Femmes et ministres en Afghanistan, Fariba Momand et Mojgan Mostafavi veulent plus d’égalité entre les sexes

En dépit de taliban toujours actifs, comme le montre une énième lapidation à mort de jeune femme en ce debut de mois de novembre 2015, Fariba Momand, ministre de l’Enseignement supérieur, et Mojgan Mostafavi, vice-ministre de la Culture et de la Communication du gouvernement afghan, reviennent en exclusivité pour TV5MONDE sur leur feuille de route. Envers et contre tout et tous, elles oeuvrent à améliorer la situation des femmes.
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Ministres afghanes en visite à Paris
Le 3 novembre 2015 Fariba Momand, ministre de l’Enseignement supérieur, et Mojgan Mostafavi, vice-ministre de la Culture et de la Communication, invitées du club France-Afghanistan, intervenaient devant les députés français
Julia Dumont
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Fin septembre 2015, la prise de la ville de Kunduz par les taliban dans la province du même nom, au nord est de l’Afghanistan, a été brève mais elle a rappelé aux Afghans que les insurgés islamistes ne cessent de gagner du terrain depuis les départ des troupes de la coalition internationale en décembre 2014. L’armée afghane est parvenue à reprendre la ville en quelques jours seulement mais dans la crainte des exactions des combattants islamistes, de nombreuses femmes ont quitté la ville.

Près d’un an après le départ des troupes de la coalition internationale d’Afghanistan, les taliban ont reconquis plusieurs provinces. Opposés à l’éducation des filles, ils menacent encore le développement du système scolaire afghan, en particulier l’accès des filles à une éducation complète.

Au pouvoir de 1996 à 2001, les taliban avaient imposé à la population afghane des règles très strictes et empêchaient systématiquement les filles d’avoir accès à l’éducation. Quatorze ans plus tard, ils ne règnent plus à Kaboul mais, dans les zones qu’ils contrôlent à nouveau, leur présence est toujours synonyme de recul des droits des citoyens, des femmes en particulier. Une source gouvernementale afghane résume : « [La présence des taliban] impacte tout le travail sociétal, telles les actions mises en place par les ONG et particulièrement celles qui travaillent pour les femmes. Du coup, la contribution des femmes dans la vie sociétale baisse. »
 
Fariba Momand, ministre afghane de l'enseignement supérieur
Fariba Momand, pédiatre de profession, est la première femme à occuper le poste de ministre de l’Enseignement supérieur en Afghanistan.
Julia Dumont

Signe de la tension que provoque la nouvelle progression des taliban, Fariba Momand, ministre de l’Enseignement supérieur, et Mojgan Mostafavi, vice-ministre de la Culture et de la Communication, ne souhaitent pas s’exprimer à ce sujet.
 
Mojgan Mostafavi, ministre de la culture d'Afghanistan
Mojgan Mostafavi, ministre afghane de la Culture et de la communication, a fait ses études de journalisme en Iran. En plus de son ministère, elle enseigne toujours à l’université de journalisme de Kaboul.
Julia Dumont


En visite à Paris du 3 au 5 novembre 2015, les deux hautes responsables ont préféré souligner les progrès déjà accomplis en matière d'éducation des femmes depuis 2001. Lors d'une conférence-débat à l'Assemblée nationale le 3 novembre, les deux femmes sont revenues sur les difficultés qui persistent mais aussi les pistes à poursuivre pour accéder à plus d’égalité entre les sexes dans l’accès à l’enseignement.

Les familles estiment que les garçons ont un plus grand rôle à jouer que les filles dans le développement économique

TV5MONDE : Alors que quasiment aucune fillette ne pouvait fréquenter l’école sous le régime des taliban (1996-2001), elles représentent aujourd’hui environ 46% des écoliers en Afghanistan (source UNICEF). Pourtant, à l’université, les jeunes filles ne représentent qu’environ 20% des étudiants (source UNWOMEN). Quelles sont les causes de cette différence et comment remédier à la discontinuité de l’éducation des jeunes Afghanes ?


Fariba Momand, ministre de l’Enseignement supérieur : La première raison qui explique cet écart est que toutes les familles ont l’habitude d’ « investir » sur les garçons plutôt que sur les filles. Elles estiment que les garçons ont un plus grand rôle à jouer que les filles dans le développement économique de la famille. L’instabilité et l’insécurité actuelle en Afghanistan ne poussent pas non plus  les familles à envoyer leurs filles à l’université. D’autant plus que les universités sont mixtes. Or, la plupart des  familles afghanes ne sont pas prêtes à laisser leurs filles étudier en classe avec des garçons.

