Féminicide en Algérie : vague de colère après la mort de Chaïma, violée et brûlée

Elle s'appellait Chaïma, elle avait 19 ans. Son prénom vient s'ajouter à une liste morbide qui s'allonge, mois après mois : celle des féminicides. Un phénomène qui ne cesse de prendre de l'ampleur en Algérie. La jeune fille a été enlevée, violée et brûlée par son bourreau. Il la harcelait et l'avait déjà agressée quatre ans plus tôt. Malgré le dépôt de plainte de l'adolescente, il n'avait pas été poursuivi. 
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Chaïma
L'Algérie sous le choc après la mort de Chaïma, 19 ans, un drame qui lève le voile sur le phénomène des féminicides dans un pays où la tradition de la "clause du pardon" et du "crime d'honneur" reste inscrite dans la loi.
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Le crime a été commis dans la commune de Reghaïa, dans la banlieue Est d’Alger.

La jeune Chaïma n’avait pas donné signe de vie depuis qu’elle avait quitté son domicile familial, quelques jours auparavant. Selon le témoignage de sa mère, Chaïma avait rendez-vous avec son futur bourreau, Bouchenaki Abdeslam, qui la harcelait depuis longtemps. Elle souhaitait mettre fin à ce harcèlement. 

Chaïma a été  kidnappée, torturée, violée. Son assassin lui a porté plusieurs coups de couteau, puis l'a aspergée d'essence avant de lui mettre le feu pour l'achever. Son corps a été retrouvé samedi 3 octobre par les services de la Sûreté, dans une station-service désaffectée de Thénia, près de Boumerdes.

Le juge d’instruction près le tribunal de Boumerdes a ordonné, lundi 5 octobre, de placer en détention provisoire le meurtrier présumé de la jeune femme. Il est accusé d’homicide volontaire en recourant à la torture. Selon des sources locales, l’individu a reconnu les faits qui lui sont reprochés. Il aurait affirmé avoir tendu un piège à la victime. 

Ce crime a immédiatement soulevé une vague d’indignation et de colère à travers tout le pays et même au-delà.

Récidiviste

Ce qui suscite davantage l’indignation, c’est que Chaïma avait déjà été la victime de ce même bourreau quatre ans auparavant. Agée alors d’à peine quinze ans, elle avait courageusement déposé plainte pour tentative de viol. S’en était suivi un terrible harcèlement par la mère du bourreau et le bourreau lui-même. Dans cette société conservatrice, sa plainte de 2016 était restée lettre morte. Rien n’avait été fait. 

Au-delà de l’abjection des faits, le crime ravive le débat sur la peine de mort et suscite bien des questions. La justice a-t-elle su protéger Chaïma et les autres femmes ? Comment guérir cette frange de la société qui banalise et justifie les harcèlements, les viols et les crimes ?

Face à ceux qui, sous le choc, demandent "Combien de Chaïma doivent être victimes de ces actes horribles avant que les enfants et les femmes soient protégés ? ", on retrouve cette partie de la population obscurantiste qui dénonce la tenue de la jeune fille, plutôt que d’exiger que justice soit rendue. 
 

Les féminicides en hausse en Algérie

Au 1er octobre 2020, on dénombrait, en Algérie, 38 féminicides depuis le début de l’année. Un phénomène qui prend de l’ampleur dans le pays. A la fin du mois d'août, dans la Wilaya de Blida, c'était Ikram, âgée elle aussi de 19 ans, enceinte et mère d'un garçon, qui a été tuée par son mari. Le 8 août, à Beni Messous, c’est Asma, âgée de 30 ans, qui a trouvé la mort, égorgée par son mari alors qu’elle était enceinte. Juste avant elle, à Guelma, un militaire retraité a tué sa femme avec un fusil de chasse, tandis qu’une autre femme âgée de 28 ans, enceinte et mère de deux petites filles, a été battue à mort par son conjoint, dans la même wilaya. Ce ne sont que quelques exemples des scènes d’horreur et de violence qui se jouent en Algérie à l’encontre des femmes.

A (re)lire notre article : En Algérie, les féministes de Bejaïa s’organisent contre les violences faites aux femmes

"Clause de pardon" et impunité

Même si une loi contre les violences à l'égard des femmes a été adoptée en 2016 en Algérie, le Code Pénal, contient toujours une "clause de pardon" permettant à l'agresseur d'obtenir l'impunité. Cette disposition permet d’annuler les poursuites si l’épouse accorde la clémence à son agresseur. Et puis il y a également cette terrible notion de "crime d’honneur" qui se cristallise sur l’article 279 de ce même code : "Art. 279 - Le meurtre, les blessures et les coups sont excusables s’ils sont commis par l’un des époux sur son conjoint ainsi que sur le complice à l’instant où il les surprend en flagrant délit d’adultère."

Peut-on réellement parler d’avancées de la loi quand un "pardon" peut être obtenu avec des pressions familiales sur la victime, et que les crimes peuvent être excusables et légitimés ?

La plupart des familles algériennes ne font pas sentir à la femme battue qu’elle est une victime du fait même d’une conception culturelle qui veut que l’homme ‘élève’ son épouse.
Leïla Merad​, psychologue clinicienne 

Au-delà des dispositions légales, ce sont les mentalités, surtout, qui doivent changer. Car c’est toute la représentation de la femme dans l'imaginaire social qu'il faut démolir, puis reconstruire. Entre le silence qui puise son existence dans des croyances infondées d’une supposée allégeance et une société qui encourage à surveiller les filles plutôt que de favoriser une éducation dans l’égalité, le mal est profond. La psychologue clinicienne Leïla Merad souligne le rôle inhibiteur de la société et de la famille puisque "la plupart des familles algériennes ne font pas sentir à la femme battue qu’elle est une victime du fait même d’une conception culturelle qui veut que l’homme ‘élève’ son épouse". Cette dernière lui devrait allégeance en toutes circonstances, afin de concevoir un foyer ou une vie de famille stable.

#Nousavonsperduunedesnôtres #JusticepourChaïma

Initiée par deux militantes féministes algériennes, Narimène Mouaci et Wiame Awres, une vaste campagne a été lancée sur les réseaux sociaux sous le hashtag #Nousavonsperduunedesnôtres ou #JusticepourChaïma, afin de sensibiliser le public et d’avertir les autorités. Cette mobilisation a pour but d’alerter et de dénoncer les féminicides et autres violences dont sont victimes les femmes et les filles algériennes.

Aucun pays n'est épargné par les féminicides et les violences subies par les femmes. Le 25 novembre prochain marque la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Cette journée reste un des temps forts de sensibilisation et de mobilisation pour dénoncer ces violences et pour briser le silence.