Fawzia Koofi : "L'éducation, le seul moyen de s'en sortir" pour les Afghanes

Oser rêver, se révolter... C'est l'appel que lance l'ancienne vice-présidente du Parlement afghan et écrivaine Fawzia Koofi aux filles et aux femmes du monde entier dans son livre Lettres à mes soeurs, la voix des Afghanes. Entretien.

Image
Fawzia Koofi

Fawzia Koofi lors d'un entretien avec Associated Press, le 20 octobre 2021, à New York. 

AP Photo/Mary Altaffer
Partager 4 minutes de lecture

A bientôt 50 ans, Fawzia Koofi se bat depuis toujours pour l’égalité des droits entre femmes et hommes dans son pays. Première vice-présidente du Parlement afghan, de 2005 à 2019, elle était l'une des quatre femmes de la délégation officielle afghane qui, à Doha, mena les négociations de paix avec les talibans en 2020. Victime de deux tentatives d'assassinat, dont l'une deux jours avant le début des négociations au Qatar, elle a quitté l’Afghanistan lors de la chute de Kaboul, en août 2021. 

En exil au Royaume-Uni, elle continue la lutte pour que les Afghanes ne deviennent pas des "citoyens de seconde zone". Nominée pour le prix Nobel de la paix, celle qui a été la seule fille de sa famille à pouvoir choisir son mari, écrit à ses filles : "Après ma mort, vous devez absolument continuer vos études. L'éducation est la seule façon de s'en sortir pour les filles afghanes". 

Fawzia Koofi voulait et aurait pu devenir présidente de l'Afghanistan ;  elle est aujourd'hui, depuis l'exil, à la tête du parti politique "Mouvement pour le changement en Afghanistan". 


Plus de 17 millions de femmes et de filles vivent dans une situation qui est celle d'une prison à ciel ouvert en Afghanistan. Les talibans sont plus brutaux qu'en 1996. Fawzia Koofi

Fawzia Koofi était l'invitée du JT de TV5MONDE : entretien 

TV5MONDE : Lors d'un sommet sur l'éducation des filles au Pakistan, la militante et lauréate du prix Nobel de la paix en 2014, Malala Yousafzai, a appelé les dirigeants à ne pas donner de légitimité aux talibans. Son message fait écho à votre combat ? 

Oui, parce que plus de 17 millions de femmes et de filles en Afghanistan vivent aujourd'hui dans des situations qui sont celles d'une prison à ciel ouvert. Sous les régimes des talibans, elles sont privées de tous les droits humains, voire pire encore. Car les talibans sont devenus encore plus brutaux qu'ils étaient avant, en 1996. 

Ils ont récemment interdit aux femmes de suivre des études médicales, de devenir médecins ou infirmières. Il n'est plus légal aujourd'hui pour une femme en Afghanistan de faire des études médicales. Or cela va à l'encontre de ce que promettaient les talibans. Et en 1996, les femmes avaient le droit de travailler dans la médecine. Ils interdisent ainsi leurs droits fondamentaux aux femmes. Je pense que le moment est venu pour tout le monde de s'opposer à ce régime brutal et répressif. 

TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...

TV5MONDE : L'éducation des filles est au centre de vos priorités. Vous avez commencé votre carrière politique, en 2001, avec une campagne pour promouvoir la scolarisation des filles. L'éducation est le seul moyen pour elles de s'en sortir ? 

Absolument. Et j’en suis l'exemple. Si je n'avais pas reçu cette éducation, je ne serais pas la personne que je suis aujourd'hui. En Afghanistan, les femmes ont les capacités de tout faire, mais on les empêche de suivre leurs rêves, on les empêche d'aller à l'école, d'aller à l'université, de travailler au nom de notre religion. Mais les actions des talibans vont à l'encontre de la religion. Je pense que l'éducation peut changer la société.

Et mon histoire n'est qu'un exemple. Moi, j'ai dédié toute ma vie à l'éducation et ma mère m'a soutenue, m'a aidée à recevoir une éducation. J'ai élevé deux filles, en tant que mère célibataire, de manière à ce qu'elles soient éduquées. Et tout ça, c'est ce qui permet de changer la société. Si je n'avais pas reçu cette éducation, je n'aurais pas pu devenir députée et changer autant de choses dans mon pays. L'éducation, c'est fondamental dans toutes les sociétés. Et les talibans savent comment cibler cela. Ils savent qu'une femme qui a été éduquée va être tellement puissante qu'elle va les contester. Pour une femme éduquée, son éducation est son arme.

lettres à mes soeurs

TV5MONDE : Dans Lettres à mes soeurs, vous racontez votre histoire, votre parcours politique. Vous avez été députée, puis la première vice-présidente du Parlement dans l'histoire de l'Afghanistan. Vous auriez même pu devenir présidente. Qu'est-ce qui vous motivait ? 

Mon livre, Lettres à mes sœurs, est un recueil d'histoires, de récits, de réalités sur la vie en Afghanistan au cours des vingt dernières années. Évidemment, il y a des moments où je parle de mon enfance, aussi, des difficultés des femmes en Afghanistan, mais aussi des difficultés des femmes dans l'arène politique.

