Femmes journalistes en première ligne face à la répression

Les femmes sont toujours plus nombreuses à exercer ce métier.
Emprisonnées, "disparues" ou assassinées, elles sont aussi de plus en plus en nombreuses à subir la répression exercées dans certains pays contre les journalistes. C'est ce que confirme le bilan annuel de Reporters sans frontières. Tour d'horizon.
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Alina Waqar

11 septembre 2020 : Alena Waqar rend compte d'une manifestation pour Geo News, en direct d'Islamabad, au Pakistan. Les journalistes pakistanaises sont régulièrement en butte à des menaces de viol et de mort sur les réseaux sociaux.

©AP Photo/Anjum Naveed
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Comme chaque année, l'organisation Reporters sans frontières (RSF) publie son bilan annuel des exactions commises contre les journalistes dans le monde. En 2020, elle recense 387 journalistes emprisonnés pour avoir exercé leur métier d’information (pour 389 en 2019). "Ces chiffres confirment l’impact de la crise sanitaire sur la profession et le fait inacceptable que certains de nos collègues payent de leur liberté, la quête de la vérité," dénonce le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. De fait, le nombre d’arrestations et d’interpellations arbitraires a été multiplié par quatre entre les mois de mars et mai 2020, au début de la propagation du coronavirus dans le monde. "Mais ils confirment aussi que les femmes journalistes, de plus en plus nombreuses dans la profession, ne sont pas épargnées par la répression," insiste Christophe Deloire.

Le nombre de femmes journalistes en détention est en augmentation de 35 % : fin 2020, 42 d’entre elles sont privées de liberté, contre 31 il y a un an. En proportion, les femmes représentent 9 % des journalistes détenus, contre 8 % l’an dernier. Si l’année 2020 a permis la libération de détenues emblématiques, comme la célèbre journaliste et militante des droits humains iranienne Narges Mohammadi, elle a aussi vu 17 autres femmes journalistes jetées derrière les barreaux en 2020, dont deux en Chine, trois en Egypte, deux au Cambodge, une au Vietnam et une au Guatemala. Au Bélarus, en proie à une répression sans précédent depuis l’élection présidentielle controversée du 9 août 2020 qui s'est soldée par l'exil de la principale figure d'opposition, Svetlana Tikhanovskaïa, quatre femmes journalistes ont été incarcérées en 2020.

En Pologne aussi, où les femmes sont en première ligne de manifestations contre le durcissement de la loi sur l'avortement qui embrasent toute la société depuis près de deux mois, les arrestations se multiplient : 

C'est en Asie et au Moyen-Orient, où plusieurs pays ont profité de l’épidémie de Covid-19 pour renforcer leur contrôle sur les médias et l’information, que se trouve le plus grand nombre de journalistes détenus ; 61 % des journalistes détenus à travers le monde le sont dans seulement cinq pays : la Chine, l’Egypte, l’Arabie saoudite, le Vietnam et la Syrie.

prisons du monde
Plus de la moitié des journalistes détenus à travers le monde (61 %) le sont dans seulement cinq pays : la Chine, l’Egypte, l’Arabie saoudite, le Vietnam et la Syrie selon le bilan 2020 de Reporters dans frontières.

Au Vietnam, l'année 2020 marque une incarcération notoire, celle de la lauréate du Prix RSF pour la liberté de la presse 2019, la journaliste Pham Doan Trang, interpellée début octobre à son domicile d’Hô-Chi-Minh-Ville. Placée en détention pour "propagande contre l’Etat", elle risque 20 ans de prison.

Pour toute propagande, Pham Doan Trang a fondé le magazine juridique en ligne Luât Khoa et anime la rédaction de thevietnamese – deux publications qui permettent à leurs lecteurs de s’emparer des lois du pays pour défendre leurs droits et combattre l’arbitraire du Parti. Son travail le plus récent, publié un mois avant son arrestation, est une enquête qu’elle a menée sur le massacre de Dong Tam, du nom d’un village en banlieue de Hanoi, que la police a violemment envahi en janvier dernier pour mater la résistance de villageois qui contestaient l’accaparement de leurs terres par les autorités. Pham Doan Trang avait laissé une lettre en cas d’arrestation dans laquelle elle écrivait vouloir la liberté non pour elle-même mais "quelque chose de plus grand : la liberté pour le Vietnam".

