Fil d'Ariane
"L’injustice, la torture, les conditions de détention inhumaines, j’ai tout enduré. Rien n’arrêtera mon combat contre la peine de mort." Ambassadrice du mouvement abolitionniste, Antoinette Chahine, 50 ans, a répondu à l’invitation en France d’Ensemble Contre la Peine de Mort (ECPM). Le 10 octobre 2021, à l’occasion des quarante ans de l’abolition de la peine capitale en France, elle intervenait au Panthéon pour témoigner de ce qu’elle a vécu il y a vingt ans. L’âge auquel elle fut condamnée à mort dans son pays, le Liban. "Bien sûr, c’est difficile de replonger dans ses souvenirs, mais c’est nécessaire. Après ma libération, en 1999, j’avais deux choix : rester chez moi, silencieuse, ou assumer mon devoir envers les prisonniers et parcourir le monde pour parler, pour crier qu’il faut abolir la peine de mort."
"Je n’ai pas vu le soleil pendant cinq ans et demi," se souvient l’ex-détenue de la prison pour femmes de Baabda. Le 21 mars 1994, jour de la fête des Mères au Liban, Antoinette est arrêtée. Son crime : être la soeur d’un membre des Forces libanaises, un parti politique chrétien persécuté à cette époque. "La police s’en est prise à moi avec la certitude que je dirai ce qu’elle voudrait. Son but : me faire signer une déclaration affirmant que mon frère était présent au Liban lors de l’attentat contre l’église Notre-Dame de la Délivrance de Zouk, en février 1994. Or il avait fui le pays en 1990."
Antoinette Chahine refuse d’affirmer qu’elle est complice d’un attentat. "J’ai connu toutes sortes de torture psychologique et physique. Le pire, c’était la soif," confie-t-elle avec émotion. La jeune femme est libérée sur preuves de son innocence en mai 1994, "mais le 5 juin de la même année, l’enfer a recommencé". Elle est incarcérée dans une cellule si petite qu’une fois allongée sur le sol, elle doit "garder les pieds en l’air. J’avais une blessure aux pieds due aux tortures. On m’a opérée sans anesthésie."
Son procès a lieu en 1997, mais elle est confiante, car convaincue de son innocence. "C’est une désillusion terrible qui m’attendait : la justice m’a condamnée à mort, c’est-à-dire à la prison à perpétuité." Les exécutions ne s’appliquant pas aux femmes.
La mobilisation d'ONG dont Amnesty International et l'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), ainsi que de son avocat, ont permis d'aboutir à un nouveau procès, le 24 juin 1999. "J’avais peur d’être à nouveau victime d’une injustice, mais la Cour m’a jugée innocente." Des années après sa libération, Antoinette Chahine se pose encore la question : "J’ai perdu cinq ans et demi de ma vie. Qui peut me rendre ma santé et effacer les traces de la torture ? Ce n’est pas fini." L’activiste abolitionniste se bat pour que ses enfants ne connaissent pas ce qu’elle a subi. "Je ne veux pas vivre ce qu’a vécu ma mère. Témoigner, c’est aussi mon devoir envers les femmes du monde."
Le Cornell Center on the Death Penalty Worldwide estime qu’il y a au moins 800 femmes condamnées à mort dans le monde, notamment au Ghana, en Chine, au Japon, aux Maldives, à Taiwan, en Thaïlande, en Zambie et aux États-Unis. Selon les recherches d’Amnesty International, sur 483 exécutions confirmées en 2020, 16 femmes ont été exécutées en Égypte, en Iran, à Oman et en Arabie saoudite où, dans ce royaume régi par la charia, "si elles peuvent témoigner devant un tribunal, leur parole vaut moins que celle d’un homme", rappelle Raphaël Chenuil-Hazan, directeur général d’ECPM. Certaines ont été exécutées sur la base d’infractions liées à la drogue, au terrorisme, à l’adultère, à la sorcellerie et au blasphème.
