Femmes des "Black Panthers", piliers de la communauté noire aux Etats-Unis

Mouvement de lutte pour les droits et la fierté des Afro-américains dans les années 1970, le "Black Panthers Party" était incarné par des personnalités radicales, comme Angela Davis. Mais en coulisses, le parti reposait surtout sur une majorité de femmes, des pionnières sociales qui tentaient de subvenir aux besoins de leurs communautés. Une exposition du photographe Stephen Shames les met en lumière à Mougins, dans le sud de la France.
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Marsha Taylor

Marsha Taylor, à gauche, lors d'un rassemblement au Provo Park, en 1969, à Berkeley, en Californie.

Stephen Shames
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Les Black Panthers – Panthères noires – sont nées en octobre 1966 sous le nom de Black Panther Party for Self-Defense. Un mouvement qui se veut d'autodéfense en réaction aux violences policières contre les Afro-américains, mais pas seulement : "L'idée n'était pas de chercher l'affrontement, mais de proposer une alternative en protégeant les communautés noires, notamment des violences policières. Mais les militants veulent aussi pallier les défaillance de l'Etat américain auprès de la communauté noire et défendre ses droits à la santé, au travail, à l'éducation, à l'égalité...", explique Yasmine Chemali, cocommissaire de l'exposition Comrade Sisters, au Centre de la photographie de Mougins.

Entre 60 et 66% des membres du Black Panther Party étaient des femmes.  Yasmine Chemali

Les femmes sont dès le début actives au sein du Black Panther Party. Au fil de la quinzaine d'années de vie du mouvement, elles seront de plus en plus nombreuses, bientôt plus que les hommes : "Dès 1969, entre 60 et 66% des membres du Black Panther Party sont des femmes, explique Yasmine Chemali. Cuisinières, femmes de ménage, vendeuses, artistes, enseignantes... Elles sont au front et au cœur de tous les combats." 

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D'inspiration marxiste, le mouvement des Black Panthers considère d'emblée les militantes sur un pied d'égalité, et le sexisme contre-révolutionnaire. Il met en avant des personnalités fortes comme Kathleen Cleaver, Angela Davis, Gloria Abernethy, Evon Carter, Ericka Huggins ou Adrienne Humphrey, qui sont autant de modèles susceptibles d'inspirer les jeunes femmes noires. De 1968 à la fin de sa publication en 1982, la direction de la rédaction du journal du Black Panther Party est assurée entièrement par des femmes. En 1970, plusieurs chapitres (branches du parti), comme ceux de Des Moines ou New Haven sont dirigés par des femmes.

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Programmes de subsistance

Les militantes des Black Panthers ont activement participé aux manifestations et aux mouvements armés. Elles ont été emprisonnées, comme les hommes, mais à mesure que les chefs de file sont arrêtés, de plus en plus de femmes, naturellement, prennent le relais. De tous âges et de tous les milieux, ces militantes définissent elles-mêmes leur rôle dans l’organisation et forment un socle ancré dans les communautés.

Ainsi les femmes des Black Panthers ont-elle énormément contribué à proposer et mettre en oeuvre un autre modèle société qui pourvoirait aux besoins de leurs communautés noires face à la défection de l'Etat américain. Ce sont elles qui mettent en place les programmes de subsistance au sein des communautés : petits-déjeuners gratuits pour les écoliers, cliniques médicales, écoles, distribution de la presse, etc. 

Black Panthers

Marsha Taylor s'occupait des petits-déjeuners pour les enfants scolarisés à Oakland, en Californie.

Assata Shakur faisait la même chose à Haarlem, à New-York.

Gloria Abernethy distribuait le journal du parti et travaillait à la clinique gratuite de Berkeley, en Californie.

