Femmes 2018 : Ada Hegerberg, premier ballon d'or féminin (9/10)

Voilà une championne dont le parcours fait rêver de nombreuses joueuses en herbe. Ada Hegerberg, norvégienne, 23 ans. Sous le maillot de l'équipe féminine de l'Olympique lyonnais, elle est devenue en 2018 la première dans l'histoire du football, à décrocher la version féminine du ballon d'or, graal s'il en est.
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ada et son ballon
©AP Photo/Christophe Ena
A 23 ans, la Norvégienne Ada Hegerberg est la première joueuse de l'histoire du football à décrocher le ballon d'or, créé en 1956 chez les hommes, en 2018 chez les femmes... (photo prise lors de la cérémonie à Paris, lundi 3 décembre 2018)
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ada et martin
©AP Photo/Christophe Ena
Ada Hegerberg décroche le premier ballon d'or féminin de l'histoire, à gauche Martin Solveig s'excuse après lui avoir demandé si elle savait danser le "twerk", danse du bassin des plus suggestives, lors de la cérémonie de remise du ballon d'or à Paris, le 3 décembre 2018.
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A 23 ans, Ada Hegerberg affiche un CV que nombre de joueurs, masculins, aimeraient accrocher dans leur chambre. La Norvégienne, déjà sacrée meilleure joueuse de la saison 2016 par l’UEFA, a remporté sous le maillot lyonnais trois Ligues des Champions, et vient donc de décrocher le premier Ballon d’or féminin de l'histoire du football. Enfin.

Pour cette première, un jury exceptionnel avait été formé par les instances de France Football, composé de 46 journalistes spécialisés, dont 28 hommes, à raison d'un.e représentant.e par pays. Le vote était serré entre la Norvégienne et ses 14 concurrentes. Ada a obtenu 136 points face à celle qui la suit, la Danoise Pernille Harder.

Décerné lundi 3 décembre 2018 sous les verrières du Grand Palais à Paris, ce prix c'est comme le graal pour tout supporter de ballon rond qui se respecte. Qui, tout petit, dès ses premiers pas derrière une balle dans sa cour, une rue de son quartier ou sur une pelouse de stade, n'a pas rêvé un jour de décrocher ce titre, celui du meilleur joueur du monde ?

Désormais, ce rêve n'est plus réservé aux garçons, qu'on se le dise, les filles aussi peuvent le garder dans un coin de leur tête, chaussettes relevées sur les mollets et crampons bien aiguisés. Car les victoires en foot féminin sont belles et nombreuses mais restent encore trop peu reconnues, médiatiquement et économiquement parlant. Hormis dans quelques clubs qui font figure d'exception, il faut enlever de nombreux zéros aux salaires des joueuses en comparaison à ceux accumulés par les stars du Mercato.

Malgré tout, chaque année en France, comme ailleurs dans le monde, citons notamment les Etats-Unis pionniers en la matière, le foot féminin engrange de plus en plus d'adeptes. Aujourd'hui, la Fédération française de football compte 2,2 millions de licencié.e.s, dont 160.000 féminines. Très peu de femmes en vivent et celles pour qui c'est le cas gagnent en moyenne 96% de moins que les hommes (chiffres de l'Observatoire des inégalités).

Martin Solveig, ballon d'or du sexisme ?

Un ballon d'or féminin ? Il a donc fallu attendre 2018, alors que le ballon d'or tout court (masculin donc) existe depuis ... 1956, soit 62 ans, pour que cette inégalité soit réparée, mais sans pour autant effacer d'un coup franc les (mauvaises) habitudes et les malentendus ou maladresses qui vont avec...

Illustration avec ces quelques mots prononcés par l'animateur de la soirée de remise des prix, le DJ Martin Solveig, sorte de ballon d'or de la planète electro, à l'attention de la lauréate. "Est-ce que tu sais twerker ?", demande-t-il en français à la joueuse norvégienne, qui lui répond non en détournant la tête. (Le twerk est une danse du bassin et du postérieur, assez, voire très suggestive, évoquant un acte sexuel, qui donne lieu à de nombreuses vidéos sur le net, ndlr)

Cette courte séquence provoque aussitôt un tollé sur les réseaux sociaux, pas seulement chez les femmes, et pas seulement en France. Les internautes s'indignent du "sexisme" et du "total manque de respect" du DJ français envers la buteuse.

"La Norvégienne @AdaStolsmo est la première femme à remporter un #BallonDor depuis la création de ce prix en 1956. Une réussite majeure pour les femmes et le sport. Et pour fêter ça, le DJ lui a demandé de twerker. Non, pas ok. Déjà. Deux pas en avant. Plusieurs pas en arrière", écrit Leah Harding, une journaliste américaine, marathonienne.
 
C'est une blague, peut-être une mauvaise blague et je voulais m'excuser envers ceux que j'aurais pu offenser. Désolé.
Martin Solveig, DJ

Une fois la cérémonie terminée, Martin Solveig a rapidement réagi dans une vidéo publiée sur Twitter: "Je suis étonné par ce que je suis en train de lire sur Internet. Bien sûr, je ne voulais offenser personne", déclare-t-il.

