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D'études scientifiques en découvertes archéologiques, on le soupçonnait déjà : non, les femmes de la préhistoire n'étaient pas cantonnées à la cueillette et à la reproduction. Elles chassaient autant, voire plus, que les hommes. C'est ce que vient confirmer une toute récente étude américaine.
Peintures pariétales représentant une scène de chasse au néolithique, en Lybie (Wikicommons).
Une étude de plus vient briser le mythe de l'homme chasseur et de la femme cueilleuse. Après avoir analysé des données scientifiques recueillies au cours des cent dernières années, une équipe de l'université de Seattle a publié ses conclusions fin juin 2023. Résultat : les femmes chassaient dans près de 80% des sociétés anciennes.
Pendant bien longtemps, et parfois aujourd'hui encore, quand un squelette enterré est découvert avec des outils de chasse, la première pensée est qu'il doit être celui d'un homme. Il a fallu attendre les années 1980 et l’analyse ADN pour connaître le sexe des fossiles et s'apercevoir que, parfois, il s'agissait d'une femme. Ainsi "l’homme de Menton", découvert en 1872 entouré d’offrandes, a été rebaptisé "la Dame du Cavillon" une fois mieux analysé en 2016.
Selon l’anthropologue Randall Haas, sur 27 squelettes de chasseurs exhumés avec leurs armes en Amérique, 11 étaient des femmes. Dernier exemple en date, la découverte de restes humains enterrés il y a 9000 ans dans l'actuel Pérou. Deux squelettes étaient entourés de pointes de lances et d'outils pour dépecer les grands mammifères. Le premier réflexe des archéologues est d’imaginer que ce sont deux hommes. Mais après l’analyse des ossements et de l’émail des dents, l'un des deux s'est révélé être une femme.
L’équipe de Seattle a passé en revue les données archéologiques et ethnologiques des cent dernières années dans 63 populations. Et elle a pu constater que dans 79% des sociétés analysées, les femmes chassaient, elles aussi. Et dans un tiers de ces sociétés, on a constaté que les femmes chassaient le gros gibier. Sur le continent américain, entre 30% et 50% des chasseurs de gros gibier étaient des femmes
Peut-être plus significatif encore, là où la chasse était considérée comme la source d'alimentation la plus importante, les femmes y participaient systématiquement, qu'elles soient mères ou non, et parfois même en emmenant avec elles leurs enfants. Les femmes régulaient les naissances avec l'allaitement pour avoir moins d’enfants et partir chasser.
Les femmes jouent un rôle actif dans la chasse et l'enseignement de la chasse, même si elles utilisent des outils différents et emploient des stratégies différentes. Chez les Aka du Congo, par exemple, la participation des femmes à la chasse au filet était obligatoire, alors que celle des hommes ne l'était pas. Les chasseuses ont aussi des lances, des machettes et des arcs croisés.
Il s'avère ainsi que les femmes se préparaient à la traque et à la chasse, et qu'elles y participent activement et efficacement. Les chercheurs en veulent pour preuve l'existence d'une boîte à outils spécialisée. Les outils utilisés par les femmes Agta des Philippines, par exemple, sont très différents de ceux des hommes. Alors que ces derniers manient l'arc et les flèches, les chasseuses Agta, elles, manifestent davantage de variété et d'individualité. Certaines préfèrent chasser au couteau, d'autres utilisent l'arc et les flèches, et d'autres encore les deux.
Outre le choix des armes, les femmes utilisent également des stratégies de chasse plus souples que les hommes. Une différence peut-être liée à des régimes d'entraînement différents, ainsi qu'aux normes culturelles entourant la chasse. Les femmes chassaient davantage en équipe, avancent les chercheurs de Seattle, alors que les hommes avaient tendance à partir plutôt seul ou à deux. Elles chassent avec différents partenaires, y compris leur mari, d'autres femmes, des enfants, des chiens, ou encore seules. En revanche, les hommes chassent principalement seuls, avec un seul partenaire (leur femme) ou avec un chien.
Les chiens sont importants pour les chasseuses Agta, alors que les hommes ne sont généralement accompagnés de chiens que lorsqu'ils chassent avec des femmes. Ainsi le nombre de chiens du clan est-il un facteur déterminant pour la fréquence des chasses des femmes Agta.
Ces nouvelles découvertes sur les femmes chasseuses viennent bousculer encore un peu plus le traditionnel paradigme chasseurs/cueilleuses qui, jusqu'à récemment, a occulté tout un pan de la contribution des femmes à la survie des sociétés préhistoriques. Un nouveau cadre qui permet d'évaluer ou réévaluer les découvertes archéologiques dans un contexte plus égalitaire.