Fil d'Ariane
Certaines start-ups de "femtech" envisagent de s'allier à la recherche scientifique pour aider les scientifiques à développer les traitements destinés aux femmes, mais les normes imposées par les applications et le profil des utilisatrices posent question.
Le credo des start-ups femtech est d’œuvrer à une meilleure connaissance du corps féminin, en contribuant, pour certaines, à la recherche médicale. L’application de suivi du cycle menstruel Clue, par exemple, collabore avec les Universités Stanford et Columbia. Mais les utilisatrices des femtechs étant majoritairement des femmes blanches, européennes ou nord-américaines, la potentielle standardisation du cycle menstruel et du corps féminin a été mise en avant par certains observateurs. Un argument soulevé notamment par Marion Coville, enseignante et chercheuse à l’Université de Nantes, présidente de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines (OMNSH) dans un article publié sur la plateforme.
Atteinte d’endométriose, je ne peux pas employer ces applications, qui ne me correspondent pas.
Marion Coville, chercheuse
"C’est un sujet qui m’a touchée en tant qu’utilisatrice – je suis atteinte d’endométriose – et je ne peux pas employer ces applications, car elles ne me correspondent pas. L’argument de Clue est de dire qu’avec leur nombre d’utilisatrices, ils ont une quantité de données bien supérieure à tout panel d’enquêtes pour les recherches sur la sexualité ou la gynécologie. Cela pose des questions de biais de sélection quant au revenu, à la classe sociale, à l’âge puisque, pour participer, il faut posséder un smartphone, correspondre à un certain profil, etc." développe-t-elle.
Du côté des chercheurs, le questionnement est présent, mais l’échantillon parfait n’existe pas. "Le cas idéal serait d’avoir une population inclusive, soit un minimum de personnes de chaque ethnie et de chaque groupe social. On peut le faire dans des études sur base de recrutement, mais cela réduit le panel […] Il y a aussi ce mythe du patient sain versus patient malade où le patient sain doit correspondre à une série de critères. On aimerait sortir de ces schémas mais c’est coûteux, et tout ce qui touche à la santé menstruelle est sous-financé", regrette Laura Symul, post-doctorante à l’Université Stanford, qui vient justement de publier une étude conjointe avec l’EPFL sur l’utilité des applications de fertilité.
La jeune femme a sollicité deux applications mobiles de ce type – Kindara et Sympto – pour son étude. Elle assure avoir travaillé en toute indépendance et tient à souligner les bénéfices de cette collaboration. "Je vois ces applications comme des outils de mesure et je suis loin de vouloir encourager tout le monde à suivre son cycle, mais pour la recherche, c’est précieux. Avant ça, rien n’existait pour capturer les données des cycles menstruels."
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