Fil d'Ariane
Cette été 2018, la pré-rentrée universitaire est féministe ! Le campus de Nanterre (autrefois Paris X, aujourd’hui Paris Ouest), terrain de jeu des étudiant.es révolutionnaires, s'est transformé le temps d’une semaine en temple de la recherche féministe. Plus de 1500 personnes, dont moi-même se pressaient toute la semaine du 27 au 31 août pour participer, ou assister à ce congrès, le CIRFF 2018.
L'événement a pour moi des airs de voyage dans le temps et me renvoie à mes années fac. Dans le grand hall du bâtiment principal du campus se tiennent les stands d’inscription au congrès, ainsi que les diverses maisons d’édition spécialisées. Il y a comme une ambiance de rentrée à Nanterre, où spécialistes du féminisme francophone côtoient des étudiants venus faire leur pré-inscription.
Comme pour les cours, une fois l'étape inscription et frais d'inscription réussie, il s’agit de faire le choix le plus judicieux possible, parmi toutes les conférences données au même moment (plus de quinze à la fois, en fonction des sessions), tout comme c'était le cas au moment de choisir les cours auxquels on doit s'inscrire. Tote bag (sac en toile souple à deux anses) offert par le congrès à l’épaule, contenant le lourd programme de plus de 300 pages de la semaine, direction les différentes salles de cours.
330 pages d'un programme très enthousiasmant : des centaines d'interventions de féministes francophones. Le #CIRFF2018 à Nanterre, the place to be. pic.twitter.com/N4ra1ri8G2
— Marion Charpenel (@mamacharp) 28 août 2018
Le CIRFF 2018 commence. Le programme fait plus de 300 pages. Nous devrons nous dispatcher, des communications très intéressantes se chevauchant. pic.twitter.com/KMn2Agv2PW
— Réseau International des Mères en Lutte (@reseauiml) 27 août 2018
Plus que jamais les souvenirs des années estudiantines sur ce même campus refont surface, et rendent service pour se repérer. De nombreux bénévoles sont là, uniquement pour guider les participants égarés dans les couloirs de l'université.
Féminisme en Afrique Subsaharienne, Féminismes et croyances, Violences faites aux femmes dans la région Euro-Méditerranéenne, L'art du portrait comme arme militante, autant d'exemples de thèmes de conférences ou d'ateliers abordés durant ces quelques jours. Le féminisme dans toute sa diversité envahit l'Université de Nanterre.
Comme ces Catalanes enthouiastes : "Les Dones pel Futur (Femmes et présents pour le futur, Barcelone) participent à la huitième édition du CIRFF, espace privilégié d'échanges et de débats entre chercheurs de toutes sortes, étudiantes, militantes et acteurs sociaux impliqué.es dans la production de connaissances féministes en français, dans le contexte des études féministes, de genre et des femmes."
DxF va participar en la vuitena edició del CIRFF, espai privilegiat d'intercanvi i debat entre investigadors de tot tipus, estudiants,activistes i actors socials, involucrats en la producció de coneixement feminista en francès, entorn d'estudis feministes, de gènere i de dones. pic.twitter.com/TVGfhwAY13
— DonespelFutur (@DonespelFutur) 29 août 2018
Initialement créé pour un public essentiellement universitaire et associatif, ce congrès reste assez scientifique dans sa démarche, mais est ouvert au grand public. Étudiantes, chercheuses, journalistes, mais aussi militantes, activistes et artistes de tous âges, de tous horizons et d’origines diverses sont présentes pour échanger, s’informer, et apprendre.
