Femmes, populistes, élues. Mais défendent-elles les droits des femmes ?

Le Front National arrivé en tête aux élections européennes en France, est le parti qui devait envoyer le plus de femmes au Parlement européen, soit 11 eurodéputées. Mais deux candidates viennent de démissionner pour laisser leur place à des hommes. L’une d’elle accuse le parti de ne pas avoir respecté la parité. Mais qu’en est-il du féminisme et de l’extrême droite ? La plupart des leaders européennes populistes disent défendre les droits des femmes, pourtant, leur discours et celui de leur parti sont souvent contraires à ceux des associations féministes .
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Femmes, populistes, élues. Mais défendent-elles les droits des femmes ?
De gauche à droite et de bas en haut, six cheffes ou ex cheffes européennes de partis ultra nationalistes et populistes : Marine Le Pen, présidente du Front national (France) ; ?Pia Kjærsgaard?, présidente du parti nationaliste Parti populaire danois (Dansk Folkeparti) ; Céline Amaudruz, vice-présidente de l'UDC - Union démocratique du centre (Suisse) ; Siv Jensen, présidente du Parti de progrès norvégien (?Fremskrittspartiet?) ; Anke Van Dermeersch, cheffe du groupe Vlaams Belang (Intérêt flamand) au sénat belge ; Krisztina Morvai, cheffe de file du Jobbik hongrois (?Jobbik Magyarországért Mozgalom?), Mouvement pour une Hongrie meilleure, au Parlement européen
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Les femmes à la tête de partis d’extrême droite en Europe se sont multipliées ces dernières années.  Marine le Pen en France, Siv Jensen en Norvège, ou encore Céline Amaudruz en Suisse, font partie de ces leaders qui ont marqué le paysage politique des années 2000. Ces femmes, souvent considérées dans l’imaginaire collectif comme plus sensibles et plus douces par nature que les hommes, sont vues aussi comme les plus à même de mener une politique sociale. Mais le sont-elles pour défendre les droits des femmes ? Leurs idées concernant la famille, l’avortement ou l’égalité salariale font souvent polémique.  Les enfants avant le féminisme Ces cheffes de files défendent avant tout la famille et les valeurs qui lui sont associées. Barbara Rosenkranz, candidate à la présidentielle de 2010 en Autriche pour le parti nationaliste de la Liberté (FPÖ, extrême droite), s’est faite remarquer par l’importance qu’elle accorde à la notion de famille. Elle a d’ailleurs été surnommée par la presse autrichienne à l’époque, "la mère du Reich". Celle-ci refuse de faire passer les droits des femmes "avant le bien-être des enfants". En témoigne son engagement politique, seulement après quinze ans de congé maternité auprès de ses dix enfants. Elle estime que le féminisme est "une voix erronée". Même discours du parti Vlaams Belang (séparatistes et nationalistes flamands) en Belgique dans son programme, pour qui "le féminisme a sur ce plan mené à une mentalité simpliste (…) dans laquelle il n’y a plus de place pour les enfants". Mais la plupart des candidates populistes, sont un peu plus modérées dans leurs propos. Elles défendent toutefois toutes une politique nataliste, absolument nécessaire dans un contexte de vieillissement de la population, selon leur parti. "Un pays en bonne santé est un pays qui fait des enfants",peut-on lire dans le programme du Front National (France) en 2012. Le FN incite donc les femmes à faire des enfants, mais aussi à prendre des congés parentaux.  Il avait en effet proposé de créer un revenu parental équivalent à 80% du smic (salaire minimum) qui serait versé pendant trois ans à partir du deuxième enfant. Une idée très critiquée à l’époque, vue comme une façon déguisée de renvoyer les femmes au foyer (puisque ce sont en majorité elles, qui prennent des congés parentaux) et de les obliger à choisir entre leur vie professionnelle et familiale. Mais Marine le Pen a balayé les critiques : "J’ai toujours travaillé ! Ce n’est pas moi qui vais renvoyer les femmes à la maison", affirmait elle en pleine campagne présidentielle de 2012. Marie-Christine Arnautu, chargée de la politique familiale au FN expliquait même dans un article du Monde, que cette proposition allait dans l’intérêt des mères:"Nous voulons montrer que la femme qui s'arrête de travailler pour élever ses enfants n'est pas improductive pour la société, en lui garantissant un statut juridique et social". Dérembourser l’avortement Soutenant une politique nataliste, les partis d’extrême droite européens se prononcent donc en général, contre les recours "massifs" à l’avortement et leur remboursement. En 1986, les députés FN avaient fait une proposition de loi sur le déremboursement de l’IVG. Dans les années 2000, le parti parlait encore de revenir sur la loi Veil. Marine le Pen elle, va ensuite créer une polémique en 2012, en évoquant des "IVG de confort" qui seraient pratiquées par 2 femmes sur 10. Elle estime que celles-ci utilisent l’avortement comme un moyen de contraception, et qu’elles ne devraient pas être remboursés sauf en cas de viol.  