Femmes solidaires : la laïcité plus que jamais revendiquée

Le 7 et 8 novembre se tenait la première conférence du réseau international féministe et laïque (RIFL) à Paris, créée en 2013 par le mouvement Femmes solidaires. Des femmes d’une dizaine de pays sont venues livrer leur analyse sur plusieurs thèmes : le féminicide, la marchandisation des corps, ou encore la laïcité. Une valeur prônée par ce réseau, tant son absence dans certains pays peut être un réel frein aux droits des femmes. Témoignages de militantes.
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Femmes solidaires : la laïcité plus que jamais revendiquée
1ère conférence du réseau international féministe et laïque (7 et 8 novembre 2014 à Paris)
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Le RIFL, créé fin janvier 2013 par le mouvement français Femmes Solidaires, est un réseau d’associations de dix provenances différentes : l’Algérie, le Maroc, la Mauritanie, le Pérou, l’Inde, la Suède, la Somalie, l’Ethiopie, le Kurdistan et la France. Il a fait du principe de laïcité son combat, car sans son respect, les droits des femmes se trouvent souvent amoindris, voire bafoués. Ce sont d’ailleurs dans les Etats non laïcs que les restrictions sont les plus importantes en matière de droits des femmes, rappelle le réseau. "La crise économique que nous traversons engendre une crise sociale et politique. La montée de toutes les formes d’intégrismes religieux et politiques contribuent, de façon subtile ou frontale, à l’émergence d’idéologies qui visent à l’instauration d’un système d’oppression des femmes", écrit il aussi dans sa charte. 

Les exemples les plus récents abondent en ce sens. Jeunes filles du Nigeria enlevées par la secte islamiste Boko Haram ; femmes détenues et réduites en esclavage par l’organisation de l’Etat islamique Daech ; le droit à l’avortement toujours en débat en Argentine, où l’Eglise a une influence considérable sur la société... Même en Europe, la religion et les conservateurs ont regagné du terrain avec, notamment, la proposition faite par le gouvernement espagnol de limiter le droit à l’avortement.

Pour le RIFL, les problèmes issus de la religion dans le domaine des droits des femmes sont principalement les codes de la famille imposés dans les pays musulmans, les restrictions ou interdictions en matière d'avortement, ainsi que les mariages des jeunes filles et l’excision.

Le 7 et 8 novembre, plusieurs femmes étaient là pour témoigner du poids de la religion dans leur pays, dont les conséquences se font sentir au quotidien. Alors qu’elles voient leurs droits menacés, la laïcité est leur combat.
 

Aouicha Bekthi : “La laïcité est un préalable pour avancer dans l’égalité des droits“

Aouicha Bekthi : “La laïcité est un préalable pour avancer dans l’égalité des droits“
Aouicha Bekthi est juriste, militante politique et féministe algérienne. Elle a milité au sein du Parti de l'avant-garde socialiste (PAGS). Elle lutte pour la démocratie et se bat contre l'islamisme.
 
"Je suis dans un collectif féministe laïc en Algérie. Le nom de l’association, AMEL, vient d’une jeune fille qui a été assassinée à 21 ans par les islamistes parce qu’elle ne portait pas le voile. On en a fait un symbole. C’est un hommage à toutes les femmes violées par les islamistes et assassinées. Amel signifie aussi espoir, cet espoir que nous avons d'avancer dans la laïcité."


A propos du Code de la famille algérien (qui spécifie les lois et les relations familiales, et inclut des éléments de la Charia) :

"Le code de la famille, ce sont surtout des lois qui régissent la vie des femmes. Il impose aux femmes qu’elles aient un tuteur pour se marier (père, oncle, cousin) et soient donc ainsi mineures à vie. Il a aussi fait monter le taux de polygamie. A l’indépendance de l’Algérie, en 1962, le taux de polygamie était proche de zéro, et l'on s’attendait à ce que cette pratique disparaisse complètement. Mais avec l’instauration du code de la famille, en 1984, on est passé à 7 %. La polygamie est en train de s’installer dans la société.