Il montre aussi comment j'ai pu apporter des changements, en mettant en place des lois pour soutenir les femmes, en allouant des crédits, des budgets à l'éducation des femmes. Mais il y a aussi eu des moments où l'on m'a contestée, où l'on m'a mise en danger. Il y a eu des attentats contre moi. J'ai été deux fois blessée par des attaques des talibans, une fois blessée au bras droit. Et j'ai continué à essayer d'aller négocier avec les talibans, parce que je considère que même si on est face à son ennemi, il faut essayer de négocier et de trouver des solutions communes. 

Mais pendant les négociations, les talibans nous ont mentis. Ils ont dit qu'ils nous allaient changer, que les femmes auraient le droit de travailler, d'aller à l'école, de s'éduquer. Je raconte toute cette histoire dans le livre. Je raconte l'histoire de la lutte politique d'une femme. Comment est-ce qu'une femme dans une position de pouvoir peut changer la société ? Je pense que mon livre ne se résume pas à l'histoire des femmes en Afghanistan. Il parle de quelque chose d'international. Il s'adresse à toutes les femmes à travers le monde.

Les femmes, si elles participent aux négociations, apportent des solutions beaucoup plus durables dans les processus de paix. Elles apportent de la sagesse, elles apportent de la diversité... Fawzia Koofi

TV5MONDE : En 2020-2021, vous avez participé aux négociations de paix entre les talibans et le gouvernement afghan. Vous avez accepté de parler aux talibans… 

Je voulais représenter un Afghanistan transformé. Depuis très longtemps, les talibans ne reconnaissent pas les femmes comme des êtres humains égaux. Je voulais leur montrer que les femmes, si elles participent aux négociations, apportent des solutions beaucoup plus durables dans les processus de paix. Elles apportent la sagesse, elles apportent la diversité, et c'est cela que nous l'avons fait.

En tant que femme, j'ai beaucoup apporté aux négociations. En beaucoup d'occasions, j'ai remarqué que mes connaissances de femme, ma manière de représenter mon pays, les femmes de mon pays, le peuple de mon pays, étaient beaucoup plus approfondies, beaucoup plus proches des besoins du peuple que ceux qu'apportaient les talibans. Et pourtant, les talibans continuent à penser qu'ils représentent le peuple d'Afghanistan et les femmes ne comptent pas. Moi, à la table des négociations, j'apportais un tableau beaucoup plus réaliste de ce que pouvait devenir l'Afghanistan en termes économiques, sécuritaires, sociaux. Je voulais donner le message aux talibans, leur montrer qu'on ne peut vivre que par la coexistence.

Pendant les négociations, les talibans ont dit tellement de choses, ils ont fait tellement de promesses qu'ils n'ont pas tenues. Ils ont fait tout le contraire de ce qu'ils nous avaient dit. 

Notre dossier Afghanes sous régime taliban : au nom de la liberté

Tweet URL

TV5MONDE : En 2021, avec l'arrivée des talibans, vous avez dû quitter votre pays. Comment vivez-vous cet exil ? Est-ce que vous arrivez à poursuivre votre combat ?

Je vis en exil. J'ai dû quitter mon pays parce qu'évidemment, en Afghanistan, je ne pouvais rien faire. Mais je continue, aujourd'hui, avec mes assistants, avec les membres de mon mouvement pour les femmes d'Afghanistan,  à faire entendre les voix des femmes d'Afghanistan, leur résilience, leur force sur la scène mondiale. Et je continue à passer 80% de mon temps avec des femmes en Afghanistan. Je parle avec elles, je les aide de toutes les manières possible, je mobilise les femmes, j'essaye d'amplifier leurs voix. 

Evidemment, ce n'est pas la même chose quand on est au pays. Mon pays me manque, évidemment, mais toutes mes luttes sont dédiées au moment où l'Afghanistan redeviendra un pays où je peux retourner vivre. C'est ça qui mobilise toutes mes forces pour un meilleur Afghanistan. 

Fawzia Koofi

Affiche de Fawzia Koofi avant une conférence de presse du Mouvement du changement pour l'Afghanistan à Kaboul, en Afghanistan, le 19 septembre 2021.
 

AP Photo/Bernat Armangue

TV5MONDE : Vous avez pu être éduquée, vos filles aussi. Aujourd'hui, quel est l'avenir des filles afghanes sous le régime des talibans ? 

Depuis trois ans, les filles ne peuvent pas aller à l’école ou à l’université, ne peuvent pas travailler. Nous avons déjà perdu trois générations à cause de l’idéologie talibane. Je pense que c’est une responsabilité mondiale, pour toutes les femmes et tous les hommes qui croient en l’égalité, de s’opposer à cette répression, à cet apartheid. Je considère cela comme un crime contre l’humanité. C’est aussi ce que disent les Nations unies. Si cela continue, d’autres générations vont être perdues. Il faut nous opposer à cela et changer le status quo.

(Re)lire dans Terriennes : 

Afghanistan : que restera-t-il de l'hôpital sans les femmes ?

"C’est un véritable apartheid fondé sur le genre qui se déroule, sous nos yeux, en Afghanistan !"

Afghanistan : le chant des femmes face aux talibans

En France, les Afghanes protégées en raison de leur genre