En Suisse, une proposition de loi a également été émise dans ce sens. L’initiative vient d’un comité populaire, mais elle est aussi soutenue par des conseillers nationaux du parti UDC (Union démocratique du centre, parti qui contrairement à son nom est nationaliste/conservateur). Contre toute attente, Céline Amaudruz, présidente de l’UDC de Genève, s’est prononcée récemment contre l’avis de son parti. "A vous tous, je lance du fond du cœur un appel: Ne restreignons pas! A vous Messieurs plus particulièrement, respectez la condition de la femme!", a plaidé la jeune femme. Elle dénonce une initiative "hypocrite" qui met en cause l’aspect financier de l’IVG alors que "c’est clairement l’IVG qui est visée". Interviewée par le site suisse le Matin, Céline Amaudruz nie pour autant être féministe : "C’est une question de logique et d’aspect financier (…)Mais ce n’est pas du tout un débat féministe." L’islam utilisé comme un combat féministe Pour se montrer "féministes", les égéries populistes sont plutôt parties en croisade contre le voile. En septembre 2013, Anke Van Dermeersch, sénatrice du Vlaams Belang en Belgique et ancienne miss, a crée une organisation internationale appelée: Femmes contre l’islamisation, pour dénoncer la menace que représente l’islam pour les femmes. L’arme de sa campagne ? Une affiche avec ses propres jambes, intitulée liberté ou islam ? et évoquant les réactions et sanctions que risquent les femmes en fonction de la longueur de leur jupe. Plusieurs niveaux sont indiqués par des flèches sur les jambes, comme "conforme à la loi islamique" sur les chaussures, ou "lapidation" au niveau des fesses. Une affiche provocante, mais qu’importe "Nous ne voulons pas la loi islamique à Anvers" a déclaré la sénatrice.  Pour elle, les habits portés par les musulmanes sont un symbole de la domination des hommes sur les femmes et suggèrent que celles-ci sont la propriété de leur mari. Évoquant la montée de l’islam radical en Europe, les populistes mettent donc en avant le danger que cette religion représente pour les occidentales et confondent souvent islam et islamisme. En novembre 2009, alors que l’Italie débat sur l’interdiction des crucifix dans les écoles, Daniela Santanchè, leader de la Destra (parti d’extrême droite rallié à Berlusconi) et femme membre du gouvernement de Berlusconi déclare : "Mahomet est un polygame et un pédophile. Il avait neuf femmes, et sa dernière femme n’avait que 9 ans." L’islam est donc utilisé comme un combat féministe par les populistes européens, afin de masquer avant tout une attaque contre la religion elle-même et ses pratiquants. "Ce féminisme est récent et ne vaut que face à la menace de l’islamisme, mais jamais lorsque les droits des femmes sont menacés par les extrémistes catholiques", analysait Caroline Fourest dans un reportage intitulé le Populisme au Féminin et diffusé en 2012.
Femmes, populistes, élues. Mais défendent-elles les droits des femmes ?
Affiche liberté ou islam, à l'initiative d'Anke Van Dermeersh. AFP
La parité, contraire à la méritocratie pour le FN Comme à chaque élection, les partis ont dû respecter la parité. Le FN n’a pas dérogé à la règle pour les Européennes 2014. Mais curieusement, deux candidates placées en deuxième position sur leur liste, ont démissionné et laissé place à des hommes. Joëlle Bergeron, numéro deux de la liste du FN dans l’Ouest a renoncé à son poste dès le lendemain des élections, ne précisant d’abord pas si elle était à l’origine de cette décision ou si c’était son parti. "Cela avait été décidé avant les élections, mais je ne pensais pas qu’ils le mettraient en pratique", a confié ensuite l'élue au Télégramme. "Je pensais que la parité serait respectée". Mais qu’en est-il de la parité au FN ? Marine le Pen avait déclaré sur France 2 à propos de ce sujet : "La parité est contraire à la méritocratie républicaine". Une phrase qu’elle va expliquer lors d’un forum sur la place de la femme dans la société à Sciences Po le 5 avril 2012, en pleine campagne présidentielle: "On accède à tel ou tel poste en fonction de son mérite, et non en fonction de son sexe, de la couleur de sa peau, de ses origines. Il faut respecter ce principe jusqu’au bout et ne pas faire d’exception." Pour elle, rien de plus méprisant pour une femme élue à un poste, que de faire parti du "quota". En politique, même chose, les lois sur la parité ont des effets pervers, constate la présidente du parti : "Je suis obligée de contraindre des femmes à se présenter afin de respecter la loi sur la parité", déclarait-elle à Sciences Po. Concernant les inégalités salariales entre hommes et femmes, Marine le Pen a fait peu de suggestions, mis à part celle d’abaisser l’âge de la retraite pour les mères ayant élevé au moins trois enfants ou un enfant handicapé.  Mais malgré toutes les propositions controversées de Marine le Pen concernant les femmes, le "féminisme" du FN semble avoir conquis l’électorat français. Pour preuve, les résultats des Européennes, mais aussi une enquête de Médiaprism pour le Laboratoire de l’Egalité en 2012. Alors qu’on demandait aux sondés quel parti leur semblait le plus promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, le Front National arrivait en deuxième position juste derrière le Parti socialiste, avec 15% des voix.

