Fil d'Ariane
"Ils croyaient nous enterrer mais nous étions des graines" répétait-elle.
Dix mois après son assassinat, personne n'a oublié la mémoire et le combat de Marielle Franco qui aimait à se présenter ainsi : "Femme, Noire, née et habitant dans la favela (bidonville), défenseure des droits humains".
La jeune élue, homosexuelle, était membre de l’Assemblée législative de la ville de Rio de Janeiro. Et son courage, telle une graine, a effectivement poussé dans le coeur d'autres femmes noires qui se sont inspirées de son héritage politique.
Sa vie durant, Franco aura défendu le principe "d'occuper la politique et de ne pas les laisser faire des lois pour nous".
C'est que dans ce pays, les inégalités raciales sont criantes.
Et les chiffres parlent d'eux-mêmes. Parmi les 10 % des Brésiliens les plus riches, 70 % sont blancs, tandis que 74 % des Noirs font partie des 10 % les plus pauvres. En novembre 2017, un sondage de l'Institut Locomotiva montrait par exemple que les hommes noirs diplômés universitaires gagnaient en moyenne 29 % de moins que les Blancs à qualification égale, 27 % de moins pour les femmes.
Pour son ultime rendez-vous, le 14 mars 2018, devant un public venu écouter un débat sur les luttes des jeunes noirs, Marielle Franco s'adressa à eux : "Nos corps noirs et notre mobilité sont menacés, nous allons donc essayer de veiller à ce que nos événements ne se terminent pas après 21 heures, de manière à ce que la plupart des habitants des autres quartiers puissent rentrer ".
Mais c'est elle qui ne rentrera jamais chez elle.
En quittant cette réunion, elle regagne sa voiture avec son chauffeur et son attachée de presse. Quelques kilomètres plus loin, les occupants d'une autre voiture ouvrent le feu sur le véhicule de la conseillère. Elle reçoit quatre balles dans la tête et décède sur le coup. Son chauffeur est également abattu.
L'attachée de presse est indemne.
A retrouver dans Terriennes, le portrait que nous lui avions consacrée le jour de son assassinat :
> Brésil : Marielle Franco, femme politique et militante féministe, assassinée
Au cours de son exercice, la conseillère aura présenté près de 20 projets de loi. Un seul fut approuvé : une loi visant à créer davantage de maisons de naissance pour améliorer les soins dispensés aux mères et aux nouveau-nés.
Parmi les autres propositions, citons une campagne permanente contre la violence et le harcèlement sexuels, une étude avec des données précises sur la violence sexiste à Rio, la prise en compte d'une journée de lutte contre l'homophobie, un autre jour pour honorer la visibilité lesbienne.
Le 7 mars 2018, une semaine avant son assassinat, Marielle Franco publiait sur Twitter "des phrases du manuel de survie pour femmes au milieu de beaucoup d'hommes" :
Frases do manual de sobrevivência pra mulheres no meio de monte de homem:
— Marielle Franco (@mariellefranco) 7 mars 2018
"você está me interropendo"
"eu acabei de fazer a mesma piada"
"essa ideia é a mesma que eu dei"
"a sua piada machista não tem graça"
"não toque em mim"
"obrigada por me ensinar o que eu já sei"
("Tu m'interromps","C'est la même idée que j'ai exposée"," Ta blague machiste n'est pas drôle.","Ne me touche pas " et "Merci de m'avoir appris ce que je sais déjà ")
À l'occasion de la célébration de la Journée internationale des droits des femmes au Brésil, elle tweetait : "En 2017, il y avait une lesbienne tuée par semaine. 83% des crimes sont commis par des hommes."
Et les années à venir risquent d'aggraver les choses.
Le nouveau président élu du Brésil, Jair Bolsonaro, vient d'annoncer qu'il signera bientôt un décret garantissant aux citoyens sans antécédents criminels la possibilité de posséder des armes à feu.
Rien de plus exaspérant pour la droite radicale que ce souvenir entretenu de Marielle Franco.
Pour eux, hors de question que l'édile assassinée se change en martyr.
Début octobre, une plaque en hommage à Marielle Franco a été décrochée et brisée lors d’un meeting de campagne de Rodrigo Amorim. Celui qui était alors candidat à la députation de l’Etat de Rio de Janeiro (et qui a finalement était élu) a brandi les morceaux de plaque en menaçant : "Préparez-vous, gauchistes: en ce qui nous concerne, vos jours sont comptés. C’est fini, toute cette merde. Maintenant, c’est Bolsonaro. "
Et la foule a applaudi.
Et pendant ce temps, l'enquête piétine.
Dernièrement, le général Richard Nunes, secrétaire à la Sécurité publique pour l'État de Rio, a déclaré dans un quotidien : "Marielle Franco se battait dans une zone de Rio contrôlée par des miliciens, où des intérêts économiques de toutes sortes sont en jeu", a-t-il expliqué "Ce qui a conduit à l'assassinat de la conseillère municipale et de son chauffeur, c'est la perception qu'elle mettrait en danger les intérêts de ces groupes criminels dans ces zones de l'ouest de Rio"
Il y a plusieurs semaines, c'est Anielle, la soeur de Marielle Franco, qui a été victime d'une agression en pleine rue.
Elle raconte l'événement sur sa page Facebook : " Aujourd’hui, avec ma fille de deux ans dans les bras, alors que je marchais dans la rue à côté d’un centre commercial, sans autocollant ni badge, sans tee-shirt revendicatif ni drapeau (c’était juste moi et Mariah, elle avec ses habits pour aller à la crèche, moi avec mes vêtements de travail), on m’a crié au visage – je répète : crié au visage - et par conséquent sur le sien (elle était évidemment terrifiée) - des cris comme quoi j’étais de « la gauche de merde », « barre-toi d’ici sale féministe », « Bolsonaro… piranha », par des hommes qui portaient le tee-shirt de campagne de ce candidat."
Partout, les associations LGBT (lesbiennes, gays, bi, trans) dénoncent une recrudescence des agressions depuis le triomphe de Bolsonaro. Le président d’extrême droite reste un nostalgique de la dictature militaire qui a ensanglanté le Brésil entre 1964 et 1985. Et il n'en fait pas mystère : "L'erreur de la dictature a été de torturer sans tuer" soutenait-il en 2016, lors d'une interview à une radio.
Malgré les dangers et la terreur qui s'amplifient, Monica Benicio, la veuve de Marienne Franco, continue de parcourir le monde pour perpétuer la mémoire de celle qu'elle aimait.
Depuis la fin août 2018, elle bénéficie d'une protection policière.
Ce qui n'est pas vraiment fait pour la rassurer.