Editorialiste à TV5MONDE, Slimane Zeghidour s'exclame : "
C'est un cancer, un enfer, le problème du logement à Alger. Et ça depuis l'indépendance. C'est la question dont tout le monde parle tout le temps en Algérie. C'est une course d'obstacles de se loger dans la capitale, et pour les femmes seules c'est quasiment impossible." Mais comme dans d'autres grandes villes, telles Paris, ce n'est pas tant les appartements vacants qui manquent, que
la spéculation qui les gèle.
Le temps des célibataires
Le magazine féminin
Dziriya révèle un phénomène qui ne cesse d'amplifier : d'après les données publiées en 2016 par l'
Office national des Statistique algérien, sur 18 millions de femmes recensées (soit environ 48% de la population totale de l'Algérie), 11 millions sont célibataires, plus de la moitié donc. 50% des femmes algériennes en âge de procréer le sont aussi. 200000 femmes viennent chaque année grossir ces statistiques. Et de commenter : "
par effet de coutumes et considérations religieuses, notre société n’est pas tolérante vis-à-vis du célibat, et c’est le célibat féminin qui capte majoritairement les commentaires et les discussions non pas celui des hommes".
Cette explosion du célibat des femmes, dûe à l'évolution de la société, à l'accès pour les filles aux études supérieures, entraîne une autre explosion, celle des demandes de logements pour femme seule.
Interrogée par le quotidien El Watan, en 2013, la sociologue et féministe Nacéra Merah observait : «
Les femmes ont, depuis la nuit des temps, vécu seules pour des tas de raisons. Ça ne se voyait pas, car les femmes rurales vivaient dans des tribus, mais en cas de célibat, de veuvage ou de divorce, même si elles étaient obligées de servir la grande famille ou de travailler un petit lopin de terre, elles étaient indépendantes. Cependant, le fait qu’une femme célibataire fasse une demande de logement séparé pour vivre seule est un phénomène relativement nouveau. »
Le fait qu’une femme célibataire fasse une demande de logement séparé pour vivre seule est un phénomène nouveau
Nacéra Merah, sociologue
Dans le même article, Cherifa Kheddar, présidente de l’association féministe Djazaïrouna et porte-parole de l’Observatoire des violences faites aux femmes (OVIF), affirme : « Il y a un an à Blida (ville de 200000 habitants à 50 kms au sud ouest d'Alger, ndlr), sur 60 demandes, 19 femmes avaient obtenu un logement en leur nom, dont quatre pour elles seules, suscitant de vives réactions de la part d’hommes qui, eux, ont à leur charge une famille ». Selon elle, « des femmes qui sont maintenant en pré-retraite ou retraitées avaient profité dans les décennies 1970-80 d’une offre plus accessible de logement pour emménager seules ». Aujourd'hui, les logements sont attribués en priorité aux familles avec des enfants. « Les femmes se tournent vers des offres professionnelles de l’Etat, mais ces dernières sont plus chères que les logements sociaux. Les femmes cadres, qui peuvent avoir accès au crédit, acquièrent plus facilement un bien dans le privé.» Quant aux femmes divorcées, la réprobation morale qui s'abat sur elles, augmente encore leurs difficultés à trouver un appartement à louer. Seules les pus fortunées, qui peuvent acheter, ou les filles de famille disposant d'un patrimoine immobilier, parviennent à pousser les murs.
La double peine des divorcées
Plus sèchement, le HCR (Haut commissariat des Nations unies pour les Réfugiés) consacrait, en août 2015 avec mise à jour en cette mi mars 2017,
une note d'information à la situation des femmes célibataires ou divorcées qui vivent seules, particulièrement à Alger; information indiquant si elles peuvent obtenir un emploi et un logement : "
Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, le directeur des projets de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH), une ONG dont le siège est à Alger et qui oeuvre à « l'acculturation, la défense et la promotion des droits de l'homme en Algérie et dans le monde » (LADDH s.d.), a déclaré que vivre seule pour une femme célibataire ou divorcée en Algérie n'est pas une pratique courante (ibid. 16 juill. 2015). Allant dans le même sens, la présidente de l'Association femmes algériennes pour le développement (AFAD), une ONG algérienne présente dans 18 wilaya [préfectures] à l'échelle du pays, y compris à Alger, qui oeuvre pour « l'insertion et la réinsertion [sociale] des femmes en situation de vulnérabilité », a affirmé dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches que les femmes célibataires « vivent très peu seules » (4 juill. 2015). (.../...)
Des sources font état de la difficulté pour une femme célibataire ou divorcée de se trouver un logement en location (LADDH 16 juill. 2015; SOS Femmes en détresse 11 juill. 2015). Selon la présidente de SOS Femmes en détresse, « rares [sont] les propriétaires ou les agences immobilières qui acceptent de louer à une femme seule » (ibid.). Selon la même source, il serait toutefois plus facile pour une femme seule de louer un logement dans les grandes villes plutôt qu'en milieu rural, où il est « tout simplement impensable de vouloir vivre seule » (ibid.). Selon le directeur des projets de la LADDH, les propriétaires qui louent des appartements tiennent compte de la « "moralité" » des femmes qui font une demande de logement en leur nom propre (LADDH 16 juill. 2015). Selon cette même source, il arrive que les femmes aient recours à la location « au nom d'un proche masculin » ou acceptent de payer un loyer plus cher qu'un homme pour obtenir un logement."
Personnes "sérieuses" exigées
« Il y a déjà un filtre dans les annonces. On nous dit clairement et sans gêne : on ne veut que des familles, pas de célibataires. Et finalement il ne reste que les appartements les plus chers », explique au magazine participatif féminin Intymag Nesrine, qui vit depuis deux ans en colocation à Alger. Avant de pousuivre : « Lorsque tu passes le test de l’annonce, tu rencontres la personne qui te loue l’appartement et là tu subis une enquête. On me demandait ce que je faisais dans la vie, à quelle heure je rentrais, qui je connaissais… »
Comme ailleurs, les procédures de contournement existent, entre sysème D et appel à la famille. « Je n’ai jamais loué d’appartement en mon nom. C’est toujours mon père qui a signé mon bail. Comme s’il se portait garant », confie Tina, une jeune Algéroise de 30 ans.
Mais lorsque les candidates parviennent enfin au but, habiter un "chez soi", c'est alors un contrôle social de voisinnage qui se met en place. Nesrine se moque : « Au début, on te précise bien que les voisins surveillent le quartier. Au début ça te rassure, tu te sens en sécurité. Mais tu ne comprends pas tout de suite qu’en réalité ils te surveillent toi, et que tu vas devenir le centre de leur attention ». Parfois des menaces s'ensuivent pour faire déguerpir les célibataires, ces troubles fêtes à l'ordre social. Et nombre de jeunes femmes se demandent souvent si elles parviendront jusqu'à la fin de leur bail à conserver leur logement.
#yaduboulot
Retrouvez les Hauts Parleurs sur > TV5MONDE
Pour suivre Sylve Braibant sur twitter : braibant1