Fusion et inclusion

Festival d'Essaouira : le gnaoua se joue désormais au féminin, entre émancipation et transmission

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Abir El Abed

Abir El Abed sur la scène du 26e Festival gnaoua et musiques du monde d'Essaouira, un des visages du renouveau de cette musique traditionnelle, longtemps réservée aux hommes. 

© Maud Ninauve
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La musique gnaoua n'est plus réservée qu'aux seuls hommes ... Sur la scène du 26e Festival Gnaoua et Musiques du Monde d'Essaouira, des chanteuses et musiciennes réinventent cet art traditionnellement masculin. Notre correspondante au Maroc, Maud Ninauve est allée à la rencontre de femmes aux voix puissantes, déterminées à changer les codes pour un gnaoua moderne et inclusif.

Reconnu par l’UNESCO en 2019, le gnaoua est à la fois une musique spirituelle et une communauté subsaharienne au Maroc. Petit à petit, à la force de leur voix et de leur conviction, des musiciennes réussissent à s'imposer dans cet art traditionnellement réservé aux hommes. Pour sa 26e édition, le festival Gnaoua et Musiques du monde d'Essaouira a décidé de mettre en lumière des artistes féminines jouant la carte de la fusion des genres, pour le plus grand bonheur d'un public averti ou non. 

Les femmes sont puissantes, elles sont fortes, vous êtes puissantes vous êtes fortes ! Kya Loum, chanteuse sénégalaise

Blues, rock, Soul, jazz, Kya Loum chante en trois langues. "La musique a ce pouvoir. Parce que dire les choses avec amour, ça peut parfois être des choses dures", confie la chanteuse sénégalaise avec un large sourire. Au Sénégal, dit-elle, sœurs, mères, amies, ne peuvent pas toujours faire ce qu’elles veulent. Alors Kya Loum s’en fait la porte-voix voix, douce et forte. "Les femmes sont puissantes, elles sont fortes, vous êtes puissantes vous êtes fortes ! Allez exprimer votre moi intérieur vous avez le droit ! C’est tout !", lance-t-elle, avec force et conviction. 

Aussi simple que sa rencontre avec Abir El Abed. Sans filtre, la chanteuse marocaine originaire de Tanger l'affirme haut et fort : "Si j’ai envie de dire quelque chose, si je vois qu'il faut le dire, je le fais, je le dis et je l’assume aussi". Assumée aussi, sa coiffure à la garçonne avec laquelle elle est apparue sur scène. Ce qui a suscité des réactions chez certains. Mais la hauteur artistique de la prestation de la chanteuse a vite fait dégonfler le début de polémique lié à ses cheveux courts, un stylecertes peu commun chez les chanteuses du Maghreb, mais conséquence d'une maladie, comme elle l'a elle-même expliqué aux journalistes. 

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Quand j’ai commencé au conservatoire, ils m’ont toujours dit, 'tu chantes comme un petit jeune homme' Abir El Abed, chanteuse marocaine

Dans la musique andalouse, il n'y avait pas beaucoup de femmes dans l’histoire, rappelle-t-elle. "Quand j’ai commencé au conservatoire, ils m’ont toujours dit, 'tu chantes comme un petit jeune homme', ils ne veulent pas avouer que je suis une femme qui peut interpréter un répertoire qui a été toujours interprété par tes hommes. A travers le temps, les gens commencent à accepter que tu es bien dans ce que tu fais donc : t’auras ta place !"

Faire sa place

C'est en puisant dans ses racines de griotte que Rokia Koné, elle, a pris sa place. Venue de Ségou et surnommée "la Rose de Bamako", elle a connu un succès mondial avec son titre Bamanan, dans lequel elle marie racines mandingues et influences modernes. 

Je parle de l'éducation des femmes, des droits des femmes et surtout les violences faites au femmes. Rokia Koné, chanteuse malienne

La chanteuse malienne est engagée dans l’égalité des genres. "Je parle de l'éducation des femmes, des droits des femmes et surtout les violences faites au femmes. En fait, mes chansons sont consacrées à la promotion des intérêts de la femme", insiste-t-elle.

Un renouveau gnaoui

Sur la scène du festival d’Essaouira, Rokia Koné fusionne avec Asmaa Hamzaoui, artiste marocaine, pionnière dans le monde masculin des Maitres Gnawa. Fille du Maâlem Rachid Hamzaoui, Asmaa Hamzaoui a su, avec talent ouvrir un espace féminin dans une tradition longtemps masculine. 

Ouvrir la voie à d’autres femmes pour jouer la musique tagnaouite (Gnaoua). Ça été difficile, mais je suis contente de les voir aujourd’hui, contente surtout de les voir jouer du guembri car cet instrument a toujours été considéré comme réservé aux hommes. Asmaa Hamzaoui, musicienne et chanteuse gnaoua

Avec son groupe Bnat Timbouktou, elle réinvente la tagnaouite au féminin, abordant des thèmes profonds comme l’exil, les racines et la mémoire. Sa voix grave, son jeu de guembri assuré et sa présence scénique en font une figure majeure du renouveau gnaoui. S'imposant avec détermination, elle a ouvert la voie à d’autres musiciennes comme elles. "C’était le but primordial : ouvrir la voie à d’autres femmes pour jouer la musique tagnaouite (Gnaoua). Ça été difficile, mais je suis contente de les voir aujourd’hui, contente surtout de les voir jouer du guembri car cet instrument a toujours été considéré comme réservé aux hommes. Désormais, la tagnaouite n’a pas de genre. Elle peut être féminin comme masculin et j’en suis fière.", s'enorgueillit-elle. 

Comme elle, les nouvelles artistes gnaoua ont fait de la musique, le meilleur moyen de s’affirmer librement.

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