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Au bord de la faillite et du divorce, un homme tue sa femme et ses deux enfants, avant de retourner l'arme contre lui. Ne supportant pas la rupture, un autre étrangle son épouse après avoir découvert le message d'un homme sur son téléphone. Ces deux faits, survenus en France en 2016, sont loin d'être isolés. L'an passé, 109 femmes ont trouvé la mort à la suite de violences commises par leur mari, concubin, pacsé ou ex, et 14 ont été tuées par leur amant ou une relation épisodique.
"Au total, 123 femmes ont perdu la vie dans des violences conjugales en 2016." j'ai pas les mots pour exprimer mon dégoût
— angel baby (@lxdygaga) 1 septembre 2017
Par rapport à 2015, qui recensait 144 victimes (122 femmes et 22 hommes), les morts violentes au sein des couples étaient en hausse de 9% en 2016. Elles ont représenté plus de 15% des homicides non crapuleux et violences volontaires ayant entrainé la mort sans intention de la donner.
Sur les 109 femmes tuées par leur conjoint "officiel", au moins 30 étaient victimes de violences antérieures, et près de 37% des auteurs d'homicide étaient déjà connus des service de police ou de gendarmerie, précise l'étude annuelle de la Délégation aux victimes.
On ne tue jamais par Amour mais par peur de l'abandon (pour les hommes), article édifiant sur une triste réalité. ... https://t.co/tyfy4teOPQ
— Nigel G (@NigelGAME) 2 septembre 2017
Un homme meurt en moyenne tous les onze jours de violences au sein de son couple. En 2016, 28 ont été tués par leur compagne ou ex-compagne, un homme par son compagnon, et cinq par un amant, une maîtresse ou une relation épisodique. Pour les hommes auteurs d'homicides, "le refus de la séparation -en cours ou passée- reste la principale cause du passage à l'acte. Pour les femmes, il s'agit de la dispute", précise l'étude.
Les violences conjugales ont aussi beaucoup impacté les enfants, dont la présence n'empêche pas le passage à l'acte: neuf enfants ont été tués par leur père en même temps que leur mère, 16 ont été témoins d'une scène de crime, dont 8 ont prévenu les secours, et 22 étaient présents au domicile, sans être témoins.
Seize autres enfants ont été tués dans le cadre de violences conjugales, sans que l'autre parent soit tué.
Les homicides ont par ailleurs engendré 12 orphelins de père et de mère, 54 orphelins de mère et 22 orphelins de père.
Au total, en incluant les suicides des auteurs et les victimes collatérales, les violences au sein des couples officiels et non officiels sont à l'origine de 252 décès en 2016, neuf de moins qu'en 2015.
D'après un profil type dressé par les enquêteurs, l'auteur masculin est souvent marié, de nationalité française, a entre 41 et 50 ans, et n'exerce pas ou plus d'activité professionnelle. Il commet son crime à domicile, sans préméditation, avec une arme à feu.
La femme vit le plus souvent en concubinage, est également âgée de 41 à 50 ans, et n'a pas ou plus d'activité professionnelle. Elle commet ce crime à domicile, sans préméditation, avec une arme blanche.
Sur les 28 femmes auteures d'homicides au sein de couples "officiels", 17 d'entre elles étaient victimes de violences de la part de leur partenaire, souligne l'étude.
"Ces drames s'inscrivent trop souvent dans un contexte de violences préexistant qu'il est nécessaire de repérer (...). Il est également essentiel de protéger les enfants pour qu'ils ne soient pas témoins et ne reproduisent pas plus tard ce qu'ils ont vécu", ont déclaré dans un communiqué commun le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, et la secrétaire d'Etat chargée de l'Egalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, assurant de leur "totale détermination pour combattre ces violences insupportables".
"Toute la société doit se mobiliser contre les féminicides. Les témoins doivent intervenir, la violence n'est jamais une 'affaire privée' "
— MarleneSchiappa (@MarleneSchiappa) 2 septembre 2017
Le 5e plan triennal de lutte contre les violences faites aux femmes et le premier plan contre les violences faites aux enfants avaient été lancés en 2017.
