Femmes photographes dans un Moyen-Orient en guerre : leur hymne à la vie
L’institut des Cultures d’Islam met en avant pendant deux mois, le travail de six artistes du monde arabe et d’Iran sur la guerre. Egyptienne, Marocaine, Iraniennes, Jordanienne… dans « Cherchez l’erreur », ces jeunes femmes montrent à travers leurs œuvres, l’irruption de la violence dans la vie quotidienne, mais aussi la capacité des citoyens à vivre malgré tout.
Elles sont femmes, artistes, et souvent citoyennes de pays en conflit. Dans l’exposition « Cherchez l’erreur » ce sont les femmes qui portent leur regard sur la guerre. Elles ont choisi de ne pas montrer le sang, la misère et la violence des conflits mais plutôt comment malgré la guerre, les habitants tentent de continuer à vivre une vie ordinaire. Les bombes, les armes ont fait irruption dans leur quotidien, et pourtant les citoyens s’inventent toujours quelques plaisirs, loisirs. Pas de violence apparente donc, mais une dénonciation de celle-ci par des photos poétiques ou décalées.
Gohar Dashti • Today’s life and war
Gohar Dashti, iranienne, a réalisé une série de photographies en 2008, intitulée Today’s Life and War (Vie quotidienne et guerre). Ces photos racontent la vie d’un couple au quotidien, malgré la guerre en toile de fond. On y voit le couple étendre son linge sur des fils barbelés, dans une zone où sont parqués des bunkers, utiliser leur ordinateur avec des militaires derrière eux ou encore posant dans leur voiture cassée de jeunes mariés, où les petits nœuds roses de fête détonnent dans un paysage désertique et mortifère. Jamais le couple n’apparaît dans sa maison car tout est détruit, et pourtant la vie continue.
Tanya Habjouqa - TV5MONDE
Loisirs et moments de détente dans les territoires occupés
Une même idée que l’on retrouve chez la photo-journaliste jordanienne Tanya Habjouqa dans sa série « Occupied Pleasures » (plaisirs occupés), réalisée dans les territoires palestiniens occupés en 2013 à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem Est, où les habitants peuvent difficilement se déplacer.
La photographe a décidé de montrer les petits bonheurs ou plaisirs du quotidien, les moments de détente des Palestiniens, avec des photos drôles, inattendues, loin de celles diffusées par les médias, montrant la violence du conflit israélo-palestinien. Parmi elles, la photo d’une famille qui pique-nique en pleine nature à Jéricho en Cisjordanie, après avoir quitté pour quelques heures le camp de réfugiés. Des enfants dans une piscine en plastique sous un olivier. Mais aussi deux fabricants de meubles faisant une pause, assis sur leurs propres fauteuils, le long du mur de séparation érigé par Israël.
Tanya Habjouqa. Occupied Pleasures.
« J’étais fatiguée de ces stéréotypes sur le conflit. J’ai voulu que l’on voit la vie ordinaire de des Palestiniens, qu’on les voit avec des yeux nouveaux. Malgré cette situation frustrante, douloureuse, violente, ils gardent le sens de l’humour, un humour noir », explique la photographe.
Tanya Habjouqa a aussi photographié de nombreuses femmes. Une jeune mère s’amusant sur les montagnes russes d’une fête foraine à Gaza, des étudiantes sur un bateau décompressant après leurs examens, toutefois surveillées par les Israéliens, ou encore deux jeunes femmes dans la banlieue de Bethléem faisant du yoga, comme une forme de résistance interne pour elles.
« Je suis partie dans plusieurs pays en guerre et j'ai observé la situation des femmes. Je suis allée au Liban en 2006, en Irak, je vois aussi ce qui se passe en Syrie actuellement, où le niveau de violence est effrayant. Mais ce qui se passe en Palestine est différent, la violence n’est pas la même. C’est une situation oppressante pour les femmes, avec peu de choix pour elles. Mais les Palestiniennes restent fortes et ont fait de l’éducation leur priorité majeure », analyse Tanya Habjouqa, qui avait déjà réalisé une série de photographies en 2009 sur la vie des palestiniennes intitulée Women of Gaza.
Tanya Habjouqa. Occupied Pleasures
Héroïnes grecques et femmes palestiniennes
Raeda Saadeh, autre photographe habitant à Jérusalem, a décidé aussi de mettre en avant la femme palestinienne dans son travail. Et c’est d’ailleurs elle-même qui apparaît dans ses clichés. On la voit dans Vacuum (le vide) passer l’aspirateur dans une montagne, geste absurde, en référence au héros de la mythologie grecque Sisyphe (celui qui ne cessait de gravir et de redescendre une montagne, roulant une pierre). Autre mythe utilisé faisant un parallèle avec la situation palestinienne, celui de Pénélope tissant encore et encore, défaisant ce qu’elle avait tissé le jour, attendant la fin de la guerre de Troie et le retour de son mari Ulysse.
Penelope Fairy Tales series - Raedah Saadeh
Mais plus frappant encore, la représentation de son propre visage incrusté sur le mur de séparation dans The Wall, comme évocation du corps occupé des Palestiniennes. « Dans mes œuvres d’art, la femme que je représente vit dans un monde qui s’attaque à ses valeurs, à son amour, à son esprit, quotidiennement, et pour cette raison, elle vit dans un état d’occupation. Son monde pourrait être ici, en Palestine, ou ailleurs. Et malgré tout, elle se tourne vers son avenir avec le sourire. Chaque mouvement qu’elle fait, tout acte, est un agissement qui démontre avec lucidité la réalité de son environnement, tout en étant simultanément un acte de révolte contre ses conditions sociales », écrit l’artiste.
D’autres photos de l’exposition interpellent aussi, comme ce foulard coloré accroché près d’un casque de soldat, des talons rouges à côté de bottes tachées de sang… Une multitude d’œuvres qui montrent une résistance au quotidien faces aux ravages de la guerre. L’institut des Cultures d’Islam expose jusqu’au 19 avril 2015 le travail de ces femmes qui « rendent hommage aux petits riens » et « composent un hymne à la vie ». Un choix, pour écouter des voix trop peu entendues, car « les hommes traitent de sujets parfois plus violents ou de façon trop directe » pour la photographe Raeda Saadeh. Mais les photographes du Moyen-Orient, de plus en plus nombreuses donnent aussi à voir « la société sous de nouveaux aspects », affirme encore Tanya Habjouqa.
The Wall - Raedah Saadeh
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