Fil d'Ariane
Chaque soir, en France, en moyenne, plus de 3 000 femmes et près de 3 000 enfants se retrouvent dans la rue. 40% des personnes sans abri sont des femmes. Au bout d'un an de vie à la rue, elles sont 100% à avoir subi un viol.
Le Sénat publie un rapport sur les femmes sans-abri en France. Leur nombre est évalué à 120 000. Beaucoup sont hébergées dans des structures d’urgence mais 3 000 dorment chaque soir dehors.
La rue abîme, elle blesse et elle tue également et toutes ces femmes ont régulièrement été désignées pendant toutes nos auditions comme invisibles, ou comme la face cachée de la rue. Agnès Evrèn, sénatrice et rapporteure
Une vraie spirale de précarité et de violence. Agnès Evrèn, sénatrice, rapporteure
On retrouve également de nombreuses femmes qui ont fui leur pays. Environ 50% des femmes sans domicile sont d'origine étrangère. Ces dernières sont particulièrement exposées à des risques d'exploitation domestique et sexuelle. On trouve aussi des femmes avec des troubles psychiatriques lourds, souvent non-traités, avec en plus des problématiques d'addiction.
La sénatrice se souvient avec émotition d'une maraude dans les rues de Marseille, "J'y pense encore aujourd'hui au moment où je vous parle". Dans la rue, les femmes sont exposées à de multiples facteurs de risques et de pathologies liées aux difficultés d'accès à l'alimentation et à l'hygiène, "une femme, elle a aussi sa dignité, son intimité".
Aujourd'hui, il y a des femmes enceintes ou accompagnées de bébés qui passent la nuit à la rue. Agnès Evrèn, sénatrice, rapporteure
Ces femmes sont confrontées à des risques d'infection - VIH, hépatites- , aux violences sexuelles mais aussi à des retards de prise en charge et aussi à des grossesses à risque : "aujourd'hui, hélas, ici comme dans d'autres pays, il y a des femmes enceintes ou accompagnées de bébés qui passent la nuit à la rue".
Selon les préfectures, les demandes d'hébergement sont soumises à des critères de vulnérabilité. Exemple en Seine-St Denis, où se sont rendues les sénatrices un soir de mai 2024, "quand on est enceinte de 6 mois, on n'a plus la priorité. Si vous êtes enceinte de 3 mois, vous avez la priorité pour trouver un hébergement d'urgence".
"Le sans-abrisme est souvent une conséquence des violences sexuelles", observe Laurence Rossignol, "que ce soit celles subies dans l'enfance, pendant les parcours migratoires ou des violences intrafamiliales qui ont conduit à la perte du logement".
Ce qu'elles ont fui, elles doivent à nouveau l'affronter une fois à la rue : c'est la double peine. Après un an passé dehors, 100% des femmes ont été victimes de viol. Ces femmes "ne dorment pas, elles se cachent" pour échapper aux violences.
Il y a des femmes qui refusent d'aller dans des lieux d'hébergement mixtes, elles ont trop peur parce que leur histoire leur a appris qu'elles avaient des bonnes raisons d'avoir peur. Laurence Rossignol, sénatrice, rapporteure
"Il y a des femmes qui refusent d'aller dans des lieux d'hébergement mixtes, elles ont trop peur parce que leur histoire leur a appris qu'elles avaient des bonnes raisons d'avoir peur", constate Laurence Rossignol. Selon les témoignages recueillis par les autrices de cette enquête, beaucoup de ces femmes acceptent parfois un toit contre des prestations sexuelles et sont la cible de réseaux de proxénètes.
Au bout d’un an passé à la rue, 100 % des femmes ont subi un viol, quel que soit leur âge, quelle que soit leur apparence. Pour elles, c’est un trauma parmi d’autres. Aurélie Tinland, médecin-psychiatre à l’AP-HM, auditionnée pour ce rapport
C'est pourquoi, il est d'autant plus nécessaire - et cela fait partie de leurs 22 recommandations - d'améliorer la détection, la prise en charge et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles en sensibilisant les travailleurs sociaux et les forces de l'ordre qui recueillent les plaintes, "mais aussi de manière très concrète en permettant aux associations de fournir aux femmes sans-abris des moyens d'autodéfense avec discernement, nous sommes bien évidemment très vigilants".
Autre constat : des femmes d'origine étrangère se retrouvent sans domicile fixe et sans titre de séjour. Elles composeraient 60% des femmes sans abri selon l'OFII, l'office français de l'immigration et de l'intégration.
Elles n'ont pas vocation, pour beaucoup d'entre elles, à repartir dans leur pays, ni à être expulsées, parce qu'elles bénéficient d'une protection en raison des menaces qui pèsent sur elles dans leur pays d'origine. Olivia Richard, sénatrice, rapporteure
"Elles n'ont pas vocation, pour beaucoup d'entre elles, à repartir dans leur pays, ni à être expulsées, parce qu'elles bénéficient d'une protection en raison des menaces qui pèsent sur elles dans leur pays d'origine", remarque la sénatrice des Français de l'étranger, Olivia Richard. Si elles ont eu des enfants en France, ces derniers sont scolarisés, "donc dans le cadre du droit actuel, elles ne sont pas expulsables, mais n'ont pas pour autant un titre qui le permettrait de sortir de l'hébergement d'urgence", et d'obtenir un logement faute de droits.
Et de citer un exemple en Guyane, à Cayenne sur 250 personnes sans abri identifiées par le guichet unique de rue (GUR) de Cayenne, 52 sont des femmes, venant majoritairement du Maroc, de Syrie et d’Afghanistan. Principalement âgées de 26 à 40 ans, elles sont exposées aux violences, aux agressions sexuelles et à la prostitution - l’un des vecteurs importants de propagation du VIH sur le territoire-, selon Isabelle Hidair-Krivsky, anthropologue et directrice régionale aux droits des femmes et à l’égalité, qui a été auditionnée dans le cadre de l'enquête.
A ces femmes s'ajoutent celle qui sont en situation régulière, mais qui se retrouvent sans logement faute de renouvellement de leur titre de séjour, en raison d'une procédure longue et complexe. Ainsi le rapport recommande de créer, au sein des préfectures, un guichet dédié aux demandes de délivrance ou de renouvellement de titres de séjour, déposées par des femmes étrangères isolées et sans domicile.
(Ces travailleurs. euses) traversent des situations précaires en raison de faibles rémunérations, de manque de reconnaissance sociale et d'une perte de sens professionnel, faute de solutions durables à proposer aux publics pris en charge. Marie Laure Phinera-Horth, sénatrice, rapporteure
Au final, les quatre rapporteures ont émis 22 recommandations. Avec en priorité, la création de 10 000 places d’hébergement supplémentaires, la transformation des nuitées hôtelières en places pérennes, avec davantage de places non mixtes pour les femmes isolées et de places adaptées à toutes les familles.
Et il y a urgence, parce que "la rue abîme, blesse et tue" de plus en plus de femmes.