 

Stephen Shames

Pallier les défaillances de l'Etat

"Ce qui différencie probablement le Black Panther Party d'autres mouvements activistes qui manifestaient et proclamaient un nouveau système, mais sans travailler sur les modalités, c'est que le Black Panther Party proposait des solutions et les mettait en oeuvre," explique Yasmine Chemali. En tout, 64 programmes pensés et concrétisés par les membres du Black Panther Party sur le territoire des Etats-Unis assistaient les communautés là où il y avait un besoin, pour y subvenir. Ce travail communautaire était majoritairement menée par les femmes.

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Ces femmes commençaient leur journée par cuisiner des petits déjeuners distribués gratuitement aux écoliers – car comment apprendre si l'on arrive à l'école le ventre vide ? Leur journée se poursuivait par la distribution du journal du Black Panther Party, qui permettait à la communauté de se situer dans le contexte des États-Unis et du monde entier, de se rendre compte qu'elle n'était pas seule. Et puis celles qui en avaient les compétences travaillaient dans les cliniques médicales gratuites, tandis que d'autres faisaient des visites à domicile pour dépister la drépanocytose, une anémie douloureuse qui touche principalement les populations noires. Pour ceux et celles qui cherchaient du travail, il fallait aussi organiser la distribution de vêtements et de chaussures neuves. 

BP actions communautaires

Distribution alimentaire en 1972, à Palo Alto, en Californie.

Dépistage de la drépanocytose en 1973, à Oakland, en Californie.

Distributin de chaussures en 1970, à Toledo, dans l'Ohio.

Stephen Shames

Tendresse et proximité

Les femmes du Black Panther Party pouvaient aussi, le soir, tenir compagnie à une vieille dame isolée dans sa maison qui avait peur de sortir faire ses courses, d'aller chercher de l'argent à la banque et de risquer de se faire attaquer par un gang raciste, ou arrêter par la police. Elles étaient mères, infirmières, sœurs, confidentes... 

"Il y a une tendresse très touchante qui émane des femmes du Black Panthers Party photographiées par Stephen Shames, dans les soins, par exemple, lorsque l'on voit un enfant qui tend sa main pour se faire dépister, ou les leçons en classe, avec des enfants qui viennent s'asseoir sur les genoux de la maîtresse. Sur toutes ses images profondément émouvantes. Les femmes étaient là", souligne Yasmine Chemali.

Leurs programmes d'accompagnement n'étaient pas des leçons données, mais autant de traits d'union entre les communautés et entre les personnes.Yasmine Chemali

C'est sur cette proximité, ces sourires, cet amour, cette compassion que tenait l'efficacité des actions du parti. Les femmes du Black Panther Party appartenaient aux communautés qu'elles assistaient. Qui aurait été mieux placé pour identifier les problèmes et proposer des solutions ? Qui aurait pu mieux savoir comment faire pour que les personnes qui les entouraient vivent mieux ? "Leurs programmes d'accompagnement n'étaient pas des leçons données, mais autant de traits d'union entre les communautés et entre les personnes", dit la commissaire d'exposition.

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Systèmes à répliquer

Ces modèles de micro-sociétés mis en place par les Panthères noires étaient faits pour être déclinés partout où les besoins des populations appellent une solution que le pays n'apporte pas. À l'échelle de l'ensemble des Etats-Unis, déjà, dans tous les chapitres du Black Panther Party, mais aussi au Brésil, dans les favelas, ou en Afrique. 

Ce sont des femmes qui ont porté les programmes communautaires qui traduisent les valeurs du Black Panther Party. Yasmine Chemali

"Quand la population n'a pas à manger, vous passez des contrats avec des sociétés qui vont donner des aliments. Quand les gens n'ont pas de chaussures pour aller travailler ou pour se présenter à un entretien, vous allez trouver des chaussures, vous arranger avec des sociétés pour récupérer les invendus ou solliciter les personnes qui ont les compétences pour les fabriquer. Pour soigner, il s'agit de trouver des personnes qui savent le faire et qui veulent aider, explique Yasmine Chemali. Ce n'est pas de la charité, c'est de l'organisation. Et ce sont des femmes qui ont porté ces programmes communautaires qui traduisent les valeurs du Parti. C'est ce que cette exposition vient mettre en lumière."

