Femmes au travail, hommes à la maison : en Egypte, les réfugiées renversent les schémas traditionnels

Deux à quatre millions de personnes fuyant les guerres et persécutions auraient élu domicile en Egypte. Originaires pour la plupart de Syrie, du Soudan ou encore du Yémen, à la faveur de cet exil forcé de nombreuses femmes mènent une révolution silencieuse, défiant les rôles qui leur étaient jusqu’alors assignés.
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L'ONG Tadamon (solidarité) au Caire offre à des réfugiées de différents pays un atelier sur la création d'entreprise pour les femmes
(c) Ariane Lavrilleux
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« Quand je suis au travail et que mon mari est à la maison, il range, fait le ménage et s’occupe de notre fille » explique Baghita Hussein, pendant que Mohammed Bawaelbeit essaye de calmer les pleurs du bébé d’un an, dans leur petit appartement d’Hadayek al maadi, un quartier très dense et populaire du Caire. Avant de se marier, Baghita avait tenu à s’accorder sur le partage des tâches domestiques. Six jours sur sept, la jeune femme de 29 ans s’occupe des activités d’un centre social pour réfugié.es, principalement fréquenté par la communauté soudanaise habitant dans les environs. Elle-même a dû fuir le Soudan en 2011, après avoir évité la mort dans son village truffé de mines anti personnelles.

Moi, je pense que nous formons une famille où l’on doit s’entraider
Mohammed Bawaelbeit, réfugié, adepte du partage des tâches domestiques

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Dans le couple que forme  Baghita et  Mohammed, le partage des tâches domestiques est équitable depuis que la jeune femme venue du Soudan fait tourner l'économie du foyer...
(c) Ibrahim Ezzat

Baghita gagne 2000 livres égyptiennes (environ 100 euros) par mois, soit deux fois plus que son conjoint, chauffeur privé, qui parvient à récolter « maximum 50 euros ». De quoi survivre pour payer le loyer et la nourriture, en l’absence d’aide des organisations internationales. « Au Soudan, il est mal vu que les femmes travaillent. Les hommes pensent qu’ils ont juste à rester assis à la maison en attendant que leur épouse y fasse tout. Moi, je pense que nous formons une famille où l’on doit s’entraider » témoigne Mohammed qui « essaye d’être heureux malgré [leurs] difficiles conditions de vie ». Même chichement payée, Baghita s’accroche à ce premier emploi grâce auquel elle a pu « tourner la page de ses angoisses et se sentir plus libre et indépendante ».

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Mohammet et Baghita partagent désormais les taches ménagères
(c) Ibrahim Ezzat

L’emploi des femmes, une question de survie

Alors que ce couple est loin d’être représentatif en Egypte, où seulement 25% des femmes ont accès au marché du travail selon l’Economic Research Forum, leur histoire parait banale aux réfugié.es et organisations rencontrées par Terriennes. Quel que soit leur genre, les réfugiés sont privés de permis de travail par la loi égyptienne, mais les femmes semblent s’intégrer plus facilement dans l’économie informelle, qui représente 40% du PIB égyptien.

Les hommes refusent ce genre de travail...
Karima Adeb

Dans l’entourage de Baghita et Mohammed, « 80% des femmes migrantes travaillent comme baby-sitter, employée de ménage ou aide à domicile et peuvent gagner entre 3000 et 5000 livres égyptiennes (150 et 250 euros) ». « Les hommes refusent ce genre de travail » explique Karima Adeb, qui a nettoyé les maisons d’Egyptiens pendant un an « par nécessité » et gagnait souvent plus que son mari, chauffeur de taxi. Pour ménager son dos abimé, cette Ethiopienne a rejoint l’atelier de couture Nil Furat, piloté par des femmes soutenues par le haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU. Une expérience moins rémunératrice mais qui ajoute une nouvelle corde professionnelle à son arc d’ex-femme au foyer.