Delphine Naudier, directrice de recherche au CNRS (Cultures et genres), et travaillant au Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris (CRESPPA) fait partie du comité scientifique en charge de l’organisation de ce congrès, à l’université de Nanterre. Elle nous rappelle l’historique de ce projet : “ La toute première édition du congrès a eu lieu en 1996 (à l'Université Laval à Québec, ndlr), après une rencontre en 1995 au Brésil qui réunissait des féministes francophones. Les collègues du Québec étant exposées au monde anglophone se sont alors demandées si la pensée féministe pouvait aussi être discutée entre femmes francophones. Regroupant des universitaires venant de disciplines très diverses, un premier colloque était alors organisé en 1996, intitulé : “La recherche féministe dans la francophonie ”. Ensuite s’est posée la question de la date et du lieu de l'édition suivante. Fatou Saw, une chercheuse du CNRS en poste au Sénégal, a suggéré que le deuxième colloque se passe à Dakar, car finalement l’Afrique était le continent où l’on trouvait le plus de personnes francophones. Le deuxième colloque eut bien lieu en 1999 à Dakar, avec l’idée de continuer à organiser le congrès dans des pays francophones, mais en changeant de continent à chaque fois."
Après Québec et Dakar, le congrès vient en Europe, à Toulouse plus particulièrement, en 2002. Puis Ottawa, Rabat, Lausanne, et à nouveau Québec, en 2015. La 8ème édition a donc choisi Paris, ou plutôt la banlieue parisienne, et pas en Afrique, comme on aurait pu s’y attendre : “On aurait aimé que ça revienne en Afrique mais il était difficile pour nos collègues d'organiser cela pour des raisons économiques, politiques. Elles n'étaient pas en mesure de proposer une telle organisation pour cette édition. C’est vrai qu’on est passé d’une centaine de personnes lors du premier colloque à Québec à près de 1500 personnes inscrites cette année à Paris.”
La durée de chaque congrès peut être variable tout comme les sujets proposés. “Certaines éditions ont des thématiques très ciblées et parfois comme cette année à Nanterre, les thèmes abordés sont bien plus vastes”.
Il y a toujours cette opposition entre d’un côté les militantes, et d’un autre côté les scientifiques, qui est en fait une fausse opposition dans la mesure où les scientifiques sont aussi des militantes.Delphine Naudier, directrice de recherches au CNRS
Le public est composé en majorité de chercheuses-enseignantes mais pour Delphine Naudier, l’essentiel est de varier les intervenantes : “C’est à dominante universitaire, avec énormément de jeunes. Il y a une vocation scientifique mais aussi une vocation militante, pour se socialiser au(x) féminisme(s), ils sont divers et variés et parfois conflictuels. Il y a toujours cette opposition entre d’un côté les militantes, et d’un autre côté les scientifiques, qui est en fait une fausse opposition dans la mesure où les scientifiques sont aussi des militantes. C’est vrai qu’il demeure difficile de faire en sorte que les militantes de terrain aient la même place que celle occupée par les universitaires. Autant que possible on essaye de créer des liens avec les associations présentes. Elles peuvent faire des conférences, proposer des choses. La sélection est très ouverte, surtout quand la thématique générale est large, comme cette année. De façon générale on essaye d’ouvrir à un plus grand nombre.”
Aujourd’hui je me demande si effectivement il ne faudrait pas décoloniser la recherche et le monde académique français.Malika Hamidi, sociologue, spécialiste du féminisme musulman
La sociologue Malika Hamidi, auteure d’une thèse et d’un ouvrage sur le féminisme musulman (Un féminisme musulman, et pourquoi pas ? aux éditions de l'Aube) est très souvent confrontée à cette opposition.
Il est fréquent qu’on tente de décrédibiliser ses recherches, et que certain.e.s taxent ses travaux d’idéologie.
Lors de son intervention pendant ce congrès elle est revenue sur ce point : “Parler d'idéologie alors que je viens avec des références scientifiques, académiques, alors que j’ai fait une thèse sur le sujet, je trouve cela vraiment déplacé. Si ma casquette de militante pose problème, moi, je l’assume. Aux États-Unis, ce genre d’intellectuel.le.s militants sont appelé.es "Scholar activists", et ne posent aucun problème. Dans un contexte français, celles-ci, surtout quand il s’agit de musulmanes ont encore une fois énormément de mal à faire leur place. Aujourd’hui je me demande si effectivement il ne faudrait pas décoloniser la recherche et le monde académique français.”
