Faut-il protéger les “amas“, ces plongeuses japonaises, pour l'éternité

Elles sont de moins en moins nombreuses à pratiquer ce métier, tout à la fois beau, dangereux et peu lucratif. Les amas, en japonais, ces plongeuses des mers en quête de perles ou de coquillages comestibles, vieillissent sans parvenir à transmettre leur savoir. Certains, au pays du soleil levant, aimeraient voir cette tradition rejoindre le patrimoine culturel immatériel mondial de l'Unesco. Mais on peut légitimement poser une question, face à la pénibilité de ce travail quelquefois meurtrier : le culte des traditions impose-t-il de les conserver à tout prix, même lorsqu'elles sont risquées ? D'autant que les Japonaises, encore très discriminées, ont d'autres combats à mener pour s'imposer dans leur société. En cet automne 2013, elle seraient encore 35%, entre  15 à 39 ans, à vouloir devenir "femmes au foyer"...
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Faut-il protéger les “amas“, ces plongeuses japonaises, pour l'éternité
Une ama au travail dans les eaux froides du Japon - Wikicommons
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Mieko Kitai émerge des eaux et brandit un énorme coquillage en reprenant son souffle. "Enfin, un ormeau", s'exclame cette septuagénaire qui pêche les fruits de mer en apnée, une tradition vieille d'au moins 10 000 ans. Une fois remontée sur un bateau, Mieko retire son masque, un hublot rond qui lui avale la moitié du visage. "Tant que ma santé le permettra, je continuerai", lance-t-elle. Comme Mieko, il y a encore environ 2.100 Japonaises, souvent âgées, qui pratiquent cette pêche ancestrale, essentiellement dans la baie de Mie, dans l'ouest du pays.

En route pour une partie de pêche, une dizaine d'amas, nom qu'on donne à ces plongeuses libres, papotent à tue-tête à bord - elles ont l'ouïe abîmée par la pression de l'eau -, tout en frottant vigoureusement leurs masques avec des algues gluantes pour éviter la formation de buée. Certaines joignent les mains et font une prière shintô. L'année dernière, une de leurs consoeurs a rendu l'âme sous l'eau. "Son coeur a lâché, elle avait plus de 80 ans", soupire l'une d'entre elles.

Lestées de poids autour de la taille, elles se jettent par-dessus bord, vêtues de combinaisons en lycra recouvertes de tuniques bleues, et d'une coiffe blanche. Elles disparaissent pendant près d'une minute et fouillent les fonds à partir de 3 mètres et jusqu'à 20 mètres de profondeur, puis remontent, un coquillage ou un oursin en main, qu'elles placent dans un filet accroché à une bouée.

La résistance du corps des femmes

"Aujourd'hui, la pêche a été meilleure que ce que je pensais", lance Mieko en déchargeant un butin de turbos cornus (sorte de gros bulot) et de poulpes. "Il m'arrivait autrefois d'attraper jusqu'à 40 ormeaux par jour, alors qu'aujourd'hui, quand on en ramasse quatre, c'est un bon jour", explique Sumiko Nakagawa, une autre ama au visage buriné par le soleil. Les ormeaux, leur plus grande source de revenus, se font rares. La pollution et la surpêche ont réduit leur nombre de 90% en quarante ans au Japon. Un kilo de ces gros coquillages se négocie autour de 8000 yens, environ 65 euros, ce qui permet encore aux amas les plus expérimentées d'en vivre, bien que la plupart de ces coquillages consommés au Japon, recherchés pour leur chair mais aussi pour leur nacre, sont désormais issus de l'élevage. Pour tenter d'en renouveler la population, en 2011, de jeunes coquillages ont été relâchés en milieu naturel.

Pour limiter la surpêche, les autorités interdisent les bouteilles de plongée et il est également interdit de pêcher les ormeaux de moins de 10,6 centimètres de long, taille qu'ils atteignent à presque dix ans. Les amas viennent de loin : cette pêche en apnée était autrefois réservée aux femmes qu'on estimait plus résistantes au froid. Au début du siècle dernier, elles plongeaient d'ailleurs les seins nus.

"Le développement des combinaisons de plongée a ouvert la pratique aux hommes, qui sont aujourd'hui quasiment aussi nombreux que les femmes", explique le professeur Yoshitaka Ishihara, président du Conseil de la promotion des amas et directeur du musée de la mer de la ville de Toba.

Le métier n'est pas sans danger : rencontre avec des requins, risque d'être emportée par les courants, ou que la corde que certaines s'attachent à la taille reste accrochée à un rocher. Des reliques d'outils de pêche en apnée datant de 10000 ans sont exposées dans le musée de la mer, témoignant de l'ancienneté de cette culture aujourd'hui menacée. Car découragés par la rareté des ormeaux et les risques du métier, beaucoup jettent l'éponge.
Rares sont les jeunes motivées pour reprendre le flambeau. "Au départ, je touchais des clopinettes mais en quatre ans, j'ai progressé, je gagne aujourd'hui environ 100.000 yens par mois (750 euros)", explique Satomi Yamamoto, en grillant un oursin dans un petit cabanon sur le port de Shima.

Protéger les amas autant que les perles

Elle fait partie de la poignée de trentenaires à avoir embrassé ce métier sur le tard. "J'ai été élevée à Osaka et j'ai toujours vécu dans une grande ville. Je suis beaucoup plus heureuse depuis que j'ai rejoint mon mari ici il y a sept ans." Avant 1970, les filles de pêcheurs devenaient ama vers quinze ou seize ans en observant leur mère. Mais aujourd'hui, les nouvelles recrues doivent passer par un dur entraînement. "Il faut trois ou quatre ans à un adulte avant de réussir à pêcher en apnée", explique encore le professeur Yoshitaka Ishihara. "Au départ, c'est parfois difficile de joindre les deux bouts", soupire-t-il.

Pour autant, la rude concurrence n'ébranle pas leur esprit de communauté. "Nous n'avons jamais eu l'esprit de compétition entre nous", affirme Yuriko Matsui, une ama retraitée de 83 ans. "Sinon, les coquillages auraient complètement disparu." M. Ishihara fait campagne pour l'inscription des amas au patrimoine culturel immatériel de l'Unesco. "Il faut que tout le monde prenne conscience de l'importance de leur rôle" et que, tels les ormeaux, "les amas soient protégées."
 
Faut-il protéger les “amas“, ces plongeuses japonaises, pour l'éternité
Le nacre des ormeaux est particulièrement convoité - wikicommons