Fil d'Ariane
Claude Hennequin, Anne Zelensky, Annie sugier dans une pièce de théâtre féministe "Libertée" en 1975
En 1974, elle participera à la création de la Ligue du Droit des Femmes qui, quatre années plus tard, à Clichy, ouvrira "SOS Femmes Alternative", le premier refuge pour femmes battues .
Le mouvement féministe n'a pas attendu mai 68 mais cela lui a donné un nouveau souffle
Anne Zelensky
Mai 68 ? "Le mouvement féministe n'a pas attendu mai 68 mais cela lui a donné un nouveau souffle. On n'en finit pas de constater
les retombées de notre mouvement."
A quoi attribue-t-elle le silence des médias sur la cause des femmes en 68 ? "Tout ce qui touche aux femmes, et en particulier le féminisme est particulièrement long à parvenir à la conscience des médias et des gens. En mai 68, tout a été noyé sous l'impérialisme des gauchistes. Ils ont occupé la scène. Or on verra avec le recul, que le plus important de mai 68, ce ne sont pas les maoïstes, les trotskystes et toutes leurs revendications, dont on voit ce qu'elles ont donné, mais bien ces mouvements souterrains : le féminisme, l'écologie, la consommation, la revendication de la société civile. Voilà ce qui a émergé en 68 !"
Le plus important de mai 68, ce ne sont pas les maoïstes, les trotskystes et toutes leurs revendications, dont on voit ce qu'elles ont donné, mais bien ces mouvements souterrains : le féminisme, l'écologie, la consommation, la revendication de la société civile
Anne Zelensky
Anne Zelensky publiait il y a quelques années un texte qui rend parfaitement compte de ces fortes journées de mai 68.
En voici de larges extraits.
« Tout de même, a dit l’une de nous deux, il n’y a pas grand chose sur les femmes. Rien sur les murs, pas de banderole…Ca va pas encore recommencer. »
Après un silence, j’ai dit :
« Qu’est ce qu’on attend ? On n’a qu’à les écrire, les slogans… »
Aussitôt dit, aussitôt fait. Nous avons cherché du papier, on nous a prêté des feutres. Nous avions en mémoire un petit stock de phrases sur les femmes, émises par de grands noms, Beauvoir, Fourier, Stuart Mill, Condorcet.. Il suffisait de les écrire et d’aller placarder nos banderoles dans les couloirs de la Sorbonne, sous le regard complaisant des passants.Et nous revoilà assises sur nos marches, satisfaites mais pas comblées.
« Ce qui manque c’est un grand débat.. On parle de tout sauf de la situation des femmes… »
Alors nous sommes montées au premier étage, là où dans une petite salle, se tenait un chevelu qui était préposé à l’affectation des amphis. Timidement nous avons fait remarquer que depuis 15 jours que la révolution avait commencé, il y avait comme une absente, la question des femmes…
« Ca c’est vrai, alors ! s’est il écrié. Vous avez raison. On n’y a pas pensé. Vous voulez un amphi ? Pour quand ? »
Nous avons bredouillé je ne sais quoi. Alors il nous a proposé pour le surlendemain l’amphi Descartes et nous a donné un petit bout de papier, que j’ai conservé, avec un tampon dessus. Le titre du meeting ? Nous en avons discuté avec lui, puis nous sommes tombés d’accord sur « Les femmes et la révolution » . Nous sommes ressorties de là, éberluées de la facilité avec laquelle les choses s’étaient faites. Quand on vous le disait : « Soyez réalistes , demandez l’impossible ! »
"Le surlendemain, nous sommes arrivées en avance. Quand nous sommes entrées dans l’amphi Descartes, par le haut, le choc ! Immense, la salle . Comment allions nous la remplir ? Nous sommes descendues vers la chaire, tout en bas, le cœur en chamade. Nous avions préparé chacune une petite introduction, au cas où il y aurait du monde. Car nous pensions qu’il n’y aurait personne. Ce syndrôme courant chez tout organisateur était décuplé par le fait que notre thème, les femmes – version révolte – ne faisait plus recette depuis des décennies – on nous l’avait seriné « nous avions tout, que voulions nous encore » ? Depuis « Le deuxième sexe », il ne s’était pas passé grand chose du côté d’une contestation de la condition dite féminine. Sauf aux USA, où un livre « La femme mystifiée » de Betty Friedan, commençait à faire un tabac. (...)
Un jeune chevelu s’est proposé pour nous prêter main forte. Les jambes coupées par l’émotion, mais la joie au cœur, nous assistions à ce moment unique où se débridaient des paroles si longtemps contenues, où elles circulaient de l’un à l’autre, dégagées de cette bienséance mortifère qui nous condamnait sur ces choses là au silence."
"Nous avons organisé d’autres débats. Avec des personnalités,
Gisèle Halimi, Evelyne Sullerot. Elles parlaient, le public écoutait. On reprenait le pli habituel, il y en a qui parlent, d’autres qui écoutent. Avec la différence, que nous veillions au grain, limitions la parole de l’experte et donnions l’avantage au public. N’empêche, rien à voir avec la spontanéité inventive du premier débat « Les femmes et la révolution ». On avait assisté là à un pur moment révolutionnaire, au sens premier, où les choses s’étaient remises à l’endroit dans un monde, où elles étaient à l’envers. Il y avait du mouvement, de la circulation d’idée, de générosité, d’enthousiasme. On avait entrevu ce que pourrait être un monde différent, libéré des carcans créés.
Pour moi, mai 68 est tout entier dans ce moment de grâce."
Aujourd'hui, en 2018, 50 ans après les "événements", Anne Zelensky reste une figure très respectée pour son engagement féministe d'une vie. Pas de larmes à perdre dans le marécage de la nostalgie soixante-huitarde.
Le combat continue, encore et toujours. "Le problème des femmes assure-t-elle avec force, est qu'elles n'osent pas".
Comment apprécie-t-elle ce mouvement sur les réseaux sociaux ( #metoo, #balance ton porc") avec ses dérives possibles ? "Quand le couvercle saute, cela rejaillit à la tête et vous êtes brûlé ! Les excès sont inhérents aux marches de libération. Il ne faut pas s'arrêter dessus ni s'en offusquer. Il faut se dire que cela fait partie du scénario et voir le positif : des millions de femmes dans le monde osent enfin dire que depuis des années elles sont harcelées. Il faut attendre que cela se calme..."
Oui, une enthousiaste inoxydable...