Arrêtées pour avoir critiqué la gestion de la pandémie

C'est aussi en Asie, où est apparue la Covid-19, que se concentrent le plus de violations de la liberté de la presse enregistrées en lien avec la pandémie. La Chine compte parmi ces pays qui ont largement censuré les critiques de sa gestion de la crise sanitaire. Au moins 7 journalistes, lanceurs d’alerte ou commentateurs politiques influents sont toujours détenus pour avoir "attisé des querelles et provoqué des troubles" après avoir contribué à la publication d’articles de presse et d’entretiens autour de la gestion de la pandémie.

Une journaliste australienne d’origine chinoise, Cheng Lei, travaillant pour un média chinois, est détenue au secret, sans motif officiel depuis le 14 août 2020. Quelques jours auparavant, elle posait la question sur Twitter : "Jusqu'à quel point #TikTok est-il politisé ?" Cédant à des "pressions (du gouvernement ?)", l'agence de promotion des investissements irlandais @IDAIRELAND venait d'annuler ses entretiens prévus au sujet d'un "centre de données" - dont les coordonnées, depuis, ont été supprimées de Twitter.

Egalement détenue, l’avocate et journaliste non professionnelle Zhang Zhan, arrêtée pour les mêmes motifs à la suite de son intervention sur Twitter et YouTube en direct de Wuhan, début février, donnant des informations sur l’épidémie de Covid-19. Elle avait également écrit un article critiquant la réponse des autorités à l’épidémie, mais aussi la censure. Ci-dessous, une vidéo tournée par Zhang Zhan dans les rues de Wuhan en avril 2020.

Actuellement emprisonnée à Changhai, Zhang Zhan a entamé une grève de la faim en attendant son procès, après avoir été forcée d’admettre sa culpabilité. Elle est alimentée par une perfusion posée de force, qu'elle est "empêchée" de retirer selon son avocat.

Le 28 décembre, toute frêle dans sa chaise roulante, elle a opposé le silence à ses accusateurs, seule ou presque face à la justice chinoise. Sa façon à elle de défendre sa couverture de la mise en quarantaine de Wuhan face au régime qui impose sa lecture de l'épidémie. Zhang Zhan est la première personne condamnée par Pékin pour avoir diffusé une information indépendante sur la ville qui a été à l'épicentre du nouveau coronavirus. Elle écope de quatre ans de prison.

En Iran, où, depuis le début de la pandémie de Covid-19, les autorités surveillent de près les journalistes qui tentent d’informer sur l’ampleur de la crise et la situation réelle du pays, la journaliste non professionnelle Roghieh Nafari a été arrêtée en même temps que la photojournaliste et défenseuse des droits des femmes Alieh Motalebzadeh. Accusée d'avoir publié des tweets critiques de la gestion de la crise sanitaire du gouvernement, Roghieh Nafari purge une peine de trois mois de prison ; elle restera incarcérée jusqu’à la fin de l’année.

En Russie, la journaliste Tatiana Voltskaïa a été interrogée par les forces de l’ordre et poursuivie pour diffusion de "fausses informations" après la publication d’une interview avec un médecin anonyme sur le manque de respirateurs artificiels dans les hôpitaux. Tatiana Voltskaïa travaille pour le média en ligne Sever.Realii, affilié à la radio américaine Radio Free Europe/Radio Liberty.

Disparues ?

Reporter sans Frontières considère qu’un journaliste est porté disparu lorsqu’il n’y a pas suffisamment d’éléments pour déterminer s’il a été victime d’un homicide ou d’un enlèvement, et qu’aucune revendication crédible n’a été diffusée. Ainsi Daysi Lizeth Mina Huamán, journaliste de la chaîne de télévision régionale câblée VRAEM TV d’Ayacucho, au Pérou, est considérée comme disparue depuis le 26 janvier 2020, après avoir couvert le scrutin municipal qui se déroulait ce jour-là.

La jeune reporter de 21 ans, qui couvrait les informations générales locales, n’avait jamais reçu de menaces liées à son travail journalistique. C’est sur la route entre le centre d’Ayacucho et San Francisco, aux Etats-Unis, que sa trace a été perdue. Plus de neuf mois plus tard, et même si de nombreux soupçons pèsent sur le compagnon de Daysi, l’enquête est au point mort. Les initiales VRAEM désignent la région Valle de los ríos Apurímac, Ene y Mantaro, la principale zone de production et de trafic de cocaïne du pays.

Après ce premier bilan annuel des journalistes détenus, otages et disparus dans le monde, Reporter sans frontières publiera fin décembre son bilan annuel des journalistes tué.es en 2020. Les femmes ne sont pas épargnées par les crimes de haine envers les représentants de la presse, comme le montrait, voici encore quelques jours, le meurtre de l'Afghane Malalai Maiwand.