Femmes prêtres ?

Femmes interdites de prêtrise : "Ordonner des femmes, c'est vraiment démanteler le sexisme"

Image
Christina Moreira, femme prêtre

Christina Moreira est devenue prêtre en 2015, elle exerce son sacerdoce dans une petite communauté espagnole à La Corogne. 

Capture écran
Partager 5 minutes de lecture

Malgré le veto du Vatican, on compte aujourd’hui quelque trois cents femmes prêtres dans le monde. Le documentaire Femmes prêtres, vocations interdites suit plusieurs d’entre elles au quotidien et dans leur combat pour obtenir la reconnaissance de l’Église. Entretien avec la réalisatrice Marie Mandy.

Comportez-vous en femme respectable”, telle fut la réponse de feu le pape François à Jacqueline Straub quand, parmi les fidèles venus recevoir sa bénédiction, elle l’a exhorté à ordonner des femmes prêtres. Journaliste et théologienne suisse, la jeune femme se sent appelée au sacerdoce ; elle écrit depuis quinze ans aux souverains pontifes successifs pour plaider sa cause et celle des femmes. 

Française installée en Espagne, Christina Moreira, elle, s’est passée de la permission du Vatican. Dans la lignée des “Sept du Danube” – ces femmes ordonnées clandestinement en 2002 par trois évêques hommes sur un bateau voguant sur les eaux internationales du fleuve –, elle est devenue prêtre en 2015. En binôme avec son mari (et confrère), elle exerce son sacerdoce dans une petite communauté espagnole, à La Corogne. 

Aux Etats-Unis, l’Afro-Américaine Myra Brown est convaincue que “Dieu n’a jamais prêté attention au genre”. Engagée contre les discriminations raciales, elle anime une paroisse de 1 500 fidèles, à Rochester.

A quand une Église plus égalitaire ?

On compte aujourd’hui trois cents prêtres et une vingtaine d’évêques de sexe féminin. La réalisatrice belge Marie Mandy a suivi le combat de celles qui, après s’être senties “appelées” par Dieu et avoir parfois cru à une “erreur de casting”, ont courageusement assumé une vocation qui les expose à l’excommunication. Si elles ont transgressé l’interdit posé par le Vatican, c’est autant pour s’accomplir personnellement que pour faire bouger les lignes. 

Opiniâtre, la journaliste Jacqueline Straub met à profit ses entretiens avec des cardinaux, du plus conservateur au plus ouvert, pour les interroger sur les raisons qui poussent l’Église à exclure les femmes de la prêtrise. Sont invoqués notamment la tradition, le fait que Jésus n’aurait admis à ses côtés que des hommes et la ressemblance iconographique : les femmes ne pourraient représenter le Christ, car elles ne lui ressemblent pas physiquement. 

Autant d’arguments battus en brèche par l’aréopage de théologiennes interviewées dans ce documentaire. Des manifestations des Roman Catholic Womenpriests (l’association des femmes prêtres catholiques romaines) aux timides initiatives du pape François pour féminiser la curie, cette enquête montre que, derrière l’ordination des femmes, se profile une révolution plus vaste devant mener vers une Église égalitaire, ouverte au mariage des prêtres et bannissant toute forme de discrimination.

Documentaire de Marie Mandy (Belgique, 2024, 1h18mn)

Entretien avec Marie Mandy

Terriennes : Dans votre documentaire, vous racontez l'histoire de plusieurs femmes ordonnées prêtres et d'une journaliste qui bataille pour essayer d'obtenir ce statut, mais de manière plus officielle de la part du Vatican. Ces femmes, qui sont prêtres aujourd'hui, ce sont des hors-la-loi ?

Marie Mandy : Comme la prêtrise est interdite aux femmes dans l'Eglise catholique, mais que beaucoup de femmes ressentent un appel au sacerdoce, une vocation, elles ont choisi différentes stratégies pour y arriver. Ce qui m'intéressait dans le film, c'était de montrer que les femmes pouvaient s'y accomplir. Alors certaines transgressent. Elles se font ordonner un peu en cachette, en "catacombe", comme elles disent. Et du coup, ce sont de vrais prêtres, de vraies femmes évêques qui, aujourd'hui, ont des communautés, font la messe, etc. Et d'autres espèrent obtenir la permission avec une stratégie plus frontale. Elles confrontent le Vatican à cette interdiction.

Ce qui est contradictoire, c'est que l'Églises catholique est censée lutter contre les discriminations et alors qu'elle en cautionne une au sein même de sa famille...

