Fil d'Ariane
Francis Dupuis-Déri enseigne la science politique et les études féministes à l’Université du Québec à Montréal. Il publie aux éditions Textuel Les hommes et le féminisme. Faux amis, poseurs ou alliés ?.
Comment se mettre aux côtés des féministes lorsqu’on est un homme ? Comment être un bon allié, dans la vie privée comme dans la sphère publique et l’action militante ? Et cela sans tomber dans une attitude paternaliste, et sans prendre la pose sur la photo de famille féministe, avant de disparaître à la première difficulté ? Telles sont les épineuses questions auxquelles se confronte le politologue Francis Dupuis-Déri.
Comment être un bon allié du féminisme quand on est un homme ?
En s’inspirant de réflexions féministes et de l’histoire méconnue des hommes proféministes ainsi que de leurs engagements contemporains en Occident et ailleurs, Francis Dupuis-Déri rappelle que cette position paradoxale peut entrainer différents problèmes pour les femmes elles-mêmes, tant est poreuse la frontière entre vrais alliés et faux amis.
Ce livre, qui s’adresse aussi aux féministes qui les côtoient ou les endurent, se termine par un guide pratique de disempowerment à l’usage des hommes « proféministes ».
Francis Dupuis-Déri enseigne la science politique et les études féministes à l’Université du Québec à Montréal. Il est engagé depuis les années 1990 dans des mobilisations de sensibilité féministe en France et en Amérique du Nord. Il a notamment publié La crise de la masculinité. Autopsie d’un mythe tenace (Points, 2022) et chez Textuel, Les nouveaux anarchistes (2019).
Françis Dupuis-Déri était l'invité du journal de TV5monde. Entretien signé Patrice Férus.
Dans l'intitulé de votre livre, vous utilisez le terme de poseur, qu'est ce ça signifie ?
Françis Dupuis-Déri : les poseurs, ce sont les féministes de façade. C'est ceux qui jouent sur des déclarations, qui se la jouent "cool", mais qui en réalité, non seulement n'ont pas de pratiques égalitaires avec les femmes, et qui parfois même en profitent !
Vous dénoncez des manipulations, comment ça se manifeste ?
Dans le livre, je retourne aux propositions et aux critiques des féministes elles-mêmes. Il y a plusieurs féministes qui au cours de plusieurs décennies et même des siècles, que ce soit en Afghanistan, aux Etats-Unis, une afro-américaine comme bell hooks par exemple, qui ont vu tout le temps des hommes arriver pour se joindre à leur combat. Certaines s'en réjouissent mais il y en a d'autres à qui ça pose plusieurs problèmes. Cela va de la prise de parole, on parle au nom des féministes ou pour les féministes, on leur explique qu'elles sont bien gentilles mais qu'il y a des erreurs, que ce n'est pas ça la stratégie, qu'il y a des priorités ... Elles sont invisibilisées. Et dans les cas les plus graves, il y a des hommes qui se disent des alliés, des proféministes et qui se révèlent être de parfaits salops voire même des agresseurs.
Parfois les hommes sont les mieux placés pour convaincre d'autres hommes. Françis Dupuis-Déri, chercheur
Dans votre ouvrage vous citez l'exemple de Matiullah Wesa, fondateur de Pen Path, un réseau d'écoles pour filles en Afghanistan qui a été arrêté par les talibans à Kaboul. C'est problématique que le salut des femmes passe par les hommes ?
Il y a des situations où les féministes sont contentes que des hommes rejoignent leur rang. Par exemple, pour le droit de vote pour les femmes, s'il n'y avait pas eu des hommes parlementaires qui un jour ont décidé que c'était bon, elles ne l'auraient pas eu puisqu'il n'y avait que des hommes au parlement. Et puis d'autres féministes disent qu'il faut des hommes proféministes avec elles parce que ça augmente leur force et ça donne une meilleure image du mouvement. Et aussi parce que parfois les hommes sont les mieux placés pour convaincre d'autres hommes. Il y a aussi la position de certains hommes qui disent "nous, on va être avec vous mais on va être auxiliaires". Notamment sur le plan logistique ou événementiel.
Quand on regarde les sondages, seulement 40% des hommes disent appuyer la cause féministe. Françis Dupuis-Déri
Est-ce que ça progresse ?
Il y a de plus en plus de personnalités, on pense à Barack Obama aux Etats-Unis, Justin Trudeau au Canada, Emmanuel Macron en France qui a dit que c'était une des priorités du quinquennat de faire progresser l'égalité entre les hommes et les femmes. Cela dit, malheureusement et c'est assez étonnant, on pense que c'est quelque chose d'acquis; que ce sont des valeurs fondamentales en France, en Belgique, au Canada. Mais quand on regarde les sondages, seulement 40% des hommes disent appuyer la cause féministe, et je précise bien qu'il s'agit d'un sondage, car on peut dire aussi qu'on est pour l'environnement mais dans la pratique avoir des comportements qui sont en contradiction avec cette position.
Justement, concernant Barak Obama ou Justin Trudeau, quel est leur bilan sur ces questions ?
Disons qu'en partie, ce sont des jeux de déclarations. Justin Trudeau se déclare aussi très solidaire des minorités de genre, de la communauté LGBT, donc on le retrouve dans les gaypride. Mais c'est sûr qu'il y a un effet un peu spectacle dans ce genre de démarche.
On comprend dans votre livre que le défi des hommes proféministes revient à un jeu d'équilibriste, ça peut se constater notamment sur la question de l'avortement ?
C'est tout à fait exact. Ce que j'essaye de dire c'est que c'est facile de se dire proféministe quand il n'y a pas de coût et que ça nous avantage. Des hommes progressistes peuvent se dire en faveur du droit à l'avortement. D'ailleurs ils le sont souvent. Ce qui ne veut pas dire qu'ils ne feront pas pression sur leur conjointe ou leur partenaire sexuelle pour qu'elle se fasse avorter parce que ça les arrange qu'il n'y ait pas d'enfant qui naisse d'une relation sexuelle par exemple.
Un mot des "Unvoluntary celibate", un mouvement d'hommes célibataires ?
Là, on est de l'autre côté. Mon travail ici dans ce livre est sur les hommes proféministes. J'ai tout un pan de ma recherche qui est sur l'antiféminisme, avec la sociologue Melissa Blais. Ceux qu'on appelle les "Unvoluntary celibate", les "Themselves", qu'on pourrait traduire par "chastes involontaires", c'est une communauté en ligne, des dizaines de milliers de jeunes hommes, qui se lamentent de ne pas avoir de relations sexuelles, qui sont souvent très misogynes. Il y a eu des cas d'attentats, de meurtres de masse, au Canada, aux Etats-Unis, en Angleterre du fait d'hommes qui appellent à la vengeance.
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