Après 25 années passées à TV5Monde, Sylvie Braibant, créatrice et rédactrice en chef de Terriennes, prend sa retraite. L'occasion de révéler un peu qui elle est et, surtout, ce qu'elle nous a apporté ici à la rédaction. La bienveillance est un plat qui se mange chaud. Portrait coup de chapeau des Terriennes.
Balayons tout de suite les clichés.
Non, le départ de Sylvie Braibant à la retraite ne "
laisse pas un grand vide" et ne génère pas
"un abîme de tristesse", pas plus qu'il ne dépose un
"goût amer" dans la bouche.
Bien au contraire.
Le départ de celle qui créa (notamment) le portail de
Terriennes est une opportunité malgré un serrement de coeur bien légitime.
Mais oui.
Voici l'occasion de mettre en pratique les leçons qu'elle ne nous donnait pas... mais que nous avons apprises à son contact. Et puis, disons-le, quel plaisir d'écrire au présent de l'indicatif sur une personne vivante et même
"très vivante" comme on dit au Québec.
Sylvie Braibant nous laisse donc en héritage plusieurs choses.
1. Un sens de la rigueur
Avec Sylvie Braibant, on ne s'emballe pas. Jamais. Dans cette époque, la nôtre, où les gens vibrionnent au crépitement fou des tweets, des "Like" et autres "Exclusif", où les clics génèrent parfois de grandes claques, il faut raison garder.
Une info importante est tombée ?
Bon. Avant de la ramasser, la journaliste, qui a fait ses débuts à TF1 (notamment aux côtés d'Anne Sinclair de 7/7, première femme seule aux manettes d'une émission politique à heure de grande écoute chaque dimanche) avant de rejoindre Tv5monde il y a 25 ans, se gratte la tête. Elle prend un café. Elle va d'abord la vérifier, cette info qui embrase les autres rédactions. Elle passe quelques coups de fil bien ciblés. Si l'info s'avère exacte, alors seulement peut commencer la rédaction de l'article.
Certains restaurants de qualité précisent sur leur menu : "produits frais préparés sur place". Idem pour la méthode Braibant. On pourrait écrire : "info fraîche vérifiée sur place".
A ce stade, nous imaginons déjà certaines personnes lever les yeux au ciel, hausser les épaules : "Mais enfin, bien sûr, c'est évident ! Vérifier une info, c'est même le commandement numéro 1 de tout journaliste ! Tout de même...". Certes, mais ce commandement en cette ère des chaînes tout info et des réseaux sociaux, on le sait, est régulièrement malmené. Il y va de la crédibilité de toute une équipe. Et puis Sylvie Braibant, d'un haussement de sourcils, nous rappelle que l'évidence, parfois, nous échappe.
2. Trouver le bon angle et s'y tenir
Ecrire, tourner, creuser, certes, mais quel angle choisir, par quel bout prendre cette information ? Il faut en trouver un qui se démarque vraiment d'une dépêche d'agence. Les murs de son bureau du deuxième étage résonnent encore de son
"Mais là, si on prend cet angle, quelle valeur ajoutée sur Terriennes ? Ça, on ne l'a pas déjà lu mille fois ? " Et nombre de stagiaires dans l'équipe se souviennent de ses mots.
C'est que l'angle est au journalisme ce que l'épice est au plat. Un exhausteur de goût.
Et la rédactrice en chef de Terriennes, qui a aussi créé l'émission Kiosque et mené de nombreuses spéciales sur les élections présidentielles françaises entre autres, aime bien les choses relevées. Elle exècre les clichés, abhorre les raccourcis et n'hésite pas, en féministe lucide, à prévenir
"qu'il y a des femmes aussi tordues que des hommes et qu'il ne faut pas tomber dans cette facilité qui consiste à accabler les hommes. Les femmes, parfois, peuvent être pires !" 3. Tête froide et coeur au chaud
Le papier a été consulté et repris par nombre d'internautes ? On lui demande un droit de réponse ? Un partenariat avec Terriennes se dessine ? Elle réfléchit. Comme elle le répète à loisir, le temps de Terriennes n'est pas le même qu'ailleurs. Bien sûr, ces signes d'intérêt sont positifs, gratifiants et justifient s'il en était besoin, de la nécessité d'un tel site, un site consacré à la condition des femmes dans le monde, à toutes les femmes. Comme elle le déclarait à la création de Terriennes, ce qui arrive à une femme à Madagascar peut en aider une autre, à des millions de kilomètres de là.
Tu nous ferais pas un bidule pour Terriennes ?
Sylvie Braibant
Une fois l'article publié, elle pense déjà au prochain ! Sans cesse l'actualité des femmes se renouvelle, une avancée ici, un nouveau combat à mener là, avec comme priorité, leur donner la parole. Dans les moments de doute, elle consulte son équipe :
"Vous trouvez pas que machine, là, avec ce qui lui arrive, ça mériterait quelque chose ? " ou :
"Vous avez vu, ce truc ? C'est inouï tout de même !" . A jamais, elle reste dubitative sur ces gloires médiatiques inconnues hier, célèbres aujourd'hui et qui seront oubliées demain.
