Fil d'Ariane
« En tant qu’artiste, c’est vrai qu’on nous présente souvent comme des artistes qui faisons de la peinture « noire », des artistes noires. » Malgré tout, il y en a de plus en plus, comme Harmonia Rosales, qui reprennent des tableaux classiques en modifiant leur pigmentation, pour faire entrer les Noirs dans l’histoire et dans les musées classiques. « Au niveau des artistes, nous sommes de plus en plus nombreuses mais je ne ressens pas le besoin qu’on me qualifie comme ça en particulier ».
En partant en Afrique, Poema a accédé à ce que tout noir afro-descendant qui a été déporté en raison de l’esclavage, a réussi à faire. Notre rêve serait d'être rapatrié.e en Afrique
Lo Bassie, artiste peintre
Parmi les peintures de femmes suspendues dans la pièce, deux se distinguent des autres, des petites exceptions que s’est autorisée Lo Bassie.
« D’abord il y a Poema Sandra Jones, qui est très importante pour moi. C’est une artiste peintre, designer et entrepreneure qui a vécu toute sa vie à Amsterdam en Hollande. A l’aube de ses 40 ans elle a tout plaqué pour partir s’installer en Gambie, pays pour lequel elle a eu un véritable coup de cœur ».
Pour Lo, cette toile va au-delà de l’esthétique et représente toute une symbolique. « Elle a accédé à ce que tout noir afro-descendant qui a été déporté de par l’histoire de l’esclavage dans d’autres pays a réussi à faire. Notre rêve serait d’être rapatrié.e en Afrique ». (ndlr: dans le mouvement rasta, chaque membre aspire à retourner sur en Afrique, et spécifiquement en Ethiopie, terre-mère des afro-descendants.)
Grâce aux collaborations qu’elle fait avec les artisans locaux, elle tente de mettre en avant l’artisanat local de Banjul la capitale, pour « glorifier l’économie africaine », confie Lo.
En vendant son chapeau sur internet et en collaborant avec ces artisans, Poema met en lumières ces travailleurs invisibles en AfriqueLo Bassie
Les matériaux que l’on retrouve sur sa toile proviennent directement du producteur local : « Le chapeau sur la toile est fait en rafia. C’est un matériel naturel, mais les chapeaux sont faits en réalité en feuille de palmier. En les vendant via Internet et en collaborant avec ces artisans, Poema met en lumières ces travailleurs invisibles en Afrique. »
L’autre exception à l’exposition est la chanteuse américaine Erykah Badu qui représente le tableau Amerykah. Ornée d’une coiffe jaune et d’un haut à franges en paille, le tout en relief, elle tient dans sa main un micro et représente pour Lo Bassie « une des seules chanteuses noires avec Lauryn Hill qui revendique son ascendance africaine et qui prônent le naturel de la femme noire, afro, sans avoir à se travestir ». Pour l’artiste parisienne, c’est la chanteuse Alicia Keys qui a été présentée au grand public comme la précurseure du mouvement naturel. En 2016, l’interprète de « If I Got You » surprenait le monde en posant sur la couverture de son album « Here », démaquillée. Elle avait décidé de renoncer au maquillage comme pour lutter contre cette injonction que la société lui imposait.
A l’inverse, Eryka Badu, artiste connue pour ses prises de position engagée comme sa lutte contre le racisme, et pour la cause noire, est « au-delà du star-systeme, une artiste qui ne rentre pas dans les cases. Une femme sensible à la cause des femmes, noires, mais également de par le monde. Un engagement que l'on retrouve notamment dans son clip "Cleva" lorsqu'elle parle de la beauté naturelle des femmes. »
« Voilà à quoi je ressemble sans maquillage
Et sans soutien-gorge, mon sein tombe
Mes cheveux ne tomberont jamais sur mes épaules
Et ils ne pousseront surement pas
Tu ne sauras jamais »
« Beyonce est aux antipodes. D'autres artistes, comme Lauryn Hill à ses débuts, prônaient une beauté naturelle sans artifice »
Dans son titre « That Thing », l’ex chanteuse Dees Fuggees , moquait celles qui apparaissaient à l'allure trop superficielle :
"C'est idiot quand les femmes vendent leur âme parce que c'est ce que les autres font
Regarde où tu serais, les cheveux vagués comme les Européens
Des faux ongles faits par les Coréens"
Inspirée du mouvement rasta, Lo Bassie considère que des artistes comme Beyoncé incarnent le modèle d’une société de consommation, victimes des diktats de la mode actuelle dont les rastas tentent de se détacher. A l’inverse selon elle, des chanteuses comme Erykah Badu ont beaucoup contribué à à une affirmation des origines africaines. « C’est une personne qui a fait entrer le turban à la télé car c’était rare à l’époque. Les femmes portaient des perruques ou des rajouts ou venaient très rarement avec les cheveux naturels sur les plateaux de télévision. Erykah Badu a toujours prôné "l’attaché foulard", elle n’a jamais eu honte de ses origines et c’est devenu sa marque de fabrique ».
Au-delà de l’aspect esthétique qui ressort des œuvres, le but est bien de conscientiser la beauté : « Je ne dis pas qu’il ne faut pas se maquiller, je pense qu’il faut penser la beauté autrement ».
Forte de son succès, l’exposition est prolongée jusqu’en janvier 2019. Une patte artistique bien trouvée pour l’artiste parisienne qui exposera également à Suresnes, en novembre prochain.
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