Femmes et mères de soldats russes : encore et toujours au front

Après deux ans de conflit en Ukraine, elles sont toujours des milliers en Russie à attendre le retour d'un époux, d'un fils, mobilisé sur le front. La sociologue Anna Colin-Lebedev explique comment le combat des épouses et des mères de soldats russes s'est imposé dans la société et a évolué avec elles.

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mère russe pleurant son fils
La mère de Rustam Zarifulin, soldat de l'armée russe tué en Ukraine, pleure son fils, entourée de proches dans sa ville natale de Kara-Balta, à l'ouest de Bishkek, au Kirghizistan, le 27 mars 2022.
©AP Photo/Vladimir Voronin
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Samedi 6 janvier 2024, elles n'étaient qu'une poignée, mais leur geste est fort quant on sait la répression menée par les autorités contre tout mouvement de contestation en Russie. Mais cette fois, la police n'a pas bougé. Une quinzaine de femmes de Russes mobilisés pour la guerre en Ukraine ont bravé le froid pour manifester devant les grilles du Kremlin à Moscou. En signe de protestation et pour demander le retour de leurs maris, elles ont déposé des fleurs rouges sur la flamme du soldat inconnu. 

Nos hommes ne peuvent pas rester là-bas aussi longtemps. Maria, épouse d'un soldat russe

"Nos hommes ne peuvent pas rester là-bas aussi longtemps", déclare l'une d'elle à l'AFP. "Nous voulons attirer l'attention des autorités et du public sur notre appel. Nous avons essayé plusieurs moyens. Nous avons lancé un appel écrit aux députés, aux responsables, aux administrations, mais nous n'avons pas été entendues", ajoute Maria, 47 ans, dont le mari est mobilisé depuis novembre 2022. "J'ai l'impression que nous les dérangeons. Mais personne ne restera silencieux. Nous sortirons tous les jours, tous les samedis, nous déposerons des fleurs" pour attirer l'attention sur leur situation, renchérit Paulina, mère d'un enfant d'un an, également venue manifester. 

Issues de différentes régions de Russie, de nombreuses femmes ont pu faire connaissance grâce au mouvement "Puts’ domoï" ("retour à la maison" en russe) et s’organiser à travers des groupes sur les réseaux sociaux.

Selon Vladimir Poutine, 244.000 mobilisés combattent actuellement en Ukraine sur une force totale de 617.000 hommes.

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Deux ans de conflit : le combat des mères

Deux semaines après le début de l'offensive de l'armée russe en Ukraine, le président ukrainien Volodymyr Zelensky leur lançait un appel via une video diffusée sur Telegram : "Je veux le dire encore une fois aux mères russes... N'envoyez pas vos enfants à la guerre dans un pays étranger...Vérifiez où est votre fils. Et si vous avez le moindre soupçon que votre fils pourrait être envoyé à la guerre contre l'Ukraine, agissez immédiatement". Quelques jours auparavant, l'Ukraine invitait les mères de soldats russes capturés sur son territoire à venir les chercher. Répondant aux appels sur les réseaux sociaux de mères sans nouvelles de leurs fils, le ministère de la Défense ukrainien publiait les numéros de téléphone et un courriel via lesquels elles pouvaient obtenir des informations sur les prisonniers. 

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En novembre 2022, alors que les femmes proches de soldats inondent l'internet russophone pour exiger le respect des promesses du Kremlin, le président russe Vladimir Poutine assure partager la "douleur" des mères de jeunes tués en Ukraine : "Je veux que vous sachiez que moi, personnellement, tous les dirigeants du pays, nous partageons cette douleur. Nous savons que rien ne peut remplacer la perte d'un fils",  lançait-il lors de la première réunion télévisée avec des mères de soldats et mobilisés russes.

Après avoir ordonné une mobilisation partielle, en septembre 2022, le gouvernement russe avait en effet assuré que les centaines de milliers d'enrôlés suivraient un entraînement solide, recevraient un bon équipement et ne seraient pas envoyés en première ligne. Mais de nombreuses violations ont été recensées : mort au front de mobilisés ; mobilisation d'hommes inaptes, de pères de familles nombreuses ou trop âgés ; absence d'équipement adéquat et de formation militaire pour nombre d'appelés...