"De manière générale, il existe peu de données sur les femmes dans les couloirs de la mort, car elles sont minoritaires, précise Raphaël Chenuil-Hazan. Les études viennent surtout des Etats-Unis. Elles montrent que la grande majorité des femmes incarcérées pour de très longues peines ou qui ont été condamnées à la peine capitale ont elles-mêmes été victimes d’injustice", souvent dans un contexte de violences domestiques et d’abus sexuels.
C'est le cas de Lisa Montgomery, exécutée en janvier 2021 dans l’Etat de l’Indiana, aux Etats-Unis. Cette mère de quatre enfants avait été condamnée en 2007 à la peine capitale pour avoir tué une femme enceinte, en dépit d’importants troubles mentaux.
Conséquences, selon les experts, de sévices sexuels perpétrés à répétition par son beau-père, puis par son mari. Il s’agit de la première exécution fédérale féminine depuis soixante-dix ans. Donald Trump avait refusé la demande en grâce de Lisa Montgomery. "L’ancien président américain a utilisé la peine de mort à des fins politiques. Après seize ans d’interruption, il a relancé dans les derniers mois de son mandat les exécutions fédérales : 17 personnes ont été tuées pour des raisons électoralistes", dénonce Raphaël Chenuil-Hazan. Depuis 1973, plus de 1500 personnes ont été exécutées - 182 des condamnés étaient innocents.
"On peut sortir une personne de prison, mais pas de la tombe", affirme Susan Kigula, 42 ans, condamnée à mort en 2002 dans son pays, l’Ouganda. L’activiste abolitionniste est elle aussi intervenue au Panthéon à l'occasion de la Journée mondiale contre la peine de mort. Dans le cadre du programme "Éduquer à l'abolition" d’ECPM, Susan Kigula a multiplié les interventions dans les établissements scolaires auprès de jeunes Français. "C’est important de les sensibiliser à ce qui se passe à l’étranger. Certains élèves ne savent pas que la peine capitale est encore en vigueur dans certains pays où l’on condamne aussi des innocents", confie l’Ougandaise, qui s’est battue inlassablement pour sa vie et sa liberté. Mardi 12 octobre, Susan Kigula intervenait donc auprès de trois classes de terminales du Lycée Honoré de Balzac, dans le 17e arrondissement de Paris, pour partager son histoire.
"J’avais à peu près votre âge lorsque je me suis retrouvée dans le couloir de la mort", débute-t-elle, assise en face d’une cinquantaine de lycéens. Son ambition : devenir banquière mais, faute de moyen, ses parents ne peuvent pas lui payer d'études universitaires. C’est à cette époque qu’elle rencontre son premier petit copain. Au bout d’un an naît une petite fille. "Une nuit, des voleurs nous ont attaqués. Ils ont tué mon mari et m’ont laissée pour morte." Sa belle-famille doute de sa version et l’accuse d’être l’auteure du meurtre. Susan se retrouve devant la justice. "Dans mon pays, la parole d’une femme est toujours remise en question…" Après deux ans d’emprisonnement, Susan a droit à un procès, mais pas à la défense. "J’étais trop pauvre pour me payer les services d’un avocat. J’en ai bien eu un commis d’office. Je l’ai rencontré une heure avant l’audience." Verdict : condamnation à mort par pendaison. Susan s’écroule : "Pendant un moment, j’ai cessé d’exister."
Susan Kigula se redresse. "J’ai décidé que je ne mourrai pas, que j’allais me battre pour ma fille et pour les autres." En prison, elle fait la connaissance de l’avocat anglais et directeur du programme African Prisons Project, Alexander McLean, qui l’encourage à suivre des études de droit. Susan refuse : "Je ne voulais plus entendre parler de droit puisque ma propre justice m’avait trahie." Mais elle finit par accepter. "J’étais déterminée à apprendre car c’était le seul moyen de combattre mon ignorance et ainsi d’échapper à la mort," se remémore-t-elle. Grâce à ses connaissances juridiques, Susan aide ses camarades à rédiger des demandes d’appel et à se défendre. "Il y a trop d’innocents en prison. La majorité des femmes se sont défendues face à des hommes violents auxquels elles ont souvent été mariées de force très jeunes. Puis elles ont été condamnées par une justice qui a estimé qu’elles avaient failli à leur devoir de bonnes épouses et de mères, alors même qu’elles ont aussi voulu protéger leurs enfants."