"Ça vient de mon mauvais usage de la langue anglaise, et de ma mauvaise compréhension de la culture de la langue anglaise, qui n'est visiblement pas suffisante. Je ne savais pas que cela pouvait être vu comme une offense, surtout quand on regarde la séquence en entier, qu'on a terminée ensemble en dansant sur du Frank Sinatra", se justifie-t-il. En ajoutant : "C'est une blague, peut-être une mauvaise blague et je voulais m'excuser envers ceux que j'aurais pu offenser. Désolé".

Pas de twerk mais des excuses et une danse

Dans des propos recueillis par l’AFP peu après la cérémonie, Ada Hegerberg se montre plutôt diplomate : "Il est venu me voir après et il s'est excusé. Je n'ai pas vu la situation comme ça, comme les autres. On a dansé un peu, j'ai eu le Ballon d'Or, et c'est le plus important pour moi. Je n'ai pas trouvé cela sexiste".
 
Je n'ai pas vu la situation comme ça, comme les autres. On a dansé un peu, j'ai eu le Ballon d'Or, et c'est le plus important pour moi. Je n'ai pas trouvé cela sexiste.
Ada Hegerberg, ballon d'or 2018

Mais en regardant bien les images, on voit bien à son air dépité, que la jeune femme trouve à ce moment là précis la demande, ou blague, de Martin Solveig assez inappropriée voire totalement décalée...

Aurait-on demandé cela à un homme ? "Ça, c'est une bonne question", a-t-elle répondu sans se montrer réellement dupe face aux excuses du DJ. Pour elle, cette histoire doit plaider la cause pour une meilleure reconnaissance du football féminin."Ce sont aussi les hommes qui vont aider le foot féminin. Il faut de l'aide des gens les plus hauts placés dans le système, à la Fifa, à l'UEFA... Il y a encore du travail à faire", conclut la buteuse norvégienne.

En plus d'être la première Ballon d'Or féminin, c'est une femme qui vit sa féminité comme les autres femmes. Cette féminité qui fait que tout le monde l'adore.
Jean-Michel Aulas, pdt OL

Du côté des hommes justement, l'un de ses plus fervents soutiens n'est autre que le président de l'Olympique Lyonnais, pour qui cette victoire "montre que le football féminin a franchi une étape et que ce qu'on a fait pour son développement obtient une forme de reconnaissance de la part des grands clubs". Mais Jean-Michel Aulas interrogé par Francefootball, estime aussi qu'Ada Hegerberg "mérite cette distinction par la manière dont elle truste les distinctions depuis des années. C'est aussi une vraie jeune femme avec la qualité de l'élégance et la fierté qui la caractérisent. En plus d'être la première Ballon d'Or féminin, c'est une femme qui vit sa féminité comme les autres femmes. Cette féminité qui fait que tout le monde l'adore." Féminité ? Mais alors, mesure-t-on la qualité d'un joueur (au masculin) à sa qualité de jeu ou à sa virilité ?

Il y a encore du boulot, comme on le dit hélas encore trop souvent chez les Terriennes... Comme le dénonce aussi ce twittos, car dans la soirée, il n'y a pas que Martin Solveig qui s'est illustré par sa "maladresse", mais aussi un certain Antoine Griezmann. Le champion du monde français, déçu certes de ne pas gagner son ballon d'or, s'est pris les pieds dans le tapis au moment de féliciter la Norvégienne, dont il n'arrive pas à se souvenir du nom. Carton jaune.

Sur la Toile, la séquence entre Martin Solveig et Ada Hegerberg a été largement commentée mais aussi détournée. Comme ici, une internaute imagine la même scène avec Marie Curie, au moment de recevoir le prix Nobel de Physique, aux côtés de son mari...

... ou avec Jeanne d'Arc ...
 

ou bien encore avec Rosa Parks ...
 

Plus sérieusement, la question qui se pose est : le sport au "féminin" sort-il vainqueur de cette soirée ? D'une certaine manière, oui, car encore et toujours le sport pratiqué par les femmes reste sous-médiatisé. Ne boudons pas ces avancées même à petits ponts. Au final, ce "badbuzz" comme on l'appelle, fera peut-être que chacun.e, (et même Antoine Griezman, sic) se souviendra plus du nom de la première femme ballon d'or, que de celui du Croate Luka Modric, ballon d'or 2018 ?

Après cette première soirée que nous qualifierons de rodage, osons le pari que tous les regards des passionnés de foot, femmes et hommes compris, seront tournés vers le Mondial de foot féminin organisé en France en 2019. Et même si Ada Hegerberg à priori n'y participera pas, parce qu'elle a tiré sa révérence de la compétition internationale l'an dernier, elle restera "A jamais la première !", comme le titre le journal Francefootball.