"Femme, vie, liberté" en Iran : l'actrice féministe Taraneh Alidoosti libérée

Elle est Leïla dans Leïla et ses frères, Rana dans Le Client. L'actrice Taraneh Alidoosti a été arrêtée le 17 décembre 2022 pour son soutien à la contestation qui gronde en Iran depuis plusieurs mois, déclenchant une vague d'appels à sa libération. Trois semaines pour tard, la militante des droits des femmes sort de prison.
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Taraneh Alidoosti à cannes
Taraneh Alidoosti lors de la présentation du film Leila et ses frères au 75e festival international du film de Cannes, 26 mai 2022. 
©AP Photo/Daniel Cole
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Vedette du grand écran en Iran, et au-delà, Taraneh Alidoosti, 38 ans, a été appréhendée le 17 décembre 2022. Cette féministe assumée se faisait ouvertement l'écho des protestations contre le régime théocratique d'Iran qui ont éclaté voilà près de trois mois, en réaction à la mort de Mahsa Amini, arrêtée pour un voile mal porté. 

C'est seulement le 4 janvier 2023 que son avocate Zahra Minooee annonce à l'agence de presse Isna : "Ma cliente a été libérée sous caution aujourd'hui". Des photos la montre tête nue, sans voile, portant un bouquet de fleurs et discutant au téléphone, à sa sortie de prison, où des amis et collègues l'avaient accueillie. Des figures du cinéma iraniens figuraient parmi eux dont les metteurs en scène Mani Haghighi et Saeed Roustayi. D'autres photos la montrent dans une voiture tirant la langue et faisant le V de la victoire avec ses doigts.

L'actrice britannique d'origine iranienne Nazanin Boniadi salue le courage de sa consoeur qui apparaît "courageusement sans le voile obligatoire sur les photos après sa libération". Ce voile, qui est à l'origine de la rébellion de tout un pays...

Le voile de la colère

Début novembre 2022, Taraneh Alidoosti poste sur les réseaux sociaux une photo où elle se montre sans voile, avec une pancarte portant, en kurde, le slogan "Femme, Vie, Liberté", devenu le cri de ralliement du mouvement de contestation qui secoue l'Iran.

L'actrice et militante promet alors de rester dans son pays, assurant ne pas craindre de "payer le prix" pour défendre ses droits ; elle annonce son intention d'arrêter de travailler pour soutenir les familles des personnes tuées ou arrêtées lors de la répression. Elle déclare ne détenir aucun autre passeport que son passeport iranien et ne posséder aucune résidence à l'étranger. "Je suis de ceux qui restent ici et qui n'ont pas l'intention de partir", écrit-elle sur Instagram.

Je resterai, j'arrêterai de travailler. Je resterai aux côtés des familles des prisonniers et des personnes tuées. Je serai leur avocate.Taraneh Alidoosti

Sur le réseau social, Taraneh Alidoosti ajoute : "Je resterai, j'arrêterai de travailler. Je resterai aux côtés des familles des prisonniers et des personnes tuées. Je serai leur avocate... Je me battrai pour ma patrie. Je paierai le prix qu'il faudra pour défendre mes droits et, surtout, je crois en ce que nous construisons ensemble aujourd'hui.

Taraneh Alidoosti s'élève ainsi contre la répression violente des manifestations : depuis la mort de Mahsa Amini, des centaines de personnes ont été tuées, des milliers arrêtées et deux hommes de 23 ans ont été pendus. Le 8 décembre, elle dénonce la pendaison de Mohsen Shekari. "Toute organisation internationale qui regarde ce bain de sang sans réagir représente une honte pour l'humanité", écrit-elle sur Instagram.

Féministe, tatouée : la double provocation

L'engagement de l'actrice pour l'égalité entre les femmes et les hommes n'est pas nouveau. En mai 2016, Taraneh Alidoosti est à Cannes pour présenter Le Client, du réalisateur Asghar Farhadi, dans lequel elle joue le premier rôle féminin. Sur une photo apparaît, sur son avant-bras, un tatouage féministe. En Iran, l'image fait scandale. D'une part parce que le tatouage est considéré comme une pratique occidentale contraire au régime, d'autre part pour son engagement féministe, dont certains déduiront que celle qui l'arbore est favorable à l'avortement.

Face aux réactions violentes, voire aux menaces dont elle est la cible, elle confirme sur un compte Twitter (aujourd'hui suspendu) Keep calm and YES I'm a feminist ("Pas de panique et, OUI, je suis féministe").

Taraneh Alidoosti et le réalisateur Asghar Farhadi
L'actrice Taraneh Alidoosti et le réalisateur Asghar Farhadi au 69e festival international du film de Cannes pour présenter Le Client, le 21 mai 2016.
©AP Photo/Joel Ryan

Quelque temps auparavant, Taraneh Alidoosti avait affiché ses positions en épinglant une publicité pour un aspirateur qui lui était parvenue sur son compte Viber avec la mention "pour les femmes seulement". Elle réagissait en ces termes sur les réseaux sociaux : "Ceux qui pensent qu'un aspirateur est conçu uniquement pour les femmes… insultent non seulement les femmes, mais tous les hommes… qui ne les considèrent pas comme leurs servantes". Elle précise qu'une féministe est "une personne qui croit en l'égalité politique, sociale et économique entre les sexes".