On ne tue jamais sa femme par amour
Ernestine Rona, psychologue
"On ne tue jamais sa femme par amour" mais "pour la garder", estime la psychologue Ernestine Ronai, membre du Haut conseil à l'égalité et responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes en Seine-Saint-Denis, appelant à "passer à la vitesse supérieure" dans l'accompagnement et la protection des victimes de violences.
QUESTION: 123 femmes ont été tuées par leur compagnon ou ex en 2016, on en comptait 122 en 2015, 148 en 2006. Pourquoi ce chiffre évolue-t-il peu ?
REPONSE: "On progresse mais encore trop lentement. Les mesures de protection, le téléphone 'grand danger', le fait que la société parle plus de ce sujet, sont des points positifs. Mais il faut passer à la vitesse supérieure. Il y a encore trop d'enfants, d'hommes et bien davantage de femmes qui meurent chaque année. C'est possible de les sauver. Des moyens existent dans la loi, ils ont été créés, sont sévères. Il faut qu'on s'en serve mieux et qu'on les diffuse davantage."
Q: Quels sont ces moyens, que pourrait-on faire de plus ?
R: "Si on veut réussir à faire reculer les violences, il faut d'abord poursuivre l'effort pour mieux prendre en compte la parole des femmes, aussi bien par les services sociaux que par les institutions (gendarmerie, police, magistrats). La formation et la sensibilisation sont essentielles.
Le téléphone 'grave danger' (confié aux femmes en danger et muni d'une touche permettant d'appeler directement les secours, ndlr) doit aussi être davantage mis en œuvre. On en est à 500 sur toute la France, ça fait en moyenne cinq par département... Là où il a été distribué, il a fait la preuve de son efficacité.
L'ordonnance de protection doit être plus systématique, même quand la femme n'a pas porté plainte. Si on veut encourager les femmes à parler, il faut rendre crédible l'idée qu'on peut les protéger avant la commission de nouvelles violences.
En parallèle, nous travaillons sur une possible préservation des preuves dans les Unités médico-judiciaire, même si la personne n'a pas porté plainte, et sur la prise en charge gratuite des victimes en psycho-trauma. Si les femmes sont bien accompagnées, bien protégées, elles ne retournent pas vers l'agresseur et on peut éviter des féminicides."
Le féminicide doit entrer dans le droit français. On parle bien d'homicide, d'infanticide.
Ernestine Rona, psychologue
Q: Le mot féminicide, que vous employez, doit-il rentrer dans le vocabulaire et apparaître dans le droit français ?
R: "Je suis pour. On parle bien d'homicide, d'infanticide. Il faut s'intéresser aux victimes, ne pas faire disparaître leur sexe, sinon on ne pourra pas chercher les causes. Il faut sortir du fait divers pour commencer à parler de faits de société.
On ne tue pas sa femme par amour, jamais. On la tue car on ne supporte pas de la perdre, on veut garder son objet. La vie n'a plus de sens pour les hommes si leur femme les quitte. Beaucoup, d'ailleurs, se suicident après le passage à l'acte. Il y a des violences car il y a une appropriation de la femme par l'homme. Dans l'histoire, on a toujours enfermé les femmes, on leur a mis des ceintures de chasteté, on a pratiqué des infibulations... Tout cela pour que les hommes aient la certitude que leur descendance venait bien d'eux. Ensuite, il s'agissait de les priver de savoir, d'indépendance financière, de la place en politique, de tout ce qui les rend égales, finalement.
En revanche, les chiffres montrent que les femmes qui tuent le font car elles n'en peuvent plus. Sur les 28 femmes auteures d'homicides, 17 étaient victimes de violences. Ce chiffre-là est intéressant car il veut dire que 60% des victimes hommes étaient des agresseurs."