Lors de la réunion retransmise à la télévision, qualifiée de mise en scène avec des intervenantes triées sur le volet, voire des figurantes par les Ukrainiens et les opposants au régime russe– une mère dénonçait des uniformes qui deviennent rapidement "inutilisables dans les tranchées sales et humides", sans être jamais remplacés. Le président a aussitôt assuré que le ministère de la Défense allait régler le problème d'équipements "de la manière aussi efficace que possible". 

Si les autorités russes répriment implacablement toute remise en cause de l'offensive en Ukraine, le président russe sait combien le sujet des proches de soldats est sensible. La parole des femmes de soldats est sacrée et les emprisonner choquerait en Russie. Leur statut de mères et d'épouses d'hommes mobilisés, partis servir la patrie, leur donne une légitimité et une forme de protection face aux persécutions. Dans la société russe, "il y a le sentiment inconscient que les femmes ont le droit" de demander des comptes au pouvoir, note Alexeï Levinson, sociologue au centre indépendant Levada.

Colin-Lebedev experte
Anna Colin Lebedev 
©Les expertes

En août 2000, déjà lors du naufrage du sous-marin russe Koursk qui a causé la mort de ses 118 membres d'équipage, le président russe avait été vivement critiqué par les mères de soldats, accusé d'avoir tardé à réagir. Lors des deux guerres de Tchétchénie, entre Moscou et des indépendantistes, dans les années 1990 et 2000, de nombreux jeunes conscrits russes avaient été envoyés au front et faits prisonniers. Les mères de soldats s'étaient alors mobilisées, n'hésitant pas à aller sur place pour les faire revenir vivants ou ramener leurs cadavres. Mais ce mouvement des femmes remonte à plus loin encore, profondément ancré dans la culture soviétique, comme nous l'explique Anna Colin-Lebedev, spécialiste des sociétés post-soviétiques.
 

Entretien avec Anna Colin-Lebedev

Enseignante chercheuse et autrice de Le coeur politique des mères : analyse du mouvement des mères de soldats en Russie

 

Terriennes : Quelles sont les origines du mouvement des mères de soldats russes ?

Coeur politique

Anna Colin-Lebedev : Le mouvement des mères de soldats apparaît en Union soviétique à la fin des années 1980, à la faveur de la libéralisation de l'U.R.S.S. Il émerge dans un contexte où l'Union soviétique est en train de retirer ses troupes d'Afghanistan, où une guerre a été conduite pendant dix ans. Une guerre qui est alors perçue au sein de la société soviétique comme très injuste et dénuée de sens pour les soldats russes.

C'est aussi un moment où l'on commence à apprendre par les médias ce qui se passe en réalité dans les rangs de l'armée. Si les Russes ordinaires et les citoyens des républiques soviétiques le savent, cela n'a jamais été rendu public : les conditions du service militaire, le manque de contenu des entraînements, mais surtout les violences qui sont exercées entre les conscrits eux-mêmes et puis les violences exercées par les officiers sur les conscrits.

Tout cela crée un mouvement de protestation qui peut s'exprimer à ce moment-là, parce que la parole est ouverte. Alors des mères se réunissent et demandent la fin de la guerre d'Afghanistan, mais surtout une réforme très importante du service militaire.

Comment ce mouvement est-il accueilli par la société russe ?

C'est une époque où la société est très réceptive à l'égard de toute forme de protestation. Les premiers rassemblements ont lieu à Moscou, et puis le mouvement essaime dans les autres villes de Russie et les différentes républiques de l'Union soviétique. Des mères sortent sur la place publique avec des pancartes et des revendications. Si elles ne sont pas réprimées, c'est parce que le climat de l'époque est à l'ouverture et au changement. Et puis des organisations se créent qui, au début, n'ont pas de statut juridique, et qui se donnent le nom de "Comités de mères de soldats" avec, pour objectif, de changer l'armée, cette armée qui leur paraît archaïque et inhumaine. 

Comment le mouvement évolue-t-il ?

Dans les années 1990 et 2000, en dépit de la fin de la guerre d'Afghanistan, les mères de soldats se rendent compte qu'énormément de problèmes perdurent, dont il faut s'occuper. Eclatent alors les guerres en Tchétchénie qui, dès fin 1994, occupent énormément le mouvement des mères de soldats dans la mesure où des conscrits, de jeunes garçons de 18 ans, y sont envoyés sans aucune préparation. Cela devient une vraie bataille pour les mères de soldats. D'autant que les violences au sein de l'armée russe ne diminuent pas.