L'Eglise, le Vatican, en fait, est à la fois une autorité religieuse et un État, ce qui complique les choses parce qu'en tant qu'État, ils sont censés lutter contre la discrimination. Quand ils siègent à l'ONU, par exemple, ils ne défendent pas toujours les femmes. Donc, c'est assez surprenant. Et du côté religieux, ils considèrent, que l'Église est construite de telle manière que les femmes ne doivent pas accéder à la prêtrise. C'est pour eux un sujet qui est fermé. Ils ont commencé bien à en discuter, mais c'est tellement polémique que chaque fois qu'ils ouvrent le débat, ils se sentent obligés de le refermer. 

Ce que j'ai voulu faire dans ce film, c'est proposer des images qu'on ne voit jamais : une femme habillée en habit de prêtre, avec une aube, une étole, qui fait la messe. Marie Mandy, réalisatrice

Ce que je trouve assez intéressant, c'est de se poser du côté des femmes et de cette question de l'identification. Lorsque j'étais petite fille, j'allais à l'église, j'étais encore pratiquante, et j'avais un vrai problème parce que je ne pouvais pas m'identifier au prêtre, ça ne me parlait pas du tout. Et je pense qu'on ne mesure pas assez à quel point toutes les jeunes filles, en Afrique, par exemple, ont besoin de modèles, de pouvoir s'identifier, de se projeter dans des envies, des postes, des vocations importantes et voir des femmes prêtres permet cette projection. Ce que j'ai voulu faire dans ce film, c'est proposer des images qu'on ne voit jamais : une femme habillée en habit de prêtre, avec une aube, une étole, qui fait la messe, Parce que cette image rentre dans l'imaginaire collectif ; elle nous travaille au niveau du cerveau, de notre imaginaire ; elle permet tout à coup de se dire que oui, c'est possible, on pourrait le faire. Et je crois que c'est un peu ça le travail de cinéaste, c'est d'aller chercher des images invisibles et de les proposer pour que les jeunes filles les femmes puissent se projeter, s'identifier dans de nouveaux modèles.

Est-ce une histoire de vocation ou une histoire de pouvoir ?

Ce qui m'a intéressé dans ce film, c'était la question de la vocation. Les vocations sont dans tous les domaines : elles sont médicales, humanitaires et parfois religieuses. Une femme qui a une vocation doit pouvoir se réaliser. Cela fait partie de ce qui donne du sens à nos vies, de nous réaliser dans ce qui nous attire, de remplir nos aspirations. Dire à une femme, "toi tu as une vocation religieuse, mais cette vocation n'est pas valable parce que tu es une femme", je trouve ça d'une violence inouïe et c'est ce qui m'a donné envie de faire ce film. C'était de montrer que c'était inacceptable. Après, j'ai eu beaucoup d'admiration pour ces rebelles qui ont transgressé la loi vaticane et décidé de se faire ordonner. J'ai voulu raconter cette histoire parce que c'était extrêmement romanesque. Elles se sont fait ordonner sur un bateau, sur le Danube, elles ont été d'abord excommuniées par le Vatican, puis progressivement, le pape François a cessé d'envoyer des excommunications aux femmes prêtres. 

On peut imaginer que s'il y avait des femmes prêtres depuis longtemps, toutes les personnes qui ont subi des abus sexuels des prêtres auraient pu se confesser à des femmes prêtres. Marie Mandy

Les choses évoluent par la bande, et de plus en plus de femmes font des messes. Donc de plus de fidèles sont contents, par exemple, d'aller se confesser à des femmes. On peut imaginer que s'il y avait des femmes prêtres depuis longtemps, toutes les personnes qui ont subi des abus sexuels des prêtres auraient pu se confesser à des femmes prêtres. Ordonner des femmes, c'est vraiment démanteler le sexisme dans la société civile. Ce n'est pas qu'un problème religieux. En n'ordonnant pas les femmes, le Vatican cautionne ce sexisme et maintient une sorte de domination patriarcale. En effet, c'est une question de pouvoir. Je crois que les hommes n'ont pas envie de donner du pouvoir aux femmes.

On l'a vu dans les images de recueillement à la mort du pape François. Il y avait autant de femmes que d'hommes parmi les fidèles. En revanche, du côté de l'Eglise – et cette image est vraiment frappante – ce ne sont que des hommes. Comment réagissez-vous à cette image ?

