« Tueuses » et « femmes » deux mots peu souvent associés. Pourtant, dans les faits, les meurtres ne sont pas l’apanage des seuls hommes. Si proportionnellement, ils demeurent plus nombreux à commettre des crimes violents, depuis une dizaine d’années, la criminalité au féminin croît plus rapidement. Alors que s’achève la manifestation « sur la route du crime », qui s'est déroulée à Paris tout au long du mois d'avril, retour sur le débat organisé autour des femmes « serial killeuses ».
En cette journée printanière, à la terrasse de la buvette, une trentaine de personnes, attablée en ordre dispersé, profite du soleil. Ambiance détendue, prélude chaleureux avant une manifestation à la thématique… glaçante. Criminologie et tueuses en série voilà le titre du débat programmé aux
Voûtes de Paris, situées à proximité d’anciens entrepôts… frigorifiques.
14h, la petite foule se presse dans la salle obscure. L’assemblée, plutôt féminine, est assez éclectique. Les âges varient, les profils aussi. Avocats, proches de victimes, étudiants en psychologie, passionnés d’ouvrages portant sur les serials killers en tout genre. Bref, un mélange un peu détonnant.
Tous sont venus voir et écouter : Anne-Sophie Martin, chroniqueuse judicaire ; Serge Cosseron, co-auteur d’un ouvrage sur les criminelles de France et Michèle Agrapart-Delmas, psycho-criminologue, experte agréée par la Cour de cassation et la cour d'appel de Paris. Sans oublier, le modérateur du jour, spécialiste des tueurs en série, et probablement celui qui a attiré le plus de « fans » : l’écrivain français, auteur de polars, Stéphane Bourgoin.
Femmes criminelles : un pourcentage en augmentationD’après les dernières statistiques officielles : un crime sur dix est commis par une femme. Ce qui est proportionnellement peu. Elles sont aussi moins nombreuses à être incarcérées : 4%. Mais depuis dix ans, le taux de criminalité des femmes augmente plus vite que celui de la gent masculine. S’agissant du cas particulier des tueuses en série, en France, elles seraient, d’après Stéphane Bourgoin, entre 13 et 15%. Voilà pour les chiffres, s’en suit un état des lieux.
Profils et mobiles
Mis à part les femmes qui présentent de véritables troubles psychologiques, les mobiles de ces criminelles, multirécidivistes ou non, s’avèrent, de même que chez les hommes : la vengeance, l’argent, le « plaisir » de tuer ou encore les idéaux politiques. Même si les profils et mobiles sont divers, il est possible, selon les intervenants, de les classifier à grands traits.
Malgré la possibilité d’accoucher sous X, et la loi permettant l’avortement, dispositions françaises initiées durant la deuxième moitié du XXème siècle, l’infanticide perdure et demeure un crime spécifiquement féminin. Les mobiles, explique Michèle Agrapart-Delmas, oscillent entre bonnes mères exemplaires qui craquent (généralement en étouffant ou en empoissonnant leur(s) enfant(s)) et femmes « à la personnalité pauvre et égocentrique » qui « rejettent l’enfant non désiré et devenu encombrant en le jetant dans un vide ordure ou, pire, par… la fenêtre ». Silence dans l’assemblée. D’autres, ajoute-t-elle, donnent la mort à leur progéniture afin de se venger d’un mari infidèle ou les ayant quittées. Nouveau malaise à l’évocation de ces Médée des temps modernes.
Les anges de la mort sont des soignantes (médecins, infirmières etc.) qui tuent les personnes dont elles s'occupent dans un hôpital, une clinique ou une maison de retraite. Ces femmes aiment se sentir toute puissantes, avoir un contrôle sur leurs victimes, un pouvoir de vie ou de mort. C’est notamment le cas d’Irène Becker, une infirmière berlinoise, qu’a rencontrée Stéphane Bourgoin. Tueuse en série, elle est accusée d'avoir donné la mort à cinq patients à l'aide de médicaments.
Dans un autre registre, figurent les veuves noires. Celles-ci tuent, avec préméditation, leurs époux ou leurs amants, les uns après les autres, voire d’autres membres de leur famille (parents etc.). Leurs motivations sont diverses mais elles le font, généralement, pour des raisons financières (héritage, assurance vie etc.).
D’autres assassinent par haine ou par jalousie. Pour se venger d’un mari ou d’un amant infidèle. Michèle Agrapart-Delmas évoque le cas d’une dame qui, après 51ans de mariage, a tué puis soigneusement découpé en petits morceaux son cher et tendre. A la question pourquoi ? La vieille dame lui répondit : « Comme ça au moins je sûre que là haut, il ne pourra plus rien lui faire. » entendez, à sa maîtresse. Des rires discrets résonnent tout bas dans la Voûte. Elle poursuit : « S’il est vrai qu’en France une femme est tuée tous les 4 jours par son conjoint ; n’oublions pas qu’un homme est tué par sa conjointe tous les 14 jours ».