« La valeur numéro une du FN n’est pas la parité »

« La valeur numéro une du FN n’est pas la parité »
Nonna Mayer. ©Sciences Po.
Entretien avec Nonna Mayer, directrice de recherche au Centre d'études européennes de Sciences Po/CNRS. Les leaders populistes défendent-elles vraiment les droits des femmes ? La stratégie des partis de droite extrême est de mettre en avant  des femmes dont l’image serait plus douce, en opposition avec la violence qui leur est associée. Et ce n’est pas parce que ce sont des femmes qu’elles sont obligatoirement "féministes". Elles peuvent défendre leurs droits au sein du parti à égalité avec les militants de sexe masculin, tout en soutenant les valeurs de la famille traditionnelle, la natalité etc. Et leur motivation première est sans doute la "préférence nationale" et le rejet des immigrés au cœur du programme de ces partis, contrairement aux droits des femmes !   Comment manifestent-elles alors leur défense du sexe féminin? Les partis populistes nordiques : danois, norvégien… ont un discours aux accents quasi féministes autour de l’islam présenté comme une religion d’intolérance et une  menace pour les droits des femmes. C’est une manière d’élargir leur audience. Marine le Pen a adopté la même stratégie, disant que "aujourd’hui dans nos banlieues, il ne fait pas bon être juif, homosexuel, ou tout simplement, femme".   Aujourd’hui, qu’elle est la proportion de femmes votant pour le Front National ?   Longtemps le principal facteur explicatif du vote FN, avec le niveau d’études, était le genre. Les femmes votaient moins souvent FN que les hommes, surtout les jeunes femmes instruites, acquises aux valeurs féministes, et les femmes âgées catholiques et pratiquantes, rejetant le discours anti universaliste du FN. Depuis 2012 ce n’est plus vrai, à âge, religion, diplôme égal, il n’y a plus de différence entre le vote des hommes et des femmes, il y a eu l’"effet Marine", notamment dans le milieu très féminisée des employées du commerce et des services, l’effet crise, et la peur de l’Islam. Comment Marine le Pen a-t-elle réussi à mobiliser l’électorat féminin ? Marine le Pen apparaît comme une femme jeune, moderne, dynamique, elle a dépoussiéré l’image du parti. C’est une figure qui fait moins peur que son père Jean-Marie qui avait un effet  "répulsif" sur beaucoup de femmes notamment à cause de ses propos sexistes, parfois salaces. Sa fille est plus modérée dans ses propos, elle dit "comprendre" les femmes qui avortent. Elle n’est pas non plus descendue dans la rue pour protester contre le mariage pour tous. Et elle a un discours plus social que son père susceptible là encore de toucher l’électorat féminin.   Que pensez vous de la démission des deux candidates FN suite aux résultats des élections européennes ? Le FN a des problèmes avec la parité  surtout si comme le dit Joëlle Bergeron c’est Marine Le Pen qui lui aurait demandé de démissionner  pour laisser la place au secrétaire départemental d'Ille-et-Vilaine !

Une évolution des discours…

"Il faut qu'il y ait une autorité, et nous pensons que l'autorité la plus qualifiée dans un ménage est celle de l'homme." Jean-Marie Le Pen, La droite aujourd'hui, 1979. "L'affirmation que leur corps leur appartient [aux femmes] est tout à fait dérisoire, il appartient à la vie et aussi en partie à la nation." Jean-Marie Le Pen, interview au Parisien, 20 mars 1996. "Si c’est du féminisme à l’ancienne non (c’est à dire celui du MLF, ndlr). Si c’est pour rappeler que toutes les grandes avancées qui ont été faites pour les femmes sont en train d’être perdues sans qu’on s’en rende compte, alors oui (je le suis) très certainement." Marine le Pen répondant à la question d’un journaliste lui demandant si elle était féministe, reportage Populisme au féminin, 2012. "La moitié des électeurs sont des femmes. Il est important que nous soyons à leur écoute et que nous tenions compte de leurs droits." Anke Van Deermersh, sénatrice pour le parti Vlaams, dans le reportage Populisme au féminin, 2012.