Ce congrès est justement également l’occasion de découvrir d’autres points de vue, et pourquoi pas de créer des vocations ou inspirations. Ines et Sharie ont la vingtaine et sont de jeunes étudiantes originaires d’Amérique du sud. Elles tiennent le stand des cahiers du CEDREF, revue annuelle pluridisciplinaire féministe, qui traite des questions intersectionnelles et décoloniales, pendant ce congrès.
Naturellement intéressées par ces questions elles profitent de l’événement pour en apprendre plus sur ces thèmes avec ce congrès. Sharie nous raconte les différentes questions qu'elle se pose sur le féminisme : “On alterne pour essayer d’aller aux conférences à tour de rôle et continuer à tenir notre stand. Il faut toujours se poser des questions sur les courants dominants dans le monde académique, comme l’universalisme. Il existe différentes façons de se poser des questions sur les oppressions et parfois on peut tomber dans de l’essentialisme."
Je suis vraiment étonnée que ça soit si grand et qu’il y ait autant de conférences et de participantes, alors bien entendu c’est aussi grâce à la francophonie, mais je me dis qu’en Amérique latine, on pourrait faire la même chose. C’est impressionnant et passionnant.
Ines, étudiante mexicaine
Pour Ines, sa camarade, c'est surtout l'envie d'avoir ce type d'événement dans son pays d'origine qui l'anime : "Moi je suis Mexicaine et mon amie est du Pérou, et on se demandait justement s’il y avait de tels événements dans nos pays. Il y en a peut être dans quelques universités mais pas de cette taille là. Là, je suis vraiment étonnée que ça soit si grand et qu’il y ait autant de conférences et de participantes, alors bien entendu c’est aussi grâce à la francophonie, mais je me dis qu’en Amérique latine, on pourrait faire la même chose sur tout le continent. C’est impressionnant et passionnant. Nous sommes dans un master de recherches sur le genre et c’est très important dans les recherches qu’on fait. Je suis vraiment ravie d’être venue ici."
Les femmes Africaines ou originaires d’Afrique sont présentes en nombre à cette 8ème édition. Parmi elle, Régine Alende Tshombokongo, directrice générale du centre d’encadrement pour jeunes femmes immigrantes (CEJFI) à Montréal au Canada.
Les femmes immigrantes sont toujours laissées en arrière par les femmes issues de la majorité. Nous voulons occuper des places, nous voulons l'égalité des chances, et pour cela il faut que les femmes avancent ensemble.Régine Alende Tshombokongo, directrice générale du centre d’encadrement pour jeunes femmes immigrantes, Montréal
Cette activiste de terrain est venue créer des liens avec le monde de la recherche universitaire pour faire avancer sa cause : “Le meilleur moyen pour changer les choses, c’est la recherche. Par mon association je travaille avec le milieu universitaire, et je souhaite qu’il y ait un pont entre les communautés et les universités. Le terrain n’a pas toujours accès aux recherches qui se font et qui ne prennent pas souvent en compte ces femmes (actrices de terrain, nldr). Il y a un manque d’information là-dessus. Il n’y a déjà pas beaucoup de recherches qui se font dans ce sens. S’il y a collaboration entre universitaires et organismes communautaires c’est bénéfique pour toutes. Par exemple dans mon domaine, celui des femmes immigrantes, je veux faire en sorte qu’il y ait plus de recherches en collaborant avec nous, afin de soulever les vraies questions. Ça peut faire avancer la question des femmes en général. Les femmes immigrantes sont toujours laissées en arrière par les femmes issues de la majorité. Nous voulons occuper des places, nous voulons l'égalité des chances, et pour cela il faut que les femmes avancent ensemble. Je trouve que des événements comme celui là sont importants. Nous sommes en contact avec le savoir, et nous réfléchissons ensemble pour améliorer nos démarches.”
