Féminicide, une femme immolée par son mari, récidiviste : les failles d'un système

Un féminicide, de plus, qui aurait pu être évité. La commission d'enquête mise en place par le gouvernement après l'assassinat début mai de Chahinez, brulée vive par son mari, en pleine rue, dans un village du sud-ouest de la France, pointe une suite de défaillances entre services judiciaires et police. De nouvelles mesures ont été annoncées. 51 femmes sont mortes depuis début 2021 en France des suites de violences conjugales.
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stop féminicide
"Arrêtez de tuer les femmes", "Stop féminicides", le combat des militantes féministes s'affiche sur des pancartes brandies lors d'un rassemblement le 7 mars 2021, à la veille de la Journée internationale de défense des droits des femmes, Place de la République à Paris.
©AP Photo/Lewis Joly
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Une suite de défaillances, voilà pour résumer ce qu'ont trouvé les auteurs du rapport diligenté après le féminicide de Mérignac. Dans leurs conclusions rendues publiques mercredi 9 juin, ils recommandent "d'examiner la dangerosité" de l'auteur des violences "avanttout aménagement de peine". Pour cela, ils proposent de "modifier la loi afin que tout aménagement de peine soit précédé d'une expertise". 
Ils proposent aussi "d'améliorer la protection de la victime préalablement à la libération" du conjoint violent, "de renforcer et sécuriser la communication entre les services compétents" afin qu'ils puissent prendre des "décisions rapides" et enfin "de mieux piloter localement la protection des victimes".

Face à ces conclusions, le gouvernement français a annoncé six nouvelles mesures.   3 000 téléphones "grave danger" seront mis à disposition des juridictions d'ici début 2022 contre 1 324 aujourd'hui, et un fichier des auteurs de violences conjugales sera mis en place. Une instance de suivi judiciaire des situations individuelles sera également créée dans les tribunaux et réunira magistrats, forces de sécurité intérieure, service pénitentiaire d'insertion et de probation et associations dédiées.
Le gouvernement annonce en outre le "renforcement du contrôle et de la détention" d'armes et un comité de suivi des mesures.

51 femmes ont été tuées depuis le début de l'année en France par un conjoint ou ex-compagnon.

Chahinez, 31 ans, morte brulée vive

Chahinez est l'une d'elles. Elle avait 31 ans et était la mère de trois enfants. Cette femme est morte le 5 mai 2021 à Mérignac, près de Bordeaux, après avoir été brûlée vive par son mari violent récidiviste dont elle s'était séparée.

Il est 18H10, en pleine rue de cette tranquille banlieue bordelaise, lorsque l'homme poursuit sa femme. Il tire plusieurs coups de feu dans ses jambes jusqu'à ce qu'elle s'effondre. Puis, alors qu'elle est toujours en vie, il l'asperge d'essence et l'immole par le feu. Le pavillon où vivait la victime a été partiellement incendié dans des circonstances qui n'ont pas été précisées.

Âgé de 44 ans, selon la police, l'auteur des faits a été interpellé environ une demi-heure plus tard par des policiers de la BAC (Brigade anti-criminalité), dans la commune limitrophe de Pessac, et placé en garde à vue. Il "était porteur d'un fusil de calibre 12, d'un pistolet à gaz et d'une ceinture de cartouches", selon le communiqué du parquet de Bordeaux, qui a ouvert une enquête du chef d'homicide volontaire par conjoint et destruction par incendie.

Un récidiviste condamné, puis libéré...

L'homme n'était pas un inconnu des services de police. Il avait été condamné le 25 juin 2020 par le tribunal correctionnel de Bordeaux "dans le cadre d'une comparution immédiate pour violences volontaires par conjoint (sur la même victime), à une peine de 18 mois de prison dont neuf mois assortis d'un sursis probatoire pendant deux ans, avec mandat de dépôt décerné à l'audience". En octobre, il avait obtenu, par jugement du juge de l'application des peines, une mesure de placement extérieur spécifique pour les auteurs de violences conjugales. Libéré le 9 décembre, il "était depuis suivi par le service pénitentiaire d'insertion et de probation de la Gironde dans le cadre de la peine de sursis probatoire", explique le parquet de Bordeaux. "Cette mesure comprenait notamment une obligation de soins, l'interdiction d'entrer en contact avec la victime et l'interdiction de paraitre à son domicile."

Son épouse avait porté plainte pour une agression commise par son conjoint le 15 mars dernier, a appris franceinfo auprès du même parquet. Une enquête en flagrance avait été ouverte et malgré les recherches des services de police pour localiser l'intéressé, celui-ci restait introuvable. L’enquête était toujours en cours au moment du meurtre.

Les premières conclusions de la mission d’inspection lancée la semaine dernière par le gouvernement pointent "une suite de défaillances qui peuvent être reprochées à différents acteurs dans la communication et la coordination entre les services", selon un communiqué laconique du ministère de la Justice. "La mission doit se poursuivre pour caractériser ces dysfonctionnements et proposer les initiatives propres à y remédier", indique encore le texte.

Les trois enfants, âgés de trois, sept et 11 ans, vivaient au domicile de la victime, mais "ne s'y trouvaient pas au moment des faits", a relevé le parquet, précisant qu'ils avaient "fait l'objet d'une prise en charge psychologique par le Samu".

Un village sous le choc

Le maire de Mérignac, Alain Anziani (PS) a annoncé qu'une cellule psychologique avait été mise en place afin d'accueillir les personnes choquées par ce "féminicide d'une violence inouïe".
 

