Elle est la première femme occidentale à tenter d'entrer dans la cité sainte de La Mecque, en 1933. La vie rocambolesque et mystérieuse de Marga d'Andunrai est jalonnée d'aventures souvent troubles. Etait-elle une espionne ? On ne le saura jamais. Elle meurt assassinée en 1948 dans la baie de Tanger.
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Pourquoi écrire quand on ne sait pas écrire ? Pourquoi parler de soi pendant trois cents pages alors que le moi est haïssable? Parce que toute la presse française et étrangère, après avoir annoncé ma mort par pendaison, a raconté sur moi des choses invraisemblables" écrit Marga d'Andurain dans la préface de son unique ouvrage
Le mari passeport.La reine de Palmyre
Pour relater sa vie et en donner un aperçu vraisemblable, il faut s'appuyer sur son récit autobiographique publié une année avant sa mort, en 1947, et y confronter quelques articles de l'époque, ainsi que les mémoires de son fils Jacques.
Les rebondissements s'enchevêtrent à un rythme soutenu et les nons-dits sont aussi nombreux que de très probables affabulations.
Marga d'Andurain est l'architecte de sa propre légende.
Au soir de sa vie, elle aura hérité de plusieurs surnoms donnés par des journalistes plus ou moins inspirés. En vrac : "la reine de Palmyre", "la Mata Hari du désert", "la comtesse aux vingt crimes", "la maîtresse de Lawrence d'Arabie".
On ne prête qu'aux riches.
Marga d'Andurain, adolescente exorcisée
Marga d'Andurain, de son vrai nom Jeanne Amélie Marguerite Clérisse, est née le 29 mai 1893 à Bayonne dans une famille de "dignes bourgeois". Son père, Ernest Clérisse, est magistrat au tribunal de Bayonne. Sa mère, Marie Jeanne Diriart, est sans profession.
Tous deux sont monarchistes et anti-dreyfusards.
Elle n'est qu'une enfant mais elle voue une solide aversion à cette existence bourgeoise. Elle se fixe comme premier but de fuir cette famille engluée dans les convenances qu'elle juge étouffante.
"Tout ce qui fait le fond des existences provinciales me donnaient la nausée," écrit-elle.
Son caractère indocile et ses frasques multiples incitent ses parents à la faire admettre dès l'âge de neuf ans dans un couvent. Mais son humeur rebelle décourage, semble-t-il, tous les enseignants. Sans doute enjolive-telle quand elle écrit :
"Mon éducation fut confiée à tous les ordres religieux possibles, en France et en Espagne. De chaque établissement, la révolte, l'impertinence et ce qu'on appelle la dissipation me firent congédier bientôt".
Marga D'Andurain affirme que ses parents, excédés par son comportement d'adolescente-diablesse, prirent rendez-vous avec l'évêque de Bayonne pour lui faire subir un exorcisme.
Enfant d'une terre étrange
Une fois n'est pas coutume, le salut viendra avec le mariage.
En 1911, elle épouse à 17 ans un cousin, Pierre d'Andurain rencontré sur la plage de Biarritz. C'est l'heure des premiers voyages : Espagne, Portugal, Maroc.
Après avoir monté une affaire de commerce de perles artificielles, le couple choisit de s'installer en Argentine :
"J'ai horreur des pays froids, brumeux, sans lumière. Il me faut le soleil brûlant". Elle va être servie.
Deux garçons naîtront de cette union. Le couple envisage de créer un élevage de chevaux, mais l'affaire périclite.
En 1925, Marga hérite de son père. Les fonds sont importants. Une vie d'errance peut désormais être envisagée.
Le couple ne reviendra jamais en France.
Il se rend d'abord en Algérie, puis en Egypte pour s'installer en Syrie, à Palmyre, où ils achètent l'hôtel Zénobie. Ils y resteront durant neuf années, jusqu'en 1936. "Dès mon arrivée, je me sentis comme l'enfant de cette terre étrange", dit-elle.
Le choix de s'installer dans un tel lieu ne doit sans doute rien au hasard.
Le couple se drogue régulièrement. "La nécessité de se procurer de la drogue pourrait expliquer l'installation à Palmyre, où se croisaient les caravanes venues de Turquie et Perse, régions productrices de drogue" écrit Patrice Sanguy, dans un mémoire passionnant sur cette femme hors norme.
Faut-il s'étonner que je veuille vivre dans le désert ou en mer, loin de la pourriture de l'horrible civilisation ?
Marga d'Andurain
Très vite, elle impose son style. L'établissement est le point de rencontre obligé pour les archéologues et les hôtes de marque de passage dans la région. Elle devient la maîtresse d'un officier britannique. Les premiers soupçons d'espionnage commencent à peser sur elle. Elle s'en défend : "Je ne suis qu'une personne privée, étrangère à l'armée, et je me juge libre de fréquenter qui me plaît".
