Femmes journalistes : des peines de prison de plus en plus lourdes

En cette journée de la liberté de la presse, un constat : les femmes journalistes paient le prix fort lorsqu'elles sont poursuivies dans le cadre de leur travail. Selon Reporters Sans Frontières, jamais autant de femmes journalistes n’avaient été aussi durement réprimées ces cinq dernières années. 

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Narges Mohammadi

Narges Mohammadi, Prix Nobel de la Paix, détenue dans la prison d'Evin en Iran, où elle purge une peine de 10 ans et 9 mois de réclusion, assortie de centaines de coups de fouets, depuis le 16 novembre 2021 (Photo 2007). 

©AP photo/Vahid Salemi
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Narges Mohammadi en Iran, Floriane Irangabiye et Sandra Muhoza au Burundi, Alsu Kurmasheva, Maria Ponomarenko, Iryna Danilovytch en Russie, Maryna Zolavata, Lioudmila Tchekina et Valeryia Kastsiouhova au Bélarus, Shin Daewe en Birmanie ...

Bien que minoritaires dans les prisons à travers le monde – 12,7 % des journalistes détenus (69 femmes,  474 hommes) –, elles représentent 55 % des journalistes les plus durement condamnés depuis le 1er janvier 2023.  

Notre dossier Femme et journaliste : le prix à payer

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Belarus et crise post-électorale 

Le Bélarus a condamné à lui seul trois femmes journalistes à des peines allant de dix à 12 ans de prison en 2023 : Maryna Zolatava (Tut.by), Lioudmila Tchekina (Tut.by) et Valeryia Kastsiouhova (Belarussian yearbook). 

Les femmes journalistes des médias indépendants et critiques du pouvoir en place ont été soumises à des traitements particulièrement durs après les mouvements de manifestation post-électoraux d’août 2020. Jeanne Cavelier, RSF Europe de l'Est et Asie centrale

“De plus en plus actives et visibles dans la sphère publique, les femmes journalistes des médias indépendants et critiques du pouvoir en place ont été soumises à des traitements particulièrement durs après les mouvements de manifestation post-électoraux d’août 2020”, précise Jeanne Cavelier, responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale de RSF

Russie : guerre en Ukraine, guerre contre les journalistes

Depuis le début du conflit il y a deux ans en Ukraine, les autorités russes mènent une campagne de répression vis à vis des journalistes d'opposition. Maria Ponomarenko, injustement détenue depuis plus d'un an, a entamé une grève de la faim en février dernier.

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Sans oublier les cas d'Iryna Danilovytch, emprisonnée en Russie depuis deux ans, dont RSF réclame la libération immédiate, tout comme celle d'Alsu Kurmasheva, également emprisonnée en Russie, et dont l'état de santé s'est considérablement dégradé au cours des derniers mois. 

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Et encore cette autre journaliste : Anastasia Hloukhovska, maintenue en détention secrète depuis près de 8 mois par la Russie, comme le dénonce RSF. Antonina Favorskaïa, journaliste de SotaVision a, quant à elle, été placée en détention provisoire jusqu’au 28 mai 2024.

Début avril, Amnesty International se joignait à RSf et lançait un appel à la libération immédiate de la journaliste Maria Ponomarenko, condamnée à six ans d’emprisonnement en février 2023. Selon Amnesty, "les autorités russes mettent en danger la santé et la vie de la journaliste, du fait des traitements qui lui sont infligés et de ses conditions de détention. Elle est notamment placée à l’isolement et ne reçoit pas les soins médicaux adaptés".

Relire La journaliste russe Maria Ponomarenko condamnée à six ans de prison pour un message sur l'Ukraine

La journaliste russo-américaine Alsu Kurmasheva toujours en détention

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Birmanie, junte et répression

Ces pays punissent sévèrement les femmes qui osent défendre la liberté d’informer, explique RSF sur son site. Sur cette liste figure aussi en tête de classement la Birmanie, qui, comme la Chine, fait partie des plus grandes prisons du monde pour les journalistes. 

En janvier 2024, la junte birmane est allée encore un cran plus loin dans sa répression envers les journalistes en condamnant à la perpétuité la journaliste documentariste birmane Shin Daewe. Depuis le coup d'État de février 2021, jamais une peine aussi sévère n’avait été prononcée contre un journaliste. 

Shin Daewe, 50 ans, aurait été victime d’actes de torture selon son mari, qui a observé des traces de coups telles que "des points de suture sur sa tête et des plaies sur ses bras" lors de ses deux visites en prison.

