Fil d'Ariane
"Les autochtones ont été victimes d'un génocide qui vise particulièrement les femmes "- telle est la conclusion du rapport final de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (ENFFADA). Les commissaires lancent 18 "appels à la justice" en guise de recommandations, dont l'institution d'un médiateur et d'organismes de surveillance de la police.
Comme de nombreux témoins l’ont exprimé, "ce pays est en guerre et les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones sont en état de siège", écrivent les commissaires en introduction du rapport présenté aux différents ordres de gouvernement ce 3 juin.
Dans ce rapport de 1192 pages, qui se divise en deux volumes, le mot "génocide" apparaît 122 fois. Un terme que la commissaire Michèle Audette avait déjà employé en entrevue à Radio-Canada pour décrire le sort de centaines de femmes disparues et assassinées, et qui va plus loin encore que les préconisations de la Commission de vérité et de réconciliation. Le rapport de la Commission de 2015 avait plutôt parlé d’un "génocide culturel" à l’endroit des peuples autochtones.
"Même si le génocide canadien vise tous les peuples autochtones, il cible particulièrement les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA [bispirituel, lesbienne, gai, bisexuel, transgenre, queer, en questionnement, intersexe et asexuel, NDLR] autochtones", lit-on dans le sommaire du rapport.
Le fondement de ce génocide, poursuit le rapport, repose sur les structures coloniales, comme en font foi la Loi sur les Indiens, la rafle des années 1960 et le système de pensionnats autochtones. "Ce colonialisme, cette discrimination et ce génocide expliquent les taux élevés de violence contre les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA autochtones", écrivent les commissaires.
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Le génocide, selon les Nations unies, se manifeste notamment par le meurtre de membres du groupe visé ou l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe.
Le rapport des commissaires s’appuie sur les témoignages de 2380 personnes recueillis à travers le pays depuis le début de l'enquête, en 2016. Critiquée par les familles, notamment, l'enquête a été ponctuée de dizaines de démissions et de licenciements. Les commissaires auraient voulu une prolongation de leur mandat de deux ans "pour faire le travail correctement" et entendre tous les survivants. Ils ont fini par avoir six mois.
Dans le document, les commissaires formulent 18 "appels à la justice" regroupant 231 recommandations qui touchent des domaines aussi vastes que la sécurité, la santé, la protection de la jeunesse, la culture et la gouvernance.
Parmi ces appels, les commissaires demandent la création d’un ombudsman national "des droits des Autochtones et des droits de la personne", de même que la mise sur pied "d’un tribunal des droits des Autochtones et des droits de la personne".
Le rapport exige également des gouvernements fédéral et provinciaux la mise sur pied d’organismes autochtones civils de surveillance de la police. Des organismes "robustes et bien financés" qui veilleraient à superviser notamment les enquêtes qui touchent les Autochtones.
Il faut un véritable changement de paradigme pour abolir le colonialisme qui règne au sein de la société canadienne.
extrait du rapport de la Commission ENFFADA
Le rapport demande en outre aux différents ordres de gouvernement de mettre en place un plan d’action national qui toucherait l’éducation, la santé, l’emploi, la sécurité et les soins de santé.
En guise de conclusion, les commissaires estiment qu'il faut "un véritable changement de paradigme" pour abolir "le colonialisme qui règne au sein de la société canadienne, dans tous les ordres de gouvernement et dans les institutions publiques". Un changement de paradigme pour mettre fin à la normalisation de la violence et à une "indifférence lamentable" de la société même sur le sort de ces femmes, écrit le rapport.
Plus d'un millier de femmes autochtones ont disparu ou ont été assassinées dans les 40 dernières années, mais la Gendarmerie royale du Canada et des organismes autochtones estiment que ce chiffre serait beaucoup plus élevé.