On dit que c’est le code de la famille, mais c’est surtout un code contre la femme. 
Il y a tout dans le Coran. Les lois commerciales, pénales. Mais certains ne prennent que ce qui les intéresse, c’est-à-dire les lois concernant les femmes, mais elles ne répondent pas à nos attentes modernes. Nous, les féministes, revendiquons l’abrogation de ce code de la famille, ou "code de l’infamie", comme on l’appelle, ainsi que la suppression de l’article 2 de la Constitution, qui dit que l’islam est religion d’Etat."

"La laïcité n’est peut-être pas le but suprême pour un Etat, mais c’est un préalable pour avancer dans l’égalité des droits et la citoyenneté. Nous sommes des sujets du Coran, actuellement, pas d’une république. La laïcité est une question de survie pour les femmes en Algérie, si elles veulent s’épanouir, et pour les femmes dans tous les pays où la religion est très présente."


A propos de Najat Vallaud Belkacem en France, favorable à ce que les mères voilées soient autorisées à accompagner les enfants lors des sorties scolaires :

"Il faut respecter les règles du pays, et donc de la laïcité. Cette notion est utile pour l’ensemble de la société. Parfois la laïcité recule en France, elle cède aux pressions. Le seul pays au monde où on peut vraiment s’exprimer pour moi, c’est en France, grâce à la laïcité."

Nina Sankari : “La Pologne a été délaïcisée, et les droits des femmes ont été les premiers visés“

Nina Sankari : “La Pologne a été délaïcisée, et les droits des femmes ont été les premiers visés“
Nina Sankari est une femme politique polonaise, féministe, vice-présidente de l'Association polonaise des Athées. Elle lutte contre l'ingérence de l'Eglise catholique dans la vie quotidienne des Polonais. Pour elle, tous les pays européens sont concernés par les atteintes pouvant être portées à la liberté de conscience.
 
1997 : le principe de séparation de l’Eglise et de l’Etat est supprimé de la Constitution polonaise : 

"Ces 25 années ont été marquées par une dé-laïcisation des lois et de la vie en Pologne. Les femmes ont été les premières visées et ont beaucoup perdu. Il y a eu un changement de la loi sur l’avortement en 1993, qui est devenue beaucoup plus restrictive, alors que les femmes avaient recours à l'IVG depuis 1956. Maintenant, c'est aussi l’accès à la contraception qui est limité, ainsi qu’à l’éducation sexuelle. Il faudrait employer un langage scientifique et neutre pour parler de l’avortement, au lieu de mots théologiques."  

L’Eglise, pilier de la démocratie :

"Le mariage du pouvoir politique et de l’Eglise est consommé. C’est extrêmement difficile de revenir en arrière. Maintenant l’Eglise mène une guerre ouverte contre les femmes. Ils disent que la notion de genre tue l’individu, la famille, la nation et que le féminisme est encore pire que le communisme."  


S’organiser au niveau européen :

"Aujourd’hui la situation est de plus en plus grave. Cette idéologie cléricale se répand dans toute l’Europe. Même les catholiques estiment que leurs droits sont concernés. Une femme catholique, si elle est forcée d’avorter, doit le faire illégalement ou bien à l’étranger. Mon association, la coalition athée, travaille avec les organisations qui luttent pour la laïcité et la liberté de conscience, pour ramener la religion dans la sphère privée, pour qu’elle ne puisse pas imposer son diktat dans la vie publique et politique. Il est nécessaire de coordonner nos actions au niveau international, par exemple pour le droit libre à l’avortement en Europe."  
 

Kuljit Kaur : “Notre association doit se placer au-dessus des religions, des communautés et des castes pour aider les femmes. C’est la seule façon pour elles d’acquérir leur libertéR

Kuljit Kaur : “Notre association doit se placer au-dessus des religions, des communautés et des castes pour aider les femmes. C’est la seule façon pour elles d’acquérir leur libertéR
Militante du droit des femmes en Inde, vice-présidente de l'association "All India women's conference". Elle travaille à l'alphabétisation et au droit à l'éducation des filles. Elle organise des campagnes contre le viol afin que le gouvernement légifère en faveur de la protection des femmes. 

 
La religion, une place importante dans toute la société indienne :

"Notre association est laïque. En Inde, il y a plein de religions différentes qui, parfois, imposent une certaine orthodoxie, des valeurs très conservatrices. Si l’on suit ce type de croyances, les droits des femmes ne seront pas égaux à ceux des hommes. Pour travailler à l’émancipation des femmes, nous devons passer au-dessus de toute considération religieuse, communautaire, et au-dessus du principe de caste. C’est la seule façon pour les femmes d’acquérir leur liberté."