Parmi les tueuses en série beaucoup sont
abandonniques ou psychopathes. Rarement folles, ces femmes sont généralement perverses, manipulatrices et capables de rouler dans la farine n’importe quel expert. Michèle Agrapart-Delmas évoque alors le cas de la seule tueuse en série qu’elle ait expertisée. «
Une dame dont les médias ont fait peu de cas » souligne-t-elle. Pendant longtemps, elle n’a pas été inquiétée, car, en raison des lieux et modes opératoires différents (emploi d’un tueur à gage, incendie, pendaison,...), aucun lien n’a été établi entre les quatre meurtres que cette personne, à l’allure douce et gentille, a entrepris à l’encontre de ses (ex)maris et amants. A la mort du cinquième, elle sera finalement condamnée à vingt ans de prison. Elle sera relâchée au bout de dix, à la suite d’une expertise psychiatrique la décrivant comme «
dépourvue de dangerosité pour la société ». Quelques mois plus tard, elle abattra sont nouvel amant et sera mise en examen pour «
assassinat accompagné… d’actes de torture et de barbarie ». Preuve, selon la criminologue, qu’une confusion réside entre dangerosité psychiatrique et criminologique. Si cette femme n’était effectivement pas dangereuse d’un point de vue psychiatrique (elle était en pleine possession de son discernement) elle l’était, en revanche, d’un point de vue criminel.
Autre catégorie : les
criminelles politiques, telles que les révolutionnaires et les militantes politiques, comme celles appartenant à des mouvements d’extrême gauche (Brigades rouges, Action directe, groupe Baader-Meinhof, etc.) et d’extrême droite, à l’instar de
Beate Zschäpe.
Membre de la cellule néonazie Clandestinité national-socialiste(NSU), cette femme est soupçonnée d'avoir participé, dans les années 2000, aux meurtres de huit Turcs ou Allemands d'origine turque, d'un Grec et d'une policière allemande.
Sans oublier les femmes kamikazes ou les femmes criminelles de guerre qui ont torturé et tué, par exemple, dans les camps nazis, pendant la Seconde guerre mondiale ou au Rwanda durant le génocide.
Pour finir ce tour d’horizon qui donne le frisson, les experts s’arrêtent sur trois éléments de différentiation : premièrement, les femmes sont proches de leurs victimes. Exception faite d’
Aileen Carol Wuornos (qui a inspiré le film
Monster), les victimes sont généralement issues de leur entourage familial ou professionnel. Deuxièmement, ces femmes sont plus rarement motivées par le sexe. Enfin, elles auraient plutôt tendance à recourir à l’asphyxie, la suffocation, l’injection.
«
Le poison a toujours été l’arme de prédilection des femmes, pour pallier leur insuffisance physique face à la force des hommes. » dit Michèle Agrapart-Delmas. Et la journaliste, Anne-Sophie Martin d’ajouter : c’est d’ailleurs en raison de ce « problème » physique, qu’elles ont tendance à débiter leurs victimes, pour se débarrasser des corps. L’auditoire déconcerté oscille entre rire jaune et stupeur.
Des modes opératoires qui évoluent
Mais, avec le temps et l’évolution sociétale, ces différences ont tendance à s’estomper. Exception faite de l’infanticide, les modes opératoires des femmes ressemblent de plus en plus à ceux des hommes : usage d’armes à feu, d’armes blanches et d’outils en tout genre. « Haches, meuleuse, tronçonneuse… », souligne la journaliste avant d’ajouter : « Les femmes commettent davantage de crimes sanglants voire « trash ». Elles osent plus souvent entrer « en contact physique » avec leur victime, ce qui n’était pas le cas avec l’utilisation de poisons ».
Autres phénomène en hausse et peu connu : les comportements de « prédation sexuelle ». Toutefois, nuance Anne-Sophie Martin, "peu de femmes franchissent le pas seules". La plupart agissent en duo. Le cas de Monique Olivier, complice de Michel Fourniret, tueur abuseur de très jeunes filles en France, est cité en exemple. Celle-ci se serait servie de son enfant pour attirer les victimes. Elle serait également l’instigatrice de certains modes opératoires adoptés par Fourniret. Peut-on se réjouir de cette évolution des comportements ?
