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"Mona, l'innocente assassinée", c'est ainsi qu'un artiste iranien a titré le dessin qu'il a publié sur les réseaux sociaux. Mona Heidari avait 17 ans, et elle est la énième victime innocente de "crime d'honneur" en Iran. Car comme le souligne l'agence de presse iranienne Isna, la jeune femme était "soupçonnée d'adultère. Elle a été assassinée par son mari et son beau-frère. Décapitée en pleine rue, à Ahvaz, capitale de la province du Khouzestan dans le sud-ouest iranien.
Cela devrait suffire pour choquer. Mais à ce drame, hélas quasi-quotidien en Iran, s'ajoute l'horreur. Le sourire d'un mari tenant dans sa main la tête de son épouse qu'il vient de décapiter. Devenues virales, ces images filmées par un portable ont bouleversé le pays où ce qu'on appelle les crimes d'honneur sont loi.
See the beautiful smile of Mona heydari a 17 yr old girl who was beheaded by her husband yesterday.
— Masih Alinejad (@AlinejadMasih) February 6, 2022
She was a victim of forced marriage at the age of 12 & she had a 3 yr old boy.
This is how living under sharia laws looks like in Iran.
My heart is broken#LetUsTalk@FSeifikaran https://t.co/JhABwJgG67 pic.twitter.com/Hj0qHU9DnG
Selon les médias locaux, Mona Heydari n'avait que 12 ans lors de son mariage. Elle était la jeune maman d'un fils de 3 ans. Mariée de force à son cousin, Sajjad Heydari, l’adolescente était victime de violences conjugales, selon le Women’s Committee NCRI, un comité de défense des femmes iraniennes. "Chaque fois qu’elle demandait le divorce, sa famille la persuadait de rentrer chez elle et de continuer à vivre avec son mari pour le bien de son enfant", rapporte l’organisation.
Selon le journaliste iranien Farzad Seifikaran cité dans Le Parisien, qui évoque une source proche de la famille, l’adolescente aurait rencontré un Syrien réfugié en Turquie via Instagram. Elle avait décidé de quitter le pays pour fuir la violence de son mari, se réfugiant quelques mois en Turquie où elle aurait rencontré un autre homme, selon Haft-eSobh. "L’assassin a déclaré avoir tué sa femme car elle était partie en Turquie à son insu et sans son autorisation." précise le journal.
Un prétexte suffisant pour "justifier" le "crime d’honneur" aux yeux de son meurtrier. Sajjad Heydari et son frère, complice du meurtre, ont été arrêtés par la police "lors d'un raid dans leur cachette", a annoncé la police locale, citée par l'agence officielle Irna. Seront-ils pour autant punis ? Rien n'est moins sûr car la loi iranienne protège les maris comme les pères, considérés comme étant les propriétaires de leurs épouses ou filles.
Réagissant au drame, plusieurs défenseurs des droits humains ont exhorté les autorités à réformer la loi sur la protection des femmes contre la violence conjugale et à augmenter l'âge minimum du mariage pour les filles, fixé actuellement à 13 ans.
"Un être humain a été décapité, sa tête a été exhibée dans les rues et le tueur en était fier. Comment peut-on accepter une telle tragédie? Nous devons agir pour que les féminicides ne se reproduisent plus", écrit le quotidien réformateur Sazandegi, rapporté dans Le Courrier international. "Écrire ou lire sur cet horrible incident nous bouleverse : un jeune homme marche dans la rue avec un vilain sourire en tenant à la main la tête de sa femme, qu’il vient de décapiter", déplore le quotidien Ebtekar.
"Mona a été victime d'une ignorance dévastatrice, nous sommes tous responsables de ce crime", s'insurge pour sa part la cinéaste féministe Tahmineh Milani, sur Instagram.
Pour l'avocat Ali Mojtahedzadeh, cité par le journal réformateur Shargh, la loi a des "lacunes" concernant la protection des femmes. Elle ne leur octroie pas d'indépendance et échoue à "déterminer rationnellement l'âge légal du mariage afin de mettre fin au mariage d'enfants."Tout cela "ouvre la voie aux crimes d'honneur", regrette-t-il.