Il y a près de deux mois, il l’a une nouvelle fois agressée devant un supermarché. Il a réussi à la faire monter dans son fourgon et a tenté de l’étrangler. Elle est parvenue à s’enfuir.
Témoignage d'une voisine de la victime

Au lendemain du drame, des voisines de la victime expriment leur colère : "Elle avait trouvé la force de se séparer, au printemps dernier, quand son mari a été condamné à de la prison après l’avoir une nouvelle fois frappée. Mais il est ressorti en septembre ou octobre. Depuis, il la harcelait, l’espionnait, la suivait (…) Il y a près de deux mois, il l’a une nouvelle fois agressée devant un supermarché. Il a réussi à la faire monter dans son fourgon et a tenté de l’étrangler. Elle est parvenue à s’enfuir", déclarent-elles dans le journal Sud-Ouest, précisant que la "police avait été prévenue".
 

On se dit quel dommage, quel dommage, on le savait, tout le monde le savait.
Témoignage d'une habitante de Mérignac

"On n'a pas su la protéger et on en voit le résultat. On se dit quel dommage, quel dommage, on le savait, tout le monde le savait", sanglote une femme venue déposer des fleurs et une bougie sur les lieux du drame, témoignant devant les caméras de France 3. Près de 500 personnes sont venues lui rendre hommage. "C’est ma voisine, je suis là parce que je veux dire qu’il faut arrêter, chercher ce qu’il faut pour lutter contre ça", confie une habitante. 

Les autorités interpellées par les associations

"Le combat contre les violences conjugales et les féminicides continue", a assuré Marlène Schiappa dans un tweet se disant "horrifiée par ce crime ignoble". La ministre chargée de la Citoyenneté annonce l'ouverture d'une mission d'inspection conjointe avec le ministre de l'intérieur Gérard Darmanin et le Garde des Sceaux Eric Dupond Moretti. 

Le ministère de l'Intérieur a annoncé en février avoir demandé aux préfets de "systématiquement saisir les armes des conjoints violents dès la plainte", une mesure permise depuis le "Grenelle" contre les violences conjugales organisé en 2019, mais encore trop peu appliquée selon les associations.

La plupart d'entre-elles mettent en cause l'action de l'Etat. "En plus d’être multirécidiviste, il avait une arme à feu ! Encore ! Mais que fait Gérard Darmanin ?", a tweeté Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes, qui demande le retrait systématique des armes à feu aux conjoints violents dès le premier signalement. 

"Inaction de l'Etat", a aussi réagi sur le réseau social l’association Osez le féminisme, estimant que "tout le monde savait qu’il était dangereux et armé". "En Espagne c'est 30 000 ordonnances de protection et la mise en place du système VIOGEN qui permet de mettre en place une protection rapide et efficace au premier signalement. Les solutions existent, Messieurs Darmanin et Dupond Moretti, agissez, c'est urgent !" interpelle l'association dans un autre post.  

La présidente d'Osez le féminisme, Céline Piques, exprime sa colère : "Sur 200 000 plaintes, 70 bracelets électroniques ont été placés, c'est une blague ?" sur les ondes de France Info

Un rassemblement à l'appel de plusieurs collectifs de défense des droits des femmes était organisé jeudi 7 mai à Mérignac. En 2020, 90 féminicides ont été officiellement recensés en France, contre 146 l'année précédente.

Pour contacter le 39 19, rdv sur le site de Solidarité Femmes - Violences femmes info 3919

"Tweeter ou mourir"

Sur TV5 monde, l'émission L'Invité-e recueille la parole de Laura Rapp qui, devant l’incurie de la justice, n’a dû sa survie qu’à la mobilisation des réseaux sociaux, alors que son ex-conjoint la menaçait de mort. Un livre-témoignage bouleversant au nom de toutes les femmes victimes de féminicides que la société et la justice ne savent pas protéger.  

"Dans la nuit du 17 au 18 avril 2018, j'ai failli mourir sous les coups de mon ex-conjoint, devant ma fille. C'était le soir de trop. Il m'avait enfermée à clef dans l'appartement, il m'a étranglée à plusieurs reprises", confie Laura Rapp. Alertés par le bruit et les cris, les voisins frappent à la porte. "Un miracle", commente la jeune femme, qui explique avoir subi pendant des années des violences conjugales.
couv laura rapp
©Editions Michalon

 
Aujourd'hui, elle veut témoigner pour montrer la réalité de ce qu'il se passe en France, "Ce livre est dédié à ma fille, qui est aussi victimes. Comme tous ces enfants qui sont les oubliés de la République".

Quelques mois après avoir été arrêté, alors que le procès n'a pas eu lieu, son ex-compagnon est relâché sans qu'elle ne soit prévenue. "J'ai eu l'impression que le sol s'ouvrait devant moi. Sur ma terrasse, j'ai même eu envie de sauter à un moment pour que ça s'arrête", dit-elle. "J'ai fait face à des dysfonctionnements, on me disait que j'étais en danger de mort, mais finalement tout le monde m'abandonnait"
, ajoute-t-elle. 
Pour expliquer le titre de son livre, elle-même reconnait qu'elle aurait préféré ne pas tweeter et que la justice la protège. L'effet a été immédiat, à la suite de son post, "comme une bouteille à la mer", de nombreux internautes lui envoient des messages de soutien, des médias la contactent. "Les médias m'ont sauvé la vie, une semaine plus tard, il était remis en détention", explique Laura. 


L'émission à (re)voir ici >

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