Pas question de suivre le drapeau noir de l'anarchie ! En mai 68, Roselyne Bachelot a 22 ans. Elle préfère le drapeau tricolore et l'ordre républicain. Gaulliste convaincue, la future ministre organise à Angers des actions contre-révolutionnaires. Avec un certain succès.
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La vérité est que n'avons rien vu venir, rien vu venir des aspirations de la jeunesse, rien vu venir de l'exaspération des femmes, rien vu venir des inquiétudes du monde du travail devant la mondialisation qui pouvait le laminer" écrit avec honnêteté Roselyne Bachelot dans "La petite fille de la Vème" (Flammarion).
A Angers (ouest de la vallée de la Loire), où elle vit, ce début de printemps 68 ne ressemble à rien. Il y a dans les rues une effervescence inhabituelle et même un début de panique. Les cours se sont arrêtés. L'heure est aux assemblées générales.
Au sein de sa fac de médecine, où elle étudie, Hélène, sa meilleure amie lui apprend que tout est bloqué. Roselyne Bachelot veut s'y rendre pour constater d'elle-même.
Sa confidente l'en dissuade : "Faut pas traîner içi. Ils crient aux filles qui entrent dans l'amphi de se mettre à poil !"
Roselyne Bachelot ne s'entête pas.
A cette heure, tout ce qui se passe la dépasse un peu. Mais elle ne va pas tarder à se ressaisir. "Nous sommes persuadés que, comme à Paris, la majorité silencieuse ne s'exprime pas car elle a le sentiment que le pouvoir est défaillant, et il l'est. Il faut donc que du peuple montent des gens nouveaux qui appellent à la mobilisation" écrit-elle avec une certaine emphase.
Roselyne Bachelot et les bisous du général
Fille unique d'un couple de chirurgiens dentiste, l'étudiante Narquin (future épouse Bachelot) à une dent contre ce désordre ambiant.
Elle désapprouve ces débordements. Voici le théâtre municipal changé en "maison du peuple", où flotte le drapeau noir des anarchistes. Elle condamne ces
crises de panique qui éclosent un peu partout, comme des boutons de fièvre. Mais les pavés, contrairement à Paris, ne volent pas au Pays de la Loire. Il y a bien l'expression d'une colère, d'un raz-le bol mais pas de vrais débordements, aucune violence gratuite. Le quotidien, cependant, devient chaque jour un peu plus difficile : les stations services ne sont plus ravitaillées, les trains ne circulent plus.
L'éducation très bourgeoise de Roselyne Bachelot ne peut admettre ce désordre, elle qui a grandit avec des codes très stricts (scolarité- pension, pas de télévision, cours de piano, déjeuners avec son frère sans jamais la présence des parents etc.).
Une légende familiale affirme que le Général de Gaulle lui a tapoté la joue à l'âge de neuf mois, quand elle était dans les bras de son père, célèbre militant gaulliste. C'était lors d'une réunion politique à Bourges." J'ai été adoubée !" dira-t-elle fièrement.
Ecolière toujours sage, Roselyne Bachelot ? Elle s'en défend. " Bonne élève tout au long de ma scolarité, je n’en étais pas moins un esprit indiscipliné, rebelle et contestataire. Meneuse et toujours prompte à faire un mauvais coup, j’ai même été renvoyée huit jours, au grand dam de mes parents ! ".
On a les révoltes qu'on peut.
L'oeil féroce de Roselyne
Roselyne Bachelot a surtout un oeil lucide, volontiers féroce, un oeil qui enregistre tout et qui, demain, la distinguera de ses collègues politiques via des formules vachardes toujours bien senties.
Mai 68 lui procure un étonnement sans cesse renouvelé : "On voit des fils de bourgeois friqués défiler sur le boulevard Foch pour dénoncer un gouvernement autoritaire, serviteur du grand capital" écrit-elle.
A Madame le Figaro, elle dira encore : " Mai 68 n’est qu’une sorte d’explosion. C’est la Cocotte-Minute qui, subitement, éjecte un immense jet de vapeur ! » .
Avec trois autres étudiants, (dont Jacques Bachelot qui deviendra son mari trois mois plus tard), elle fonde le CEA, le collectif des étudiants angevins. L'idée est de faire preuve publiquement d'une résistance et de réaffirmer, sans jamais l'écrire, son soutien au Général de Gaulle. Tout cela en communion avec le mouvement de son futur beau-père qui fonde, lui, des comités de défense de la République.
Avec mes camarades, nous avons organisé une des toutes premières manifestations contre-révolutionnaires
Roselyne Bachelot
Elle décroche le drapeau noir qui flottait sur le théâtre et le remplace par le drapeau tricolore. Aux fenêtres, quelques personnes applaudissent, d'autres l'encouragent. Elle distribue des tracts. "Avec mes camarades, nous avons organisé une des toutes premières manifestations contre-révolutionnaires. La grande manif d’Angers s’est déroulée deux jours avant celle du 30 mai aux Champs-Élysées. On a remonté la rue d’Alsace avec un énorme drapeau tricolore. C’était le bon temps ! C’est un peu dingue, quand j’y repense, ce qu’on a fait!".
Le mouvement de Mai 68 vit ses dernières heures.
Le
30 mai, à 16h31, le général de Gaulle prononce sa déclaration restée fameuse :
"Français, Françaises, étant le détenteur de la légitimité nationale et républicaine, j'ai envisagé depuis vingt-quatre heures toutes les éventualités, sans exception, qui me permettraient de la maintenir. J'ai pris mes résolutions. Dans les circonstances présentes, je ne me retirerai pas !"Ausitôt après, une immense marée humaine forte de plus d'un million de personnes défile sur les Champs-Elysées pour apporter son soutien au vieux général.
On devine le soulagement au sein des familles Narquin/Bachelot. Ces heures sont historiques.
A cette occasion, Roselyne a eu la permission de regarder la télévision.