Fil d'Ariane
Prononcée par Laurent Fabius en 2007 à l’annonce de la candidature de Ségolène Royal à la présidentielle, cette petite phrase provocante donne le ton et annonce la thématique du spectacle. Nicolas Bonneau propose à son public un seul en scène où il rapporte les propos issus d’entretiens qu’il a eus avec plusieurs femmes politiques au cours de ces quatre dernières années.
D’Yvette Roudy à Ségolène Royal, en passant par Angela Merkel, Christiane Taubira et Margaret Thatcher, les plus illustres comme les moins médiatisées sont représentées, la palette de portraits est vaste et ambitieuse. C’est l’alternance des styles qui donne à ce spectacle toute son originalité, l’auteur-comédien ne s’est pas contenté de nous rapporter ses interviews, d’en fantasmer certaines, il incarne ces grandes femmes de tête, tantôt sérieux, un brin absurde voire complètement décalé, il nous donne à voir la réalité encore bien trop misogyne de notre classe politique actuelle.
Si Nicolas Bonneau s’intéresse à cette question, ce n’est pas parce qu’il souhaite s’approprier la parole de ces femmes, sénatrices, députées, mairesse… Il ne veut pas la coloniser, au contraire, il souhaite davantage régler des comptes avec lui-même, en racontant une anecdote personnelle datant de ses années lycée. Il était autrefois amoureux d’une certaine Caroline, une graine de militante, une jeune femme forte et obstinée. Et c’est pour ces raisons qu’il a mis fin à leur relation, par peur et par jalousie.
Cette prise de conscience l’a conduit à se lancer dans ce projet, un projet ambitieux qu’il partage avec Fanny Chériaux. Elle possède - au vu du résultat- l’art de la maïeutique, elle qui réussit avec brio à faire accoucher les esprits par le truchement de ce conteur qu’est Nicolas Bonneau. C'est à Gaëlle Héraut que l'on doit la sobriété inspirée du plateau. Une boîte noire avec, pour seul décor, des chaises, tantôt mobiles, tantôt entassées les unes sur les autres - une métaphore pour les places encore trop peu préemptées par les femmes en politique ?
D’Olivier Bonneau et Fanny Cheriaux, interprété par Olivier Bonneau et mise en scène de Gaelle Héraut avec Olivier Bonneau.
Ou comment le patriarcat a t-il réussi à prendre le corps des femmes en otage ?
Le collectif "Les filles de Simone" récidive avec une pièce qui détonne par sa construction foutraque - c’est ce qui fait son charme, sa force et son succès. Le public, sans être pour autant invité à participer, se retrouve intégré au débat, aux idées qui fusent sur scène et en dehors.
Ici, le quatrième mur a été réduit à néant pour donner plus de puissance aux mots, pour capter le spectateur et l’inviter à s’inclure dans les réflexions que posent les comédiennes. Le point de départ est le suivant : 5 jeunes militantes se retrouvent pour l’écriture d’un livre qui a marqué la révolution féministe des années 1970 Notre corps, nous-mêmes. En travaillant sur l'édition actualisée de cet ouvrage culte, elles nous interpellent sur les injonctions qui sont toujours les leurs et les nôtres.
Saviez-vous que la cellulite et le combat autour de "cette anomalie physique" ont été inventés en 1933 ? Il fallait bien donner aux femmes une obsession qui les détournerait de l’espace public et les ramènerait à la maison. Saviez-vous que ce n’est qu’en 1998 que le clitoris a été reconnu comme un organe "bandant" ? On y croise Mona Chollet en pleine interview et des militantes en AG, mais nous sommes aussi confrontées à des témoignages plus lourd, comme le viol et son impact sur le corps d’une femme, ou les rapports mères-filles, souvent conflictuels, et les non-dit, la plupart du temps perturbateurs.
Si vous n’aviez jamais visité une vulve, c’est aussi l’occasion… Car du loufoque, il y en a dans ces 1h15 de spectacle qui file à une telle vitesse que l’on pourrait en oublier cette question plus triviale : une féministe peut-elle choisir d’être épilée ?
Une création collective par Les filles de Simone
Au 11 Gilgamesh-Belleville à 18h45
Alexandra Cismondi est de ces artistes touche-à-tout : comédienne à l’expressivité bluffante, danseuse et auteure. Dans ce seule en scène qui questionne les liens familiaux, la transmission, l’impact générationnel, l’artiste s’est servie de sa propre vie comme d’une matière brute à modeler pour en faire une auto-fiction qui parle au plus grand nombre.
Parfois, les souvenirs refont surface lorsque l’on s’y attend le moins. C’est en pleine représentation qu’Alexandra croit apercevoir sa famille dans la salle et que tout son passé lui revient en pleine face. On se retrouve projeté trente ans en arrière, au mariage de sa mère, puis le temps passe et Alexandra a grandi ; elle est une petite fille tiraillée par une famille déchirée de toute part. Les grands-parents maternels ne peuvent pas s’entendre avec les grands-parents paternels à cause de leurs origines italiennes, la mère ne supporte plus son mari absent et infidèle, son mal-être se répercute sur sa relation avec ses enfants, avec sa fille surtout. Qui pourrait en vouloir à une mère d’être dure quand sa mère faisait de même avec elle ? Le schéma, est-il voué à la reproduction ?
Alexandra fait de la danse classique, elle contraint son corps, elle tente de le maîtriser au mieux. Se maintenir pour garder le cap indispensable à la survie de ce gynécée qui façonne tour à tour le corps de ses descendantes. Entre Limoges et Toulon, entre un milieu pauvre et un autre plutôt aisé, la petite, puis bientôt l’adulte Alexandra est écartelée. C’est finalement ce qui construit tout un chacun, ces déséquilibres, ces problématiques familiales, ils ont un impact radical sur les personnes en devenir que nous sommes.
Il est parfois difficile de choisir le drame à la comédie, le chant à la danse - ici tout y est et tout y est justement dosé.
D’Alexandra Cismondi et Emilie Vandenameele
Théâtre du Train Bleu à 22h30
Et puis deux autres pépites féministes récoltées au festival OFF d'Avignon :