Dans les années 1990 et 2000, énormément de mères, notamment issus des milieux les plus modestes, vont s'adresser aux mères de soldats et obtenir la résolution de leur cas.
Anna Colin-Lebedev

Progressivement, les comités de mères de soldats s'institutionnalisent, se structurent et leurs actions prennent deux directions. D'un côté, elles revendiquent toujours une réforme majeure, voire la suppression, du service militaire. De l'autre, et c'est surtout pour cela qu'elles sont connues, elles se mettent à venir en aide concrètement aux familles et aux soldats. Cela veut dire aller chercher un soldat sur le champ de bataille en Tchétchénie – c'est ce qui est arrivé en 1995. Cela veut dire aussi répondre à la mère dont le fils, malade, n'est pas soigné par les autorités militaires. Ou encore répondre au soldat battu ou maltraité qui s'adresse au comité pour demander son soutien...

Petit à petit, ces activités là prennent le gros de leur temps de travail et, dans les années 1990 et 2000, deviennent très visibles sur la scène publique en Russie. Enormément de mères, notamment issus des milieux les plus modestes, vont s'adresser aux mères de soldats et obtenir la résolution de leur cas. Aujourd'hui, les femmes ordinaires ressemblent beaucoup à celles qui s'adressaient aux comités des mères de soldats à l'époque, connaissant mal leurs droits, ne pensant pas qu'elles peuvent faire quelque chose contre la machine militaire et contre la machine étatique, demandant une forme d'aide, quelle qu'elle soit. Aujourd'hui, les femmes qui sont proches des mobilisés sont tout aussi désemparées.

mères soldats Tchétchénie
Des mères de combattants russes en Tchétchénie portant une bannière sur laquelle on peut lire "La marche de la compassion des mères" à Nazran, en Ingouchie, le 25 mars 1995. Arrêtées par les troupes russes près de la frontière tchétchène, elles espèrent atteindre Grozny, la capitale tchétchène, pour faire pression en faveur de la libération des prisonniers russes.
©AP Photo/Shakh Aivazov

Combien sont-elles à agir ?

Il est très difficile de quantifier le nombre de mères de soldats actives dans la mesure où si trois femmes se réunissent dans une petite ville de Russie en disant "Nous sommes le comité des mères de soldats", et bien elles sont le comité des mères de soldats. Et puis une grande fluidité caractérise ces organisations : on vient aider le comité pendant quelques semaines, quelques mois, quelques années, et puis ensuite on retourne à sa vie quotidienne. Il n'y a pas forcément de salariat ni de structures institutionnelles.

Et pourtant, elles ont été extrêmement présentes sur le territoire. Dans les années 1990 et 2000, il y a eu des centaines de comités de mères de soldats partout en Russie. Tous les Russes ordinaires avaient la possibilité de trouver leur comité de mères de soldats de proximité et de s'adresser à lui.

Les mères ont été très efficaces pour résoudre des situations concrètes, mais assez peu efficaces pour peser sur la décision politique.
Anna Colin Lebedev

Concrètement, qu'ont-elles obtenu ?

Les mères ont été très efficaces pour résoudre des situations concrètes, mais finalement assez peu efficaces pour peser sur la décision politique. C'est-à-dire que leur action de lobbying a été relativement peu entendue. Elles ont pourtant réussi à accomplir certaines choses, comme introduire un principe de volontariat pour le départ en zone de combat, même si cela n'a duré que quelques années. C'est aussi aux mères de soldats que l'on doit la mise en place d'un système d'identification des restes de soldats collectés sur le champ de bataille. Au-delà de ça, l'armée n'a pas fondamentalement changée sous leur impulsion. 

Dans les années 2010, le rôle des mères de soldats change, pourquoi ?

Déjà parce que la durée du service militaire est réduite à un an, alors qu'elle était de deux ans auparavant. Les violences entre soldats diminuent parce qu'il y a moins cette hiérarchie créée par la différence d'âge. Elle est réduite aussi parce que petit à petit, l'armée russe se réforme, non pas par l'impulsion des mères de soldats, mais par l'impulsion du ministère de la Défense. Le recrutement de soldats sous contrat, notamment, est privilégié à la conscription. Et un soldat sous contrat est un homme majeur, capable de se défendre. Il n'a pas besoin de sa maman pour lui venir en aide.