Sortir les femmes de leur complexe d’infériorité : 

"Si vous lisez les textes sacrés hindous ou ceux des autres religions, la femme est toujours subordonnée à l’homme. L’homme part à la chasse et la femme s’occupe de la maison, on retrouve ce schéma dans toutes les cultures. Mais maintenant, les temps ont changé. Les femmes en Inde étudient dans le supérieur, elles sont présidentes d’association, médecins, juges, ingénieures. Elles sont conscientes des inégalités et se battent pour leurs droits. Même si certaines religions considèrent encore la femme comme inférieure à l’homme, ce n'est pas la réalité. Doucement, les mentalités des générations issues de milieux ruraux changent."


La religion, compatible avec le féminisme ?

"La religion n’est pas un frein aux droits des femmes et au féminisme. La religion à laquelle j’appartiens (le sikhisme), défend les droits des femmes. Les Sikhs disent qu’elle est celle qui donne naissance à tous les rois, et que l’on a toujours besoin d’une femme. Pour moi, on peut être religieuse et féministe. Mais si l’on adopte des points de vue trop orthodoxes, alors c’est une autre chose."

Interview avec Shoukria Haidar, militante afghane lauréate 2014 du prix de la laïcité

Interview avec Shoukria Haidar, militante afghane lauréate 2014 du prix de la laïcité
Shoukria Haidar est une militante féministe afghane, présidente de l’association NEGAR en soutien aux femmes de Kaboul. Elle lutte pour défendre les droits des femmes dans son pays en guerre, où les talibans empêchent les jeunes filles d'aller à l'école. Elle a créé des écoles clandestines pour leur permettre d'étudier. Défenseuse de la laïcité, de l’égalité entre femmes et hommes, elle est lauréate du Grand prix international de la laïcité 2014, remis fin octobre à Paris.


Vous avez reçu le prix de la laïcité 2014. Quel a été votre combat ? 

Cela fait 35 ans que l’Afghanistan souffre des affrontements religieux. Chaque jour, les talibans font des victimes. Voici 17 ans que je défends la laïcité et les droits des femmes. La laïcité est pour moi la solution aux affrontements religieux. 


Que souhaitez vous pour l’Afghanistan ?

Pour l’instant, il n’y a pas de mot afghan qui définisse ou explique la notion de laïcité. Le terme anglais pour laïcité, "secularism", dans la majorité des cas, est utilisé par les islamistes dans un mauvais sens. Le laïc est quelqu’un contre la religion et surtout contre l’islam, alors que ce n’est pas vrai. Les populations sont attachées à la valeur de laïcité, mais sans vraiment connaître le sens de ce mot. Il faut travailler pour qu’elle se mette en place et que le terme soit employé dans son vrai sens. La laïcité n’est pas 'anti' religion. C’est juste un principe pour vivre en paix et pouvoir exprimer différentes opinions ouvertement. On a du chemin à parcourir. 


Comment travaillez vous avec les femmes afghanes ?

Les talibans ont gravement porté atteinte aux droits des femmes et à leur émancipation. Nous travaillons surtout pour la place des femmes en politique et pour qu’elles puissent accéder à des postes importants. Il faut que les filles fassent des études. C’est aussi à travers l’éducation qu’on peut guider l’ensemble de la société, développer une pensée. 


Vous qui vivez en France, la laïcité française est-elle un modèle pour vous ? 

Heureusement qu’elle existe en France. Le fait que l’Etat soit séparé du religieux, permet d’éviter beaucoup de problèmes. Concernant les femmes voilées, je suis pour l’interdiction du voile intégral. Mais on ne peut pas empêcher les femmes de s’habiller comme elles veulent en dehors des lieux privés.

Lydia Guirous, féministe et engagé pour la laïcité en France, était l'invitée de TV5

Lydia Guirous est l'auteure du livre "Allah est grand, la République aussi" (éditions Lattès) et fondatrice de l'association "Future au féminin". Défenseuse de la laïcité, son livre est un "cri de colère", un témoignage dans lequel elle critique l'islam radical, la montée du communautarisme en France et les atteintes portées aux droits des femmes.