It's about time !

It's about time ! (Il est grand temps !) écrit Stephen Shames en conclusion de la préface de Comrade Sisters, Women of the Black Panthers Party. Il est en effet grand temps de mettre en lumière la majorité invisibilisée des femmes du mouvement des Black Panthers. En toile de fond, il y a la dynamique du mouvement MeToo et des revendications antisexistes. Il y a aussi le mouvement Black Lives Matter et les blocages politiques qui s'éloignent, après avoir longtemps maintenu dans l'ombre le mouvement d'inspiration marxiste du BPP.

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Selon Yasmine Chemali, la principale raison de l'invisibilisation des femmes du mouvement est aussi la plus simple et évidente : "Les femmes ont toujours été engagées et activistes, même si elles ont été souvent invisibilisées." Pour la cocommissaire de l'exposition Comrade Sisters au Centre de la photogaphie de Mougins, "ce chiffre de 66 % de femmes dans le BPP est imprimé dans la préface écrite par Angela Davis dans le livre Comrade Sisters, Women of the Black Panther Party, une publication récente de témoignages de ces femmes qui se sont senties invisibilisées et qui, en octobre 2021, à l'occasion du 55e anniversaire de la fondation du Black Panther Party, ont fait remarquer qu'elles n'étaient présentées nulle part." 

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Signé Stephen Shames et Ericka Huggins, le livre Comrade Sisters, Women of the Black Panther Party a inspiré l'exposition de Mougins, au Centre de la photographie jusqu'au 6 octobre 2024.

Ericka Huggins

Ericka Huggins, le 31 mars 1972, à Oakland, Californie. A 77 ans aujourd'hui, elle continue à donner des conférences, animer des tables rondes, diffuser des publications et faire en sorte que la mémoire du BPP ne sombre pas dans l'oubli.

Stephen Shames

Un photographe féministe, au coeur du mouvement

Stephen James a 20 ans lorsqu'il rencontre Huey Newton et Bobby Seale, fondateurs du Black Panther Party, lors d'une manifestation contre la guerre du Vietnam sur un campus californien. Sa première photo est celle de Bobby Seale tenant le petit livre rouge de Mao. Dès lors, il accompagne le mouvement, dont il va photographier en toute liberté le quotidien et l'intime jusqu’à sa dissolution. Rien d'étonnant, donc, à ce que ses photographies mettent en lumière cet aspect peu connu du Black Panther Party : la place des femmes à l’intérieur de l’organisation. 

Kathleen Cleaver

Kathleen Cleaver, à gauche, au DeFremery Park, le 28 juillet 1968, à Oakland, en Californie.

Stephen Shames

"Il rentre dans les classes, dans les maisons, là où les noirs reçoivent des médecins pour le dépistage de la drépanocytose... Bobby Seale a fait confiance à Stephen James, alors la communauté noire a fait confiance à Stephen James. En contrepartie, lui leur donnait ses images qui illustraient les combats du Black Panther Party," explique Yasmine Chemali. 

Cela fait partie de son ADN d'être aux côtés des combats féminins et féministes. Yasmine Chemali

Stephen Shames a grandi avec une mère intellectuelle et engagée. Dans les années 1940, elle refuse un poste de journaliste au New York Time pour s'occuper de ses enfants, "parce que dans ces années-là, c'est ce qui se faisait, s'occuper des enfants, rappelle Yasmine Chemali. Dès qu'elle peut reprendre des études, elle fait une thèse, puis se spécialise dans les questions des Amérindiens et participe à la Commission nationale des femmes à Houston dans les années 1970. Rien d'étonnant, donc, que son fils accorde une place importante aux femmes dans ses images, d'une part parce qu'elles sont présentes, mais aussi parce que cela fait partie de son ADN d'être aux côtés des combats féminins et féministes."

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