Le dernier enregistrement de Terriennes de l'année 2018 et le dernier de Sylvie Braibant :
4. Anticiper mais pas trop (Simone Veil)
De même, elle répugne à écrire trop en avance au sujet d'un évènement que l'on sait inéluctable.
Ainsi, Simone Veil.
Le bruit courrait dans les salles de rédaction que la grande dame était au plus mal. La question se posa d'écrire quelque chose afin de ne pas être pris au dépourvu lors de l'annonce de son décès. Des membres de son équipe lui suggérèrent de s'atteler à l'ouvrage. Elle refusa avec force, presque indignée. Non, ce n'était pas possible. Ecrire sur Simone Veil alors qu'elle était encore vivante, c'était presque déjà la faire disparaitre et Sylvie ne voulait pas que la dame s'en aille.
C'est qu'une longue histoire liait les deux femmes.
Ces mots, quand on a eu la chance de les entendre, on ne peut les oublier.
Sylvie Braibant
Sylvie Braibant du haut de ses presque 18 ans, avait assisté, depuis le balcon réservé au public à l'Assemblée nationale aux multiples débats houleux au moment du vote pour la légalisation de l'avortement.
C'était en novembre 1974.
Celle qui poursuivait alors des études pour devenir avocate comme son illustre père, mais sans le savoir peut-être encore, était au fond d'elle déjà journaliste en devenir, avait gardé de cet épisode historique une image forte, celle d'une femme seule, digne, courageuse et déterminée dans l'adversité. Mme Veil continuait de parler malgré les quolibets et les insultes machistes et, parfois, antisémites.
Quand la grande dame tira se révérence, elle écrivit un de ses plus beaux articles. Le coeur, alimenté par la mémoire, guidait sa plume :
"Ces mots, quand on a eu la chance de les entendre, on ne peut les oublier. Elle portait une robe bleue, un collier strict autour du cou, les mains bien calées sur ses notes. J'ai eu ce bonheur là. J'allais avoir 18 ans, je commençais ma première année de Droit, et, depuis les tribunes de l'Assemblée nationale réservées aux corps constitués, j'assistais à ce moment historique, ma première rencontre avec cette femme." 5. L'affaire du "bidule"
Sylvie Braibant a aussi les oreilles paraboliques. Avec l'ouïe aiguisée d'une cheffe ayant à coeur ce qui peut lui servir et surtout à la rédaction de Terriennes.
Gare à celle ou celui qui lance en l'air, comme ça, l'idée d'un article ou d'un reportage.
Elle happe littéralement l'idée telle une truite un moucheron.
"Dis donc, avec ton histoire, là, pourquoi tu nous ferais pas un bidule pour Terriennes ?" Et l'idée devient de facto, un "bidule", sa manière à elle d'exprimer au journaliste que sa proposition ferait un bon papier !
Et il (ou elle) écrit donc un "bidule", c'est à dire un article pour Terriennes.
L'expérience n'a rien de douloureux.
Après l'avoir vécue, on ne compte plus le nombre de personnes qui, depuis, ont "bidulé" pour le site.
6. Les aventures de Pabloutchko
Sylvie Braibant nous pardonnera les mots qui suivent.
Il s'agit non d'un vol mais d'une cueillette dans son jardin privé. Il se trouve à Montargis (Loiret, 13279 habitants dont Sylvie Braibant).
A l'en croire, Montargis, cette "Venise du Gâtinais" située à une centaine de kilomètres de Paris, est tout simplement le centre du monde.
On y croise une population d'intellectuels fameux : Nancy l'érudite, Klaus le savant flou et, surtout Pablo, rapidement surnommé Pabloutchko.
Pabloutchko, c'est le petit-fils adoré.
Il apparait sur l'écran du smartphone de la journaliste.
Voici Sylvie radieuse avec un air espiègle. Il a deux ans. Elle en a subitement douze.
La rigolade peut commencer.
Les frasques du bambin sont nombreuses.
De mémoire, citons : "Pabloutchko et le chat Zorro", "Pabloutchko et le secret de Deng Xiaoping", "Pabloutchko a marché sur la Une" "Pabloutchko chante à l'Opéra" etc.
Il se produit alors quelque chose d'ahurissant.
Sylvie l'intransigeante, la rigoureuse devient tout à coup Sylvie attachée de presse !
Son seul artiste, c'est Pabloutchko.
Toute l'équipe de Terriennes te salue, Sylvie !
Alors que pour toi s'ouvre une nouvelle vie, annonciatrice de voyages et de bien d'autres projets, tu clos ce dixième article sur les femmes qui ont fait 2018.
Merci, infiniment merci, pour ta rigueur bienveillante.