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Marie Malak et Karima Adeb au premier plan dans l'atelier de couture Nil Furat, piloté par des femmes soutenues par le haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU
(c) Ariane Lavrilleux

Tous les hommes n’acceptent pas ce bouleversement des rôles familiaux. Fatima Idriss, qui dirige Tadamon (« solidarité » en arabe) une des plus grandes ONG soutenant les réfugiés au Caire, a vu « des hommes déprimés, devenir violents et des couples se séparer parce que l’homme ne pouvait plus avoir le contrôle sur la femme ». Pour de nombreuses femmes, la question de l’accord du mari ne se pose même plus. Sur les 30 000 réfugiés qui fréquentent les centres de l’ong Tadamon, près de 70% sont des femmes, en grande majorité seules avec des enfants à charge. Que le mari ait disparu ou soit parti tenter la traversée de la Méditerranée, le travail de ces femmes est encore plus une question de survie.

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Fatima Idriss dirige Tadamon (« solidarité » en arabe) une des plus grandes ONG soutenant les réfugiés, en particulier les femmes, au Caire
(c) Ariane Lavrilleux

On rappellera que parmi les réfugiés, sur la planète entière, les femmes sont légèrement plus nombreuses que les hommes à prendre le chemin de l'exil, contrairement aux idées reçues.

A retrouver sur ce sujet dans Terriennes : 
Femmes et migrations : raisons et routes de l'exil

Réfugiée, cheffe de famille et d’entreprise

Avant la guerre en Syrie, le tricot n’était qu’un hobby pour Ilham Hassan. Cinq ans après avoir débarqué dans la ville du "6 octobre" (référence à la commémoration de la guerre du Kippour qui a débuté le 6 octobre 1973, ndlr) en périphérie du Caire, cette femme de 51 ans dessine des modèles de poupées et dirige un petit atelier de confection, dans les locaux de la fondation Fard.

Si je retourne en Syrie, je ne serai plus femme au foyer
Ilham Hassan

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Ilham Hassan dans l'atelier de production de poupées qu'elle dirige aujourd'hui au Caire
(c) Ibrahim Ezzat
« Si je retourne en Syrie, je ne serai plus femme au foyer. Ici j’ai pris des responsabilités qu’ont d’ordinaire les hommes. J’ai gagné en expertise et confiance en moi » assure Ihlam Hassan en fignolant la maille d’une petite tête. Son mari est devenu l’homme au foyer qui l’encourage dans cette voie, même s’il est « déprimé » par son exil forcé et la destruction de l’usine qu’il dirigeait à Douma (province à l’Est de Damas, tenue par les rebelles jusqu’au printemps 2018).

En attendant le retour... 

Face à la nécessité de construire une nouvelle vie sociale à partir de rien, quelques traditions se sont perdues en route. Dans leur salon, les sœurs Rasha et Ikram Mohammed reçoivent un couple d’ami syrien rencontré au Caire. « Chez nous à Homs, on ne se mélangeait jamais entre hommes et femmes, sauf avec des membres de la famille. On ne pouvait pas inviter un collègue masculin. Ici, on est plus libre de nos mouvements car on n’a aucun proche et on doit trouver des amis » raconte Rasha étudiante et éducatrice à mi-temps dans un centre de loisirs.

« Tout a commencé par une révolution en Syrie. Nous sommes parties avec elle, elle est enfouie en nous et ça nous a aidé à gérer le déracinement. Quand nous allons rentrer chez nous, toutes les femmes auront acquis des compétences professionnelles qui pourront être utiles pour la reconstruction du pays » conclut Ilham Hassan qui est en train de lancer sa propre marque d’objets artisanaux « Ilham-Mirugumi » via les réseaux sociaux. Si toutes les réfugiées ne rêvent pas de retour, nombre d’entre elles n’ont plus à prouver leur force et résilience.
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Les poupées fabriquées par les réfugiées, une petite entreprise qui marche bien au Caire
(c) Ibrahim Ezzat