C'est aussi l'époque où Internet et les téléphones portables se généralisent...

petits soldats
Biographie et propos de fondatrices du mouvement des mères de soldats (2001). Valentina Melnikova est secrétaire générale de l'Union des comités de mères de soldats de Russie.

Dans les années 1990 et 2000, un soldat dans une unité militaire n'avait pas de téléphone et aucun moyen de défendre ses droits ou de se renseigner sur ce qui était ses droits et ses possibilités d'agir. Le seul moyen qu'il avait d'agir, c'était d'appeler sa mère ou de lui écrire une lettre. Désormais, en Russie, la première chose que fait un jeune homme qui rencontre un problème au cours du service militaire, c'est de regarder sur Internet. Donc l'action de consultation juridique qu'avaient les mères de soldats a perdu de son utilité. C'est l'une des raisons pour lesquelles il n'y a pas eu de renouvellement de générations : la génération historique des mères de soldats qui ont commencé à travailler au début des années 1990 a continué, mais il n'y a pas eu de mères plus jeunes qui sont venues renflouer le mouvement jusqu'en jusqu'en février 2022. 

Aujourd'hui, de nouvelles femmes et de nouvelles mères prennent la parole, mais elles agissent dans le contexte de la mobilisation. Ce ne sont plus seulement des mères puisque, parmi les mobilisés, il y a des garçons de 20 ans, mais également des hommes de 45, voire de 50 ans. Or ce n'est plus tout à fait la même chose de parler d'un homme majeur. Alors que traditionnellement, le cheval de bataille des mères de soldats était de dire : "Attention, ces jeunes combattants là sont à peine sortis de l'enfance et nous sommes encore responsables d'eux".

Qu'est-ce qui a changé pour les mères de soldats envoyés en Ukraine ?


La différence entre les mères de soldats qui opèrent aujourd hui dans le contexte de la guerre d'Ukraine et les mères de soldats des années 1990 et 2000, c'est qu'aujourd'hui, elles n'ont plus aucune possibilité d'exprimer une opposition dans l'espace public. C'est à dire que le discours selon lequel l'armée est meurtrière et l'Etat russe agit mal vis-à-vis des soldats qu'il envoie sur le front n'est plus possible.

Aujourd'hui, les organisations traditionnelles de mères de soldats sont réduites au silence.​ 
Anna Colin Lebedev

Aujourd'hui, le discours antimilitariste, accepté tout au long de ces dernières décennies, est passible de poursuites pénales. Les organisations traditionnelles de mères de soldats sont réduites au silence. Dans l'espace public, elles ne peuvent plus exprimer leurs critiques parce que chacune se retrouverait en prison très rapidement.

Mais elles continuent leurs actions ?

Elles continuent leurs activités d'aide et de consultation, et les demandes affluent. Donc cette aide ponctuelle et juridique, oui ; une action qui les rendrait visibles dans l'espace public, non. Les femmes qui prennent la parole – épouses, sœurs, mères de mobilisés – le font en connaissance des risques pour dire : "Nous ne sommes pas contre l'envoi de nos hommes en zone de combat. Nous ne sommes pas contre l'idée que cette guerre décidée par la Russie est juste, mais assurez-leur de bonnes conditions, entraînez-les, formez-les, armez-les, soignez-les, faites en sorte qu'ils ne partent pas en baskets et qu'ils partent en sachant tenir une arme."

C'est un discours très différent du discours antimilitariste qui a pu être tenu par les mères de soldats pendant les guerres précédentes. Aujourd'hui, si le discours antimilitariste n'est pas possible en Russie, cela ne veut pas dire que toutes les mères partagent cette adhésion à la guerre, mais c'est la seule manière qu'elles ont de se protéger et de protéger leurs proches. 

Un rôle que l'on pourrait qualifier de traditionnel ?

Leur rôle n'a rien de traditionnel ! Si les mères de soldats ont cette légitimité à prendre la parole depuis les années 1990, c'est parce que cela correspondait au rôle social qui était accordé aux femmes dans l'espace soviétique et dans les sociétés post-soviétiques. L'idée perdure que la mère est la gardienne morale de la vie de la famille et qu'elle a la possibilité, au nom de ce rôle, de s'adresser à l'Etat pour lui demander le respect d'un certain nombre de choses. Elles ont une vraie légitimité à intervenir dans l'espace public à partir du moment où il s'agit de la santé, de la sécurité, du bien-être de ceux dont elles sont responsables, conjoints compris. 