#HumanRights and women's rights advocates must take action against clerical regime's crimes! #Iran only 17 beheaded by her husband in Ahvaz! pic.twitter.com/tdgEXaUmMz
— HoDa Rahnama (@HODA_R) February 7, 2022
"Il n'y a aucune mesure concrète pour garantir l'application des lois visant à empêcher la violence contre les femmes", souligne de son côté la députée Elham Nadaf, citée par l'agence de presse Ilna. "Les femmes appellent le Parlement à prendre des mesures urgentes pour combler certaines lacunes juridiques et les autorités doivent s'efforcer parallèlement pour élever le niveau de conscience de la population", a déclaré sur Twitter la vice-présidente iranienne chargée des Femmes et des Affaires familiales, Ensieh Khazali.
Plusieurs milliers de femmes sont tuées chaque année dans le monde sous le motif "d'honneur", selon l'association Human Rights Watch. Une étude publiée en 2020 par la revue scientifique The Lancet a recensé 8.000 victimes en Iran entre 2010 et 2014. Une estimation qui ne traduirait qu'une partie de l'ampleur du fléau des féminicides, la plupart des familles préférant ne pas porter plainte et garder le silence. Le magazine rapporte aussi que certaines des victimes avaient moins de quinze ans, d’autres à peine dix ans.
En décembre 2019, l’agence de presse officielle ISNA précisait que "les crimes d’honneur" représentaient environ 20 % de tous les meurtres et 50 % des meurtres familiaux en Iran. L’Iran est l’un des quatre pays qui n’ont pas adhéré à la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.
Début octobre 2021, un autre meurtre mettait en lumière le drame des crimes d'honneur en Iran.
Faezeh Maleki, une veuve de 22 ans, a l’intention de se remarier avec l’homme dont elle est amoureuse. Son père n’est pas d’accord avec ce mariage. Il décide de l'enfermer dans les toilettes d’un jardin, avant de l'asperger d’essence et de l'immoler par le feu. La victime, brûlée à 80% finit par décéder de ses blessures à l'hôpital. Le père de Faezeh a déclaré que sa fille s’était auto-immolée. Aucune autopsie n'a été effectuée. Les responsables ont eux aussi conclu à une auto-immolation.
"Aucun endroit n’est sûr pour les femmes", " Nous sommes toutes des Faezeh", "Tout le monde porte une responsabilité dans le meurtre des femmes", "Non au meurtre des femmes", pouvait-on lire sur les pancartes brandies par un groupe de militantes des droits des femmes kurdes, quelques jours après la mort de Faezeh, rassemblées devant le ministère de la Justice à Sanandaj, la capitale de la province du Kurdistan iranien.
"Dans de nombreux crimes d’honneur commis contre des jeunes femmes, la police et le système judiciaire agissent avec négligence. Ce qui revient à un permis de tuer", indique sur son site internet Le Comité de soutien aux droits de l’homme en Iran (CSDHI).
"Je crois que les crimes d’honneur sont ancrés dans le sentiment de 'posséder le corps et la vie d’une femme', et tout meurtre ancré dans ce sentiment de propriété est considéré comme un crime d’honneur", estime la militante des droits des femmes Rezvan Moghaddam, qui a documenté les crimes d’honneur en Iran au cours des dernières décennies, dont les propos sont rapportés par le Comité.
"En examinant l’article 301 et le grand nombre de filles tuées par leur père, on découvre que la plupart de ces meurtres ont pour but de protéger la dignité du père. Les articles 612 et 630 de la loi islamique sur les châtiments concernent les femmes. Dans ces articles, le pouvoir judiciaire accorde la décision légale au meurtrier. Ainsi, la violence à l’égard des femmes trouve ses justifications légales et sa licence"(Source : Iran HRM), lit-on encore sur le site.
Romina Ashrafi, tuée par son père à Gilan.
Sargol Habibi, tuée par son mari à Sanandaj.
Mobina Souri ,14 ans, étranglée avec son foulard par son mari, un jeune religieux.
Les soeurs Sahar et Moradi Bayan, dont les plaintes pour violence conjugale n’ont pas été prises en compte.
Faezeh Maleki, 22 ans, brûlée vive.
Mona Heidari, 17 ans, décapitée par son mari et son beau-frère.
Chaque jour, la liste s'allonge.
Qui sera la prochaine et qui saura même son nom ?