Ce qui est choquant, à mon sens, ce sont tous ces cardinaux, tous ces évêques en procession, avec tous leurs habits rouges, pourpres, violets, qui décident de questions qui touchent profondément les femmes, comme l'avortement, comme la contraception, alors qu'ils n'ont aucune connexion avec des femmes. C'était une sorte d'anachronisme total. Au XXIème siècle, on a, là, un monde d'hommes fermé qui décide pour tout le monde. Pour moi, c'est devenu inacceptable. Beaucoup de personnes ont intégré le fait qu'il était normal que l'Eglise ne soit composée que d'hommes et ne s'en offusquent pas. Tout de même, quand on voit tous ces cardinaux défiler en rang d'oignons, il y a quelque chose de choquant et je pense qu'il faut le dire pour que les choses changent.

Tweet URL

Ces femmes qui veulent être prêtres, pourquoi ne se contentent-elles pas de devenir religieuse ? 

Le prêtre et la sœur n'occupent pas du tout les mêmes fonctions. Une sœur, c'est comme un moine ou comme un frère, les frères qui étaient dans les écoles, etc. Seuls les prêtres font les sacrements. Ce que veulent les femmes qui ont la vocation, c'est faire les sacrements. Ce n'est pas du tout la même chose. Ce qui est intéressant, c'est de constater que, parmi les religieuses, beaucoup ont des vocations de prêtres, mais ne pouvant pas les réaliser, elles ont décidé de devenir religieuses. Et donc c'est un peu par défaut qu'elles sont bonnes sœurs – parfois, pas toujours. 

En n'ordonnant pas des femmes prêtres, l'Église dit que les femmes sont inférieures. Marie Mandy

L'autre chose qui est vraiment intéressante, c'est que l'Église fonctionne grâce au travail bénévole, effectué à près de 80% par les femmes. Elle fonctionne grâce au travail des femmes. En même temps, les femmes n'y ont rien à dire. C'est quelque chose de choquant. Elles assument tous les rôles subalternes : elles nettoient les églises, elles font la poussière, elles font le catéchisme, elles s'occupent des enfants, elles sont auprès des prêtres. Il y a aussi quelque chose à changer de ce côté-là. Parce que ça maintient l'idée que la femme est inférieure. En n'ordonnant pas les femmes prêtres, l'Église dit que les femmes sont inférieures. Après, les hommes peuvent les violenter, puisque l'Église dit qu'elles sont inférieures. Ordonner des femmes changerait fondamentalement les rapports entre les hommes et les femmes dans la société et pourrait aider à démanteler le sexisme auquel on est confronté tous les jours.

La prêtrise des femmes soulève aussi la question du célibat des prêtres.Des prêtres qui n'étaient pas contraints au célibat jusqu'au Xe siècle...  Est-ce la question qui va se poser dans les années qui viennent ? 

Le célibat des prêtres est une opération totalement économique pour empêcher que le patrimoine de l'église soit, disons, dilapidé dans les mariages. Ce qui est intéressant, c'est que parmi les femmes qui sont prêtres aujourd'hui – il y en a environ 300 dans le monde – la plupart sont mères, grand-mères, mariées, parfois même avec des prêtres. Si l'Église voulait les reconnaître – et ce n'est pas impossible qu'ils l'aient envisagé – ils seraient obligés de mettre fin au célibat des prêtres en même temps, pour ne pas créer d'inégalité de statut. Ce sont deux dossiers qui sont côte-à-côte et je pense qu'ordonner les femmes va mettre automatiquement fin au célibat des prêtres.

Une dernière question, peut-être de l'ordre de l'utopie aujourd'hui : à quand une femme pape ?

On peut espérer en tout cas que l'Église évolue tellement qu'après avoir décidé d'ordonner les femmes, d'en faire des évêques, puis des cardinales, un jour oui, une femme devienne pape. Pourquoi pas, enfin ça serait l'égalité suprême et ça serait l' égalité totale et c'est ce qu'on attend en fait d'une institution qui doit être totalement égalitaire. Il n'y a pas de raison que le sacré soit réservé aux hommes.

Lire aussi dans Terriennes :

Jusqu'où le pape François a féminisé le Vatican ?

Une femme à la tête d'un ministère au Vatican : où en est la féminisation de l'Eglise ?

Bénédiction des couples homosexuels : le pape change la pratique de l’Église mais pas sa doctrine

Pour la première fois, des femmes vont voter au Synode des évêques