Fil d'Ariane
« Je suis présentement dans l'âge idéal, dans le moment idéal de ma vie » s'exclame la soprano avec un large sourire. Le fait d'avoir franchi la quarantaine lui fait se poser de nombreuses questions en tant que femme, nous confie-t-elle, sur la vie, la mort, et surtout, le vieillissement, avec le temps qui passe inéluctablement dans une société qui vénère la jeunesse éternelle : « Je me suis dit : où je me situe là-dedans ? Comment je veux vieillir ? Comment je me vois vieillir, comment j'ai réagi quand j'ai vu mon premier cheveu blanc, quand j'ai vu que j'avais plus de cheveux blancs qu'avant ? ».
Toutes ces questions ont trouvé un écho dans l’album Femmes : « Les airs que j'ai choisis abordent des thèmes qui font partie de la réalité d'une femme : porter un enfant peut faire partie de la réalité d'une femme, se poser des questions sur le vieillissement fait partie de la réalité d'une femme, l'amour, c'est le centre même de la vie d'une femme, la vie, la mort c'est une réalité que tout le monde vit » explique la cantatrice.
Pour elle, ce nouveau disque est celui de la maturité : « Entre mon premier album de 2010 et l'album de cette année, je suis passée de célibataire endurcie à femme mariée avec deux enfants, donc il y a tous ces changements-là qui se sont opérés et que je voulais exprimer mais à travers la voix de mes héroïnes. Au moment où je fais cet album, j'ai tout réglé avec mon passé, je vis dans mon présent et je planifie mon futur, donc c'est là où je suis et c'est la meilleure place à être ».
La meilleure place, soit, mais Marie-Josée Lord reconnait que le métier de cantatrice n’est pas facile. Il y a tout d’abord beaucoup de compétitions pour décrocher un rôle, surtout quand on est soprano. Et puis c’est un domaine où les artistes peuvent aussi subir des situations de harcèlement. Il y a d’ailleurs eu des dénonciations en série dans la foulée du mouvement #MoiAussi en ce qui concerne un chef d’orchestre, Charles Dutoit, qui a travaillé pendant des décennies avec l’Orchestre symphonique de Montréal, l’OSM. Des musiciens ont rapporté avoir été harcelés par le chef d’orchestre qui avait d’ailleurs quitté l’OSM dans des conditions obscures en 2002. Depuis, huit orchestres dans le monde ont cessé toute collaboration avec Charles Dutoit qui est aussi accusé d’inconduites sexuelles.
Marie-Josée Lord croit que le mouvement #MoiAussi va donner aux artistes le droit de dénoncer plus vite et plus tôt des situations inacceptables : « C'est à ce niveau-là qu'il va y avoir un plus gros changement, je crois, c’est-à-dire de savoir que tu as le droit de parler, de décrier quand c'est pas conforme à tes valeurs, quand t'es plus en sécurité, quand t'es plus bien dans une situation, c'est un droit qui doit être établi, ce n'est pas une option, c'est un droit. Maintenant, est-ce que ça va changer le comportement de ces personnes qui font subir du harcèlement ? Je ne sais pas ».
Marie-Josée Lord est pianiste et violoncelliste de formation. Elle a découvert qu’elle avait UNE voix quand elle avait 20 ans, après avoir entendu une femme répéter un air des noces de Figaro dans une salle du Conservatoire de musique de Québec où elle étudiait. Ce fut un coup de foudre, une révélation et tout naturellement, la jeune femme a suivi des cours de chant, découvrant ainsi ce don qu’elle ignorait.
« Après, ça a été un cheminement que j'ai dû faire pour apprendre à connaître cette voix-là qui était en moi mais que je ne connaissais pas, apprendre à connaître cette voix-là qui révélait des choses de moi qui me faisait peur. On n'a pas tout le temps été amis mais maintenant c'est bon, on a fait la paix ma voix et moi ! » s’exclame la soprano qui a notamment incarné la serveuse automate dans la version classique de Starmania dans les années 2000 – son interprétation de la légendaire chanson « Stone » est magistrale d’ailleurs.
Et maintenant qu’elle se dit en totale harmonie avec cette voix et que son étoile brille sur les plus grandes scènes canadiennes, Marie-Josée Lord s’est fixée l’objectif d’aller chanter ailleurs dans le monde : « J’aimerais ça que ça se fasse dans les 10 prochaines années, parce que je suis vraiment là où ma voix est prête à cueillir, c'est-à-dire qu'elle est mûre, elle est mature, elle est solide, le corps est encore solide, tout est plus affirmé et plus ressenti, donc c'est le moment idéal ».
@MarieJoseeLord chante « Quando m'en vo » (Musetta) de #Puccini. Vidéo enregistrée lors de son concert le 25 octobre 2017 avec l'@OSLaval sous la direction d'Alain Trudel. Un extrait de son album « Femmes », Concert-lancement à @MTLenLumiere le 27 février pic.twitter.com/Izu68JZxJt
— ATMA Classique (@ATMAClassique) February 14, 2018
La soprano dit que le sommet de sa carrière sera atteint lorsqu'elle aura chanté sur les plus grandes scènes du monde et travaillé avec les plus grands chefs d’orchestre. Et jusqu’à maintenant, cette Québécoise d’origine haïtienne – elle a été adoptée par un couple de Québécois alors qu’elle avait 5 ans – a toujours atteint les objectifs qu’elle s’était fixés…