#FreeTaranehAlidoosti

Célébrités, institutions, défenseurs des droits humains... Aujourd'hui, les voix s'élèvent pour appeler à la libération de Taraneh Alidoosti. À commencer par les professionnels du cinéma – de la direction des festivals aux acteurs et actrices du monde entier, tous expriment le choc et l'indignation.

"Taraneh Alidoosti est l'une des actrices les plus talentueuses et reconnues d'Iran, déclare Cameron Bailey, directeur du festival du film de Toronto, au Canada. J'espère qu'elle sera libérée bientôt pour continuer à représenter la force du cinéma iranien".

Le Festival de Cannes "condamne fermement" l'arrestation de l'actrice de Leïla et ses frères et demande sa "libération immédiate". "Solidaire du combat pacifique qu'elle mène pour la liberté et le droit des femmes", le Festival de Cannes lui adresse "tout son soutien" sur les réseaux sociaux. 

Le groupe pop britannique des Pet Shop Boys, dénonçant un "gouvernement fasciste" en Iran, a publié sur ses réseaux sociaux une photo de l'actrice et plusieurs liens renvoyant à des articles sur cette arrestation.

Le réalisateur Asghar Farhadi a lui aussi demandé ce 20 décembre la "libération" de l'actrice iranienne Taraneh Alidoosti par un post sur Instagram : "Je suis aux côtés de Taraneh et je demande sa libération ainsi que celle de mes autres camarades cinéastes Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof, et de tous les autres prisonniers moins connus dont le seul crime est d'avoir voulu une vie meilleure... Si montrer un tel soutien est un crime, alors des dizaines de millions de personnes de ce pays sont des criminels".

"La courageuse actrice iranienne a été arrêtée", écrit sur Instagram l'actrice Golshifteh Farahani, qui a débuté sa carrière en Iran avant de fuir. "Cette photo a été prise en juillet 2008 juste avant que je quitte l'Iran pour de bon", ajoute-t-elle, sous une photo des deux actrices.

Lettre ouverte

Près de 500 signatures du cinéma, dont les actrices Kate Winslet et Marion Cotillard, ou les réalisateurs Ken Loach et Pedro Almodovar, appellent ce 21 décembre dans une lettre ouverte à la libération immédiate de Taraneh Alidoosti. Emma Thompson, Golshifteh Farahani, Kristen Stewart, Jeremy Irons et Mark Ruffalo entre autres jugent que le moment choisi pour son arrestation, peu avant Noël, est délibéré "de façon que ses collègues à l'international soient distraits".

Nous sommes révoltés... Nous sommes solidaires et exigeons sa libération immédiate.
Appel à la libération de Taraneh Alidoosti

"Mais nous ne sommes pas distraits. Nous sommes révoltés, affirment-ils dans la lettre. Taraneh a été arrêtée pour avoir dénoncé sur Instagram l'exécution de Mohsen Shekari, le premier manifestant condamné à mort depuis le début des manifestations à l'échelle nationale qui ont suivi le meurtre brutal par la police de la Kurde iranienne Mahsa Amini en septembre, ajoutent-ils. Comme tous les citoyens d'Iran, elle a le droit à la liberté d'expression, à la liberté d'association et d'être libre de toute arrestation et détention arbitraires. Nous sommes solidaires et exigeons sa libération immédiate".

Inquiétudes

Somayeh Mirshamsi était assistante réalisatrice sur le film iranien Le Client, Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2017. Selon elle, Taraneh Alidoosti a appelé son père pour lui dire qu'elle était détenue à la prison d'Evine, à Téhéran, connue pour les mauvais traitements infligés aux détenus politiques, et lui demander de lui faire parvenir des médicaments. La famille de l'actrice est "inquiète" pour sa santé, selon Somayeh Mirshamsi. 

Des personnalités du cinéma iranien se sont alors rassemblées devant la prison d'Evine, selon le quotidien réformateur iranien Shargh, parmi lesquelles des acteurs de Leïla et ses frères

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits humains s'est dit "profondément préoccupé" par l'arrestation de Taraneh Alidoosti, soulignant que "toutes les personnes arrêtées pour avoir manifesté pacifiquement doivent être libérées immédiatement".

Le pouvoir des voix des femmes terrifie les dirigeants de la République islamique.Centre pour les droits de l'homme en Iran

"Des femmes sont arrêtées et emprisonnées en Iran pour avoir refusé de porter le hijab obligatoire, dont des actrices célèbres comme Taraneh Alidoosti. Le pouvoir des voix des femmes terrifie les dirigeants de la République islamique", estime le Centre pour les droits de l'homme en Iran, à New York.

Célébrités dans le collimateur 

Plusieurs autres artistes iraniens ont été interpellés, reconnaît la justice iranienne. Elle déclare que des "célébrités", dont Taraneh Alidoosti, ont été arrêtées "à la suite de commentaires sans fondement sur les événements récents et la publication de matériel provocateur soutenant des émeutes de rue". Le lendemain de l'arrestation de Taraneh Alidoosti, Amir Maghareh, le chanteur du groupe de pop Makanband, a été "convoqué en tant qu'accusé" ; il a pu "quitter le parquet après avoir donné des explications, reçu un avertissement et pris un engagement", selon Mizan Online, l'agence de la justice iranienne.