Au nom de l’ensemble des condamnés à mort en Ouganda, Susan dépose un recours devant la Cour constitutionnelle, en 2005. Après une énorme bataille juridique, elle gagne contre le gouvernement. L’automaticité de la peine de mort pour certains crimes est déclarée anticonstitutionnelle. La Cour reconnaît aussi qu’une attente de plus de trois ans dans le couloir de la mort s’apparente à une torture. En vertu de cet arrêt, intitulé "Susan Kigula et les 416 autres", toutes les peines sont révisées. Celle de Susan est commuée en vingt ans de prison. Diplômée de droit, elle est libérée en 2016. Depuis l’année 2005, il n’y a plus eu d’exécutions en Ouganda.
Raphaël Chenuil-Hazan en est convaincu : "Après l'Europe et l'Amérique du Sud, l'Afrique est le prochain continent abolitionniste. Chaque année depuis dix ans, un pays africain abolit la peine de mort." L’un des derniers en date est le Tchad, qui l’a abolie en avril 2020. Aux Etats-Unis, la peine de mort perd aussi du terrain. "Le combat abolitionniste est l’un des rares sujets des droits de l’Homme qui avance", soutient le défenseur des droits humains. Malgré tout, rien n’est jamais acquis. En Europe, "la peine de mort a totalement disparu, sauf en Biélorussie, le dernier État stalinien", rappelait l’ancien Garde des Sceaux Robert Badinter, le 9 octobre 2021, lors d'un discours poignant au Panthéon. Rappelons aussi qu’en octobre 2019, des responsables gouvernementaux ougandais avaient annoncé leur intention de présenter une loi autorisant l’exécution de personnes LGBT+.
"'Que peut-on faire pour vous aider ?' "Quand j’entends cette phrase, notamment de la part de jeunes, cela me donne la force de continuer mon combat", confie Antoinette Chahine qui, lors de sa venue en France, a également témoigné auprès de collégiens et lycéens français. Des interventions importantes pour la Libanaise qui souhaite faire prendre conscience à cette future génération de citoyens de "la chance qu’ils ont de vivre dans un pays de démocratie et de droits de l’Homme." D’autant qu’actuellement, 17 Français sont condamnés à mort dans le monde (de l’Irak à la Chine en passant par le Maghreb, l’Indonésie et les États-Unis).
En images : Retour sur un week-end historique pour l'abolition universelle https://t.co/8BHTOoB1se via @AssoECPM @Paris @JeanLucRomero @aminataniakate @AgeorgesSkinner @chenuilhazan @Virginie_Herz @WCADP
— ECPM (Ensemble contre la peine de mort) (@AssoECPM) October 12, 2021
Les 40 ans de l'abolition continuent sur : https://t.co/tHeIGxRxy5 pic.twitter.com/qukFgMZJ7y
"Les jeunes sont la relève et l’avenir", insiste l’avocate et nouvelle présidente d’ECPM, Amina Niakaté. "J’espère voir l’abolition universelle de mon vivant, mais les jeunes ont plus de chance que moi d’en être les témoins. Ce sera grâce à eux si on y arrive ! Ils peuvent apporter un nouveau souffle dans le système judiciaire et la société civile ; innover et convaincre certains Etats. Ils ont une conscience aiguë des enjeux démocratiques d’aujourd’hui et de demain."
Retrouvez Amina Niakaté, nouvelle présidente d’ECPM, sur le plateau de TV5monde ►