Egaux pour le meilleur et pour le pire
Dans l’inconscient collectif, les femmes apparaissent toujours comme les victimes mais jamais comme des « êtres foncièrement méchants pervers ou agressifs », affirme Michèle Agrapart-Delmas. Si de tout temps, il y a toujours eu plus de criminels hommes que femmes, « la sociologie du crime nous apprend que le comportement criminel n’est pas spécifique à un sexe. Les rôles sont interchangeables ; les femmes aussi peuvent être infâmes ». Les crimes violents ne sont donc pas le propre des mâles puisque, d’après l’experte, le passage à l’acte criminel emprunte « le même trajet psychologique chez les deux sexes ».
Excuse de féminité
Pendant longtemps, le crime au féminin a été sous-évalué car le sexe faible, par essence inférieur, était perçu comme dépourvu de dangerosité, incapable de tuer et encore moins de réitérer des crimes. C’est pourquoi, pendant longtemps, les femmes ont bénéficié « d’un préjugé positif, une excuse de féminité » qui a souvent joué en leur faveur affirme la criminologue. Hormis les sorcières et les empoisonneuses, hier comme aujourd’hui, en cas d’inculpation, les femmes ont toujours été moins poursuivies que les hommes et donc moins incarcérées. « C’est aussi l’image de la femme en tant que mère bienveillante et aimante qui a faussé le regard social ». Ainsi, au cours des siècles, de nombreuses femmes ont été acquittées pour des infanticides ou des « crimes d’amour ».
L’hystérie aussi a longtemps servi d’explication, de justification, voire d’excuse aux comportements féminins violents. Aujourd’hui, même si les juges se montrent toujours plus cléments vis à vis des femmes criminelles, dans la durée et la sévérité, leurs condamnations tendent à se rapprocher de plus en plus de celles des hommes. Ne peut-on pas y voir un lien avec la féminisation de la profession judiciaire ? Peu de données scientifiques
Peu de données scientifiques
Si les femmes meurtrières, qui sortent « des clichés habituels et de la norme sociale », ont depuis toujours intrigué les peuples, les scientifiques et chercheurs, quant à eux, n’y ont attaché que très peu d’intérêt. D’après Stéphane Bourgoin, jusqu’au début du XXe siècle, aucune étude sur les femmes tueuses n’a été conduite.
Pendant longtemps, la femme ayant eu pour rôle de s’occuper du foyer et d’y demeurer, la plupart des crimes connus étaient des meurtres intra-familiaux, plus particulièrement des infanticides. De nos jours, avec le changement sociétal (femmes moins cantonnées à la vie familiale et mieux en prise avec la « vie publique »), il semblerait qu’une évolution de la criminalité féminine se produise. Les femmes ont tendance à commettre davantage d’actes criminels de tout type, même si, en la matière, la parité est (heureusement…) encore loin.
Une violence criminelle en forte augmentation chez les mineures
En ce début de XXIe siècle, la criminalité féminine augmente plus vite que celle des hommes. Les mineures sont en grande partie responsables de cette progression. Les raisons ? Parents peu présents, absence d’interdits dans l’éducation, banalisation de la violence comme mode d’expression, imitation de la violence véhiculée par la société et les médias (et qui, en l’occurrence, affecte autant les garçons que les filles).
De plus, les conduites addictives qui frappent de plus en plus les adolescentes (alcool, drogues dures etc.) ont tendance à « désinhiber, troubler le discernement et faciliter le passage à l’acte » indique Michèle Agrapart-Delmas. Autre facteur incitateur : l’influence de « la bande », un phénomène en nette augmentation. « Ces bandes de filles ont recours à une ultra violence, y compris sexuelle » déplore la journaliste, Anne-Sophie Martin.
A l’issue du débat, le public visiblement passionné questionne les intervenants qui tâchent de répondre le plus précisément possible. La séance s’achève, le modérateur remercie l’ensemble des participants. La criminologue termine en disant : « j’espère que je ne vous ai pas trop empoisonné avec mes histoires ».
Le cas d'Hélène Jegado, vu par Jean Teulé
Sur les trente cas étudiés par Serge Cosseron et Jean-Marc Loubier dans leur ouvrage, Femmes Criminelles de France de 1840 à 1980, quatre sont des tueuses en série. La plus célèbre est Hélène Jégado, dite l’empoisonneuse bretonne. Reconnue coupable de sept empoisonnements, elle est soupçonnée d'avoir tué au moins 37 personnes de tous âges et des deux sexes.Son arme? Une soupe à l'arsenic. Condamnée à mort, elle sera guillotinée à Rennes en 1852.
L'histoire de cette tueuse à répétition, n'a pas échappé à Jean Teulé. Son dernier roman, Fleur de tonnerre, qui vient de paraître aux Éditions Julliard, raconte le parcours de vie de cette bretonne dans la Bretagne du 19ème siècle.