Les autorités russes ont eu la consigne de rester bienveillantes vis-à-vis des demandes des mères de soldats.
Anna Colin Lebedev

Cette légitimité existe toujours et c'est pour ça que les mères sont entendues lorsqu'elles disent "Attention, notre rôle est de veiller à la santé et à la sécurité de nos proches et de notre frère, de notre époux, de notre, de notre fils. Et donc nous demandons à l'État de garantir ce à quoi il s'engage." Ce discours-là reste entendable dans la mesure où il ne sort pas du domaine de protection. D'ailleurs, les autorités russes ont eu la consigne de rester bienveillantes vis-à-vis des demandes de ces mères. Les gouverneurs de région, notamment, ont été invités à pallier les dysfonctionnements qu'elles avaient constatés, mais qui restent des déclarations de dysfonctionnement.

Elles ne s'autorisent jamais à formuler des critiques ouvertes ?

Ces mères-là ne prennent pas la parole pour critiquer la décision de l'envoi en guerre. Elles n'ont pas un discours pacifiste. Aujourd'hui, les proches des démobilisés savent que si elles expriment une opposition à la guerre et un mécontentement en raison de la mobilisation, elles se mettent directement en danger, puisque toute action ou critique sur ce que la Russie fait sur le front ukrainien est pénalement punie. Mais elles mettent aussi en danger celui qu'elles veulent protéger, puisque le soldat en question risque de payer le prix fort pour cette déclaration.

En quoi consiste aujourd'hui leur action ?

Les femmes, les mères et les proches de manière générale de soldats, ne se regroupent plus en comités ou autres organisations. Ce n'est pas envisageable dans la société russe actuelle. Elles se regroupent quand elles savent que leurs proches sont envoyés dans les mêmes unités militaires. Elles agissent dans leur ville d'origine, par petits groupes extrêmement restreints de 5 à 10 femmes. Leurs messages passent essentiellement par l'enregistrement de vidéos qui vont être diffusées sur les réseaux sociaux. Ça ne va pas au-delà.


Qu'en est-il du Conseil des mères et des épouses de soldats ?

La seule nouvelle organisation qui a émergé, le "Conseil des femmes et des mères de soldats", dont fait partie la médiatique Olga Tsukanova, est très particulière et n'a rien à voir avec l'historique" Comité des mères de soldats". Elle est l'émanation d'une organisation clandestine qui porte un message conspirationniste selon lequel la population russe connaîtrait un risque d'extermination par un complot juif international, dont le président Poutine serait l'un des opérateurs. Cette organisation était extrêmement active pendant la pandémie de covid et protestait contre les "puces insérées sous la peau des personnes par la vaccination". Aujourd'hui, leur cheval de bataille consiste à dire que la mobilisation est une extermination du patrimoine génétique de la Russie. 

Les femmes peuvent-elles être un moteur du changement en Russie ?

Historiquement, en dépit de la visibilité qu'a pu avoir le mouvement des mères de soldats en Russie, elles n'ont jamais pu être moteur pour arrêter aucune des guerres dans lesquelles l'Etat russe a été engagé. Mais les mères de soldats ont pu être une force politique ; aujourd'hui, elles ne peuvent pas être une force politique. Avec Internet, les réseaux sociaux et les smartphones, il n'y a plus besoin de mères pour faire la médiation, pour montrer ce qui se passe effectivement dans les rangs de l'armée. La population russe saura. Elle saura sans ces femmes, et les femmes ne seront pas forcément moteur.

La parole des mères de soldats pourrait peser si le président décide d'envoyer des conscrits en zone de front, donc à nouveau des jeunes hommes à peine sortis de l'adolescence. Parce qu'il y a une mémoire historique de la population russe, une certaine sensibilité à cette question. Cela pourrait provoquer une réaction des mères qui prendraient la parole au nom de la défense de leurs enfants. Peut-être...

Pour l'instant, les femmes qui prennent la parole sur la guerre dans l'espace public disent en substance "Qui suis-je en fait pour décider de ce que mon homme doit faire ? C'est un homme adulte et ce serait le priver de sa masculinité que de prendre des décisions à sa place. S'il a décidé de partir ou s'il a accepté de partir, je n'ai qu'à suivre cette décision."