecter le couple. Ce n'est pas normal qu'on n'ait pas un seul regard pour le conjoint (ou la conjointe). Juste un "Et vous, est-ce que ça va ?". Il faut que l'homme soit pris en charge aussi pour que le couple survive. Dans de très nombreux cas, une fausse couche peut amener à une séparation. Mon mari, lui, a voulu aller de l'avant et il a considéré qu'il s'agissait d'un accident de parcours. Et cela a été très dur pour moi car on n'était pas du tout au même niveau. Pour tous les deux, cela génère des difficultés de communication, de la colère, de l'incompréhension. Si un soignant lui avait ouvert une petite porte, il aurait pu se dire qu'il avait le droit de ressentir et d'exprimer son émotion. 

Ne dites plus "fausse couche"

En mars 2022, Sandra Loranzo signe avec des dizaines de femmes une tribune publiée dans Le Monde, pour en finir avec l'expression "faire une fausse couche". Ce collectif de femmes entend ainsi rompre ce tabou qui "culpabilise et invisibilise", et réclame une prise en charge adaptée. "Parce que nous ne 'faisons pas les fausses couches', mais les subissons. Et que les mots pèsent sur nos esprits, dictent nos pensées et influencent nos actes. Parlons 'd’arrêt naturel de grossesse'. Car c’est bien ce dont il s’agit et ce que nous vivons dans nos corps", écrivent les signataires de cet appel.