Ceci est particulièrement vrai dans les zones rurales où la société est plus patriarcale qu’ailleurs et de ce fait les parents sont moins enclins à laisser leurs filles étudier dans des endroits mixtes. Nous travaillons à sensibiliser la population à la mixité et à apporter les moyens pour rendre possible l’éducation dans ces milieux là car nous manquons, par exemple, cruellement de dortoirs pour filles sur les campus des universités.

Les étudiantes diplômées ont-elles accès à tous les domaines professionnels ou bien est-ce que certains métiers sont encore réticents à employer des femmes ?


FM : De façon générale, notamment dans les grandes villes, cette question ne se pose pas. En revanche dans certains domaines très masculins, comme l’ingénierie, certaines filles vont s’autocensurer. Donc elles ne vont pas se diriger vers ces domaines et même si elles en expriment le souhait, les professeurs vont les en dissuader en insistant sur le faible nombre de femmes et en leur disant qu’elles travailleront donc dans un milieu professionnel très masculin.  Cela a un effet dissuasif lors de la prise de décision des étudiantes. Mais sinon il n’y a aucune interdiction.

Pour tenter d’enrayer ce phénomène nous avons, pour le Kankor de cette année [réputé très sélectif, le kankor est le concours donnant droit aux lycéens afghans d’accéder à l’université NDLR], accordé 3000 places supplémentaires pour les filles afin de privilégier leur entrée à l’université dans certaines matières où elles sont peu nombreuses. Par exemple, dans l’ingénierie, les langues et les études religieuses, ce qui est aussi un bon moyen d’impacter la société.

Si une étudiante est harcelée par un de ses professeurs ou un élève, le doyen de l’université pourra porter plainte

Madame Mostafavi, lors d’un débat organisé le 3 novembre à l’Assemblée nationale par le club France-Afghanistan, vous avez évoqué un plan de dix ans pour l’amélioration de la situation des femmes en Afghanistan. Que comporte-t-il ?


Mojgan Mostafavi, vice-ministre de la Culture et de la Communication : Le ministère de la Justice a accepté trois mesures prévoyant l’ouverture de centres de protection pour les femmes maltraitées qui auraient fui leur famille, un programme de lutte contre l’inégalité ainsi que des procédures juridiques pour lutter contre le harcèlement dans les endroits où les femmes travaillent. Par exemple, si une étudiante est harcelée par un de ses professeurs ou un élève, le doyen de l’université pourra porter plainte.

En tout, trente axes de politique stratégique à développer sur six à sept ans ont été définis sur la base d’un plan mis en place il y a six ans par le ministère des femmes. Ses six axes permettaient de couvrir les domaines de la sécurité pour les femmes, les droits des femmes, la contribution des femmes à la vie politique et la gouvernance, la réduction de la pauvreté, l’amélioration des indicateurs de santé et enfin l’éducation des femmes.

Nommer une femme au poste de ministre de l’Enseignement supérieur est vu comme un signal fort donné à la société afghane. En tant que femme, vous sentez vous investi d’une mission particulière au poste que vous occupez ?


Fariba Momand : Dans un pays comme l’Afghanistan, c’est un véritable défi de travailler en tant que femme. Particulièrement dans un poste à responsabilité tel qu’un ministère. Dans le passé, les Afghanes ont déjà eu des rôles de premier rang en tant que députée par exemple. Mais le nouveau gouvernement est désireux de prendre soin que les droits des femmes soient mieux défendus et les femmes mieux représentées, notamment en les faisant accéder à des postes ministériels. Je prends donc très à cœur ma mission de donner aux jeunes femmes toutes les chances d’étudier."

Pendant ce temps en Afghanistan...

Coïncidence des dates, à peine étaient-elles reparties, qu'une nouvelle lapidation provoquait des manifestations de protestations dans la capitale afghane. Rokhsahana, jeune femme de 22 ans, de la province de Ghor, au centre de l'Afghanistan, était lapidée jusqu'à la mort, pour adultère, par des taliban, des dignitaires religieux et des chefs de guerre. Elle avait été mariée à un homme contre son gré, avant de s'enfuir avec un amoureux de son âge. Lors d'une manifestation à Kaboul, des militants des droits humains ont demandé au chef de l'Etat afghan Ashraf Ghani, pour lequel les droits des femmes sont prioritaires,  que la justice soit rendue à l'infortunée victime...
 

manifestation contre la lapidation à Kaboul
Des manifestations dans les rues de Kaboul le 6 novembre 2015 après la lapidation à mort de Rokhsahana, 22 ans.
AP Photo/Rahmat Gul