Objectif Mecque
En 1933, elle divorce de Pierre pour réaliser un projet qui lui tient à coeur : être la première femme à entrer à La Mecque. Pour cela, elle contracte un mariage blanc avec l'un de ses employés, Soleima, sujet saoudien.
Un contrat secret lie les deux personnes avant de partir pour l'aventure. Le nouveau mari perçoit une avance avant le départ et le solde sera versé à leur retour. Marché conclu. La nouvelle convertie, accompagnée de ce "mari-passeport", prend un matin le chemin de la ville sainte.
Mais les choses ne se passent pas du tout comme prévues.
A leur arrivée, le bureau des pélérinages précise au couple que l'autorisation d'entrer à La Mecque n'est possible aux nouveaux convertis qu'après un délai réglementaire de deux ans. En attendant que le roi examine leur cas pour éventuellement autoriser leur entrée, Marga d'Andurain est assignée à résidence dans un harem.
Grâce à l'intervention du consul de France, Roger Maigret, elle le quitte bientôt pour résider dans un hôtel. La voici dans une salle d'attente bien plus confortable. Elle ne dédaigne pas y improviser des fêtes avec des pensionnaires quelque peu désoeuvrés.
Mais Soleiman, le mari saoudien, meurt subitement. Avant de passer à trépas, il accuse publiquement Marga d'Andurain d'être responsable de son empoisonnement. Interrogée, elle reconnaît lui avoir administré "une poudre purgative" une huitaine de jours avant. Comme elle a donné cette même poudre aux femmes du harem où elle se trouvait il y a peu.
Sans résultat dramatique.
Les questions se posent.
Se sont-ils disputés à propos du contrat qui les liait ? Peut-être. L'entrée à La Mecque est désormais incertaine. Le contrat passé serait-il désormais caduc ? L'attente d'une réponse du roi n'est pas un signe favorable.
Quand la police investit la chambre de Marga, les autorités la trouvent au lit avec un autre homme. Elle est aussitôt arrêtée et sa chambre est fouillée.
Cette fois, on ne rigole plus.
Elle risque la lapidation pour adultère et la pendaison pour le meurtre de son mari. Mais, après 60 jours de prison, la justice n'ayant trouvé aucun poison dans sa chambre, elle est acquittée, au grand dam de la famille du défunt. Elle doit quitter le pays toute affaire cessante. Roger Maigret, le consul, a joué de tout son poids pour parvenir à cet heureux épilogue.
Plus tard, l'aventurière confiera à son fils qu'elle avait utilisé du cyanure pour tuer son mari et qu'elle avait pris soin de se débarrasser du poison sitôt le décès survenu.
Une truffe chocolatée empoisonnée
De retour à Palmyre, elle se remarie avec Pierre, mais en décembre 1936, celui-ci est assassiné. Y a-t-il eu un règlement de compte suite à une affaire de drogue ? On ne retrouvera jamais le ou les meurtriers. La voici à nouveau soupçonnée, mais faute d'un mobile crédible, et disposant d'un solide alibi le jour du drame, elle est dégagée de toute charge.
Désormais seule, elle se résigne à regagner Paris. La guerre éclate. Très vite, elle comprend le bénéfice qu'elle peut tirer de cette époque trouble où certaines choses s'achètent à prix d'or. La drogue, par exemple. L'opium. Elle traficote avec les sinistres Bony et Lafond, responsables de la Gestapo française, tout en rendant quelques "services" à des résistants.
Se sentant menacée, elle se réfugie à Alger où elle se lance dans le commerce de poudre d'or. Son fils aîné meurt en 1945 et, peu après, on l'arrête à nouveau. Elle est accusée, cette fois, d'avoir empoisonné son filleul, Raymond Clérisse. Elle s'en tire, faute de preuves. Plus tard, elle avouera à son autre fils qu'elle l'a tué en lui faisant manger une truffe chocolatée empoisonnée .
Devenue propriétaire d’un yacht somptueux, le
Djeïlan, elle disparaît mystérieusement à son bord le 5 novembre 1948 dans la baie de Tanger. Elle avait 55 ans.
Que s'est-il passé ? Une bagarre a-t-elle mal tourné ? Est-ce un accident ?
Le couple qui se trouvait à bord, Hans Abel et Hélène Kuls, deux ex-nazis, sont arrêtés. Ils affirment devant le tribunal que Marga d'Andurain tirait ses revenus en monneyant les services de passeuses. Elle s'occupait, selon eux, du transit d'anciens collaborateurs nazis désireux de fuir la justice de leur pays pour s'établir en Amérique du sud.
Le tribunal condamne Hans Abel à vingt ans de prison. Il sortira après dix ans. Hélène Kuls ne reste qu'une année sous les verroux.
A la fin de son ouvrage, Marga d'Andurain écrit :
" Insouciance, légèreté : parce que ma vie n'a pas un caractère classiquement bourgeois, elle est fatalement mal jugée par ces Français à l'esprit moyen. Après ces constatations, faut-il s'étonner que je veuille vivre dans le désert ou en mer, loin de la pourriture de l'horrible civilisation ?"