"En condamnant une réalisatrice de documentaires à la prison à vie sous prétexte de terrorisme, la junte militaire illustre l'étendue de son arbitraire et de son acharnement", estime Cédric Alviani Directeur du bureau Asie-Pacifique de RSF.

Actuellement, 62 autres professionnels des médias, dont sept femmes, sont toujours détenus dans les prisons birmanes.

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Deux femmes journalistes détenues au Burundi

L'ONG de défense de la presse rappelle aussi le cas de l’animatrice radio burundaise Floriane Irangabiye, première femme journaliste condamnée dans le pays depuis au moins cinq ans, elle a écopé d’une peine de dix ans de prison en janvier 2023. 

Reconnue coupable “d’atteinte à la sûreté intérieure du territoire national”, elle travaillait pour Radio Igicaniro, un média critique du pouvoir basé au Rwanda, dans un contexte de tensions entre ce pays et le Burundi. En février dernier, sa peine a été confirmée en appel par la Cour suprême.

Plus récemment, une autre journaliste, Sandra Muhoza, est dans le viseur des autorités burundaises. Elle est placée sous mandat de dépôt depuis le 18 avril. Accusée d'"atteinte à la sécurité de l’État et d’aversion ethnique", elle risque la prison à vie. Elle est enfermée à la prison centrale de Mpimba. Aucune date de jugement n’est prévue à ce jour.

A l'instar de Floriane Irangabiye, le motif d’atteinte à la sécurité intérieure est utilisé pour faire taire un journaliste qui pourrait mettre à mal l’image du gouvernement. Sadibou Marong, RSF Afrique

Sadibou Marong, directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF parle de "situation alarmante et incompréhensible". "Pendant plusieurs jours, les motifs de l’arrestation de Sandra Muhoza sont restés inconnus. On apprend désormais que la journaliste risque l’emprisonnement à perpétuité. A l'instar de Floriane Irangabiye, le motif d’atteinte à la sécurité intérieure est utilisé pour faire taire un journaliste qui pourrait mettre à mal l’image du gouvernement. Elle n’enquêtait même pas sur une affaire dont elle s’est fait l’écho dans un groupe privé de professionnels et qui lui vaut aujourd’hui son enfermement". 
 
Le journaliste dénonce une arrestation "totalement arbitraire" et demande aux autorités d'abandonner les charges qui pèsent contre elle ainsi que sa libération immédiate.
Sandra Muhoza pourrait être la deuxième femme journaliste emprisonnée au Burundi - et en Afrique.
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Narges Mohammadi, Prix Nobel de la Paix, toujours en prison

En Iran, la vague de répression menée contre les journalistes depuis la création du mouvement “Femme, vie, liberté” s'est intensifiée au cours de ces derniers mois. Quatre femmes journalistes sont toujours emprisonnées en Iran, dont Narges Mohammadi, prix Nobel de la paix 2023, détenue depuis novembre 2021.

La militante iranienne Narges Mohammadi prix Nobel de la paix 2023

La répression historique de femmes journalistes est la conséquence du fait que de grandes figures d’incarnation du journalisme sont de plus en plus féminines. Christophe Deloire, Pdt RSF

Après avoir couvert la mort de Mahsa Amini, les journalistes Elahe Mohammadi et Niloofar Hamedi ont été condamnées, en octobre 2023, au total à 12 et 13 ans de prison – en cumulant les peines des trois infractions qui leur étaient reprochées –, mais en vertu du principe de non cumul des peines, leurs peines à purger ont été ramenées à six et sept ans de prison – soit la peine la plus lourde des trois pour chacune. Elles ont finalement été libérées provisoirement en janvier dernier, après 15 mois de détention, mais risquent fortement d’être à nouveau emprisonnées après leur procès en appel. 

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“La répression historique de femmes journalistes est la conséquence du fait que de grandes figures d’incarnation du journalisme sont de plus en plus féminines", explique Christophe Deloire, président de RSF. 

"En 2023, nous avons notamment soutenu 140 femmes journalistes via des bourses d’assistance. Nous soutenons également différents projets telle que la construction d’un espace spécifique à Gaza pour que les femmes journalistes aient les moyens de poursuivre leur travail, des formations dans le cadre de la couverture électorale au Sénégal, ou encore un programme d’ateliers pour plus d’une centaine de femmes journalistes avec notre partenaire local en Inde, le Network of Women in Media", ajoute le président de RSF. 

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