En octobre 1983, démarre à Marseille
La marche des Beurs, connue aussi comme la marche pour l’égalité et contre le racisme. En 2013, trente ans plus tard, les médias reviennent sur cet événement de l’histoire. Mais où sont les femmes ? C’est la question que se pose
Naima Yahi, historienne spécialisée dans les questions d’immigration et directrice de l'association
Pangée Network. C’est aussi aussi le point de départ de l’exposition
Femmes en lutte.
"Cette exposition est partie de l’évocation de la marche pour l’égalité. Nous avons constaté l’absence de prise en compte des femmes dans la narration des événements, dans leur restitution historique. Cela ne reflète pas la réalité. Les femmes étaient aussi nombreuses que les hommes pour la marche de l’égalité." L’exposition, composée d’une vingtaine de photographies, met donc en avant le rôle de ces femmes d'origine étrangères dans les mouvements sociaux qui ont marqué la France, et rend compte des mobilisations diverses dans lesquelles elles se sont impliquées.
Se battre pour leurs droits et pour « leurs hommes »Les femmes issues de l’immigration qui décident de se regrouper dans les années 80 sont de nationalités différentes. Mais les maghrébines sont très actives, les portugaises aussi. Elles habitent dans les banlieues de Lyon, Paris, Marseille, Roubaix, Strasbourg, là où leurs hommes ont trouvé du travail. Dans les quartiers défavorisés, le quotidien est difficile pour elles et leurs familles. C’est de là que partent leurs combats.
"Les revendications de ces femmes se concrétisaient dans des manifestations contre le mal logement, les violences racistes, les discriminations ou encore l’application de la double peine (loi de 1980 qui prévoit l’expulsion d’un étranger délinquant suite à sa peine de prison)", explique la commissaire de l’exposition.
Bien souvent elles doivent aussi défendre leurs maris, leurs fils.
"Dans les années 80, lorsque les industries automobiles ont licencié en masse, les femmes se sont mobilisées pour défendre les postes de leurs hommes. Les immigrés représentaient en effet environ 80% de la main-d’œuvre non qualifiée et touchée par la crise".
Un combat de la même sorte pour Madame Guemiah, Madame Hachini ou encore Madame Ouanès, plus connue sous le nom des "
Folles de la place Vendôme". Ces mères en deuil à la suite de crimes racistes dont ont été victimes leurs enfants, vont interpeller les pouvoirs publics et réclamer la vérité. Le 21 mars 1984, elles se rendront au ministère de la Justice place Vendôme, dans l’espoir d’y rencontrer Robert Badinter, le Garde des Sceaux de l'époque, celui de l'abolition de la peine de mort.
L’égalité hommes/femmes au cœur des préoccupationsMais les femmes se mobilisent aussi pour faire valoir leurs droits.
"Elles se regroupaient dans des mouvements associatifs pour l’égalité hommes/femmes, se battaient contre les mariages arrangés, les lois patriarcales. A l’époque, elles demandaient l’annulation du droit matrimonial de leur pays d’origine, qui était valable aussi en France", indique Naima Yahi. Plusieurs associations féminines voient alors le jour dans les années 80.
Zaama d’Banlieue (1979-1984, Lyon, collectif féminin avec quatre leaders femmes d’origine algérienne, qui dénonce les contrôles d’identités abusifs, les violences policières, etc), le collectif des femmes portugaises de
Centopeia, ou encore l’ANGI (Association de la Nouvelle Génération immigrée à Aubervilliers) en sont quelques exemples.
"Ces femmes étaient considérées comme les épouses des travailleurs immigrés, elles n’avaient pas d’existence sociale, citoyenne. Comme elles ne travaillaient pas, elles s’investissaient beaucoup dans le champ associatif". Mais dans les années 2000, une fracture divise ces mouvements féminins selon l’historienne, avec comme origine le débat sur la laïcité et la loi de 2004 restreignant les signes religieux à l’école publique.
"Certaines étaient favorables à l’interdiction du voile, estimant qu’il assujettissait la femme. D’autres jugeaient que c’était une discrimination, que les femmes étaient libres de choisir et que la pratique de la religion n’était pas incompatible avec le féminisme
". Une question qui oppose, et qui n'est d’ailleurs toujours pas réglée aujourd’hui. Ces dans ces années là aussi, estime Naima Yahi, qu’a eu lieu un basculement dans la représentation médiatique de la femme maghrébine immigrée.
"Aujourd’hui malheureusement, on la réduit souvent à un bout de tissu, au voile." La marche continue…Mais à l’époque, le débat sur le voile n’a pas encore engendré de divisions profondes. Dans les quartiers, les femmes contribuent au "vivre-ensemble". Elles organisent des cours d’alphabétisation, de soutien scolaire mais aussi des fêtes. En 1989, le festival itinérant
La Caravane des quartiers est lancé. Des spectacles mêlant la musique, le cirque et la fête, sont proposés en plein coeur des cités.
Les femmes aussi créent des événements culturels. La troupe de théâtre
La Kahina met en scène dans ses pièces le quotidien des familles immigrées en France, la condition des femmes arabes et dénonce les discriminations. Le groupe s’est d’ailleurs remobilisé suite aux émeutes des banlieues en 2005. Une nécessité dans ce contexte pour Salika Amara, auteure d’une des pièces de la troupe ayant participé à la marche de 83. Il fallait
"reprendre son bâton de pèlerin", confie-t-elle au
Parisien. Et c’est d’ailleurs ce qu’on fait les mères du
Collectif du 1er juin en 2013 à Marseille, pour dénoncer la violence dans les banlieues, suite à la fusillade mortelle de deux jeunes hommes dans la cité des Bleuets. Banderoles à la main, ce sont elles qui à nouveau, ont ouvert la marche…