Nous manquons de statistiques, nous ne savons pas quels sont les problèmes auxquels les femmes scientifiques font face, et pourquoi elles n’émergent pas beaucoup.Joséphine Guidy Wandja, agrégée en mathématiques
La professeure Joséphine Guidy Wandja, agrégée en mathématiques en Côte d’Ivoire, est invitée à ce congrès pour la première fois. Malgré la fatigue après une journée éreintante, elle profite d’une pause café pour se confier sur ses impressions : “C’est mon premier CIRFF, et je suis agréablement surprise de voir la diversité des champs d’interrogations du monde féminin.
Quand on est un peu fermé dans notre monde scientifique, on ne voit pas le reste, et j’en suis ravie. J’ai participé à des tables rondes sur le sujet de la démocratie du Nord au Sud, et de telles recherches peuvent avoir aussi des répercussions dans nos pays. Je viens d’assister à une table ronde sur les femmes scientifiques dans l’Afrique francophone. Il y a beaucoup de choses que nous n’avons pas évaluées, nous les Francophones. Je trouve que nous ne sommes pas aussi avancées que les Anglophones. Nous manquons de statistiques, nous ne savons pas quels sont les problèmes auxquels les femmes scientifiques font face, et pourquoi elles n’émergent pas beaucoup. C’est déjà une très bonne chose de se rencontrer. Chacune peut faire le point sur son pays. Finalement nous avons les mêmes résultats. Pays Africain ou Européen, le pourcentage des femmes dans les domaines scientifiques est très faible. Quelles actions devons-nous mener ? Nous faisons face à de nombreux stéréotypes qui sont autant d’obstacles. La femme est brillante partout. Mais quand il s’agit des études supérieures, les femmes s’orientent plutôt vers le social, et pas vers l’informatique, ou la science. Or, ce sont des métiers porteurs pour l’avenir en Afrique. Tous les défis du monde actuels (changements climatiques par exemple) ne peuvent trouver une solution que dans la science. Il faut que nous encouragions les femmes à aller vers les sciences, et que nous puissions mobiliser des fonds pour les aider. Le probleme du financement est majeur. Il y a une évolution quand même, elles sont plus nombreuses. J’ai vu qu’en Afrique du Nord elles sont plus nombreuses à se diriger vers des carrières scientifiques, en particulier les mathématiques, qu’en Afrique subsaharienne. Elles auraient pu faire plus avec de meilleurs moyens.”
Un peu à l’écart du tumulte, dans un autre bâtiment du campus, se tient l’exposition photo des dix finalistes du concours de la Fondation des femmes de l'euro-méditerranée lancé à l’hiver 2017/2018. L’occasion pour Fouzia Assouli, juriste et activiste marocaine, présidente de la Fondation de revenir sur les liens entre art et militantisme féministe : “Il est primordial de donner de la visibilité à l’art dans le féminisme. Que ce soit par le biais de photos, comme ici avec l’exposition des oeuvres des lauréates de notre concours, ou que ce soit par la danse, le théâtre, les films, comme on peut le voir pendant ce congrès.” Elle ajoute que “le monde universitaire et le milieu associatif devraient créer plus de passerelles avec les artistes pour amener le féminisme par l’art”.
Message entendu par les participantes qui se sont ruées en fin de journée, ce mardi 28 août 2018, pour aller profiter de la projection du documentaire à succès “Ouvrir la voix” d’Amandine Gay dans un des amphithéâtres rénovés du campus de Nanterre, complet pour la projection.
#CIRFF2018 Expo des Bobines féministes « Prolétaires de tous les pays. Qui lave vos chaussettes ? ». Coup d’oeil sur un incroyable travail d’archivage sur le Mouvement de Libération des Femmes. pic.twitter.com/TpDxx6suu2
— Le Monde selon les femmes (@LeMSLF) 28 août 2018