Fil d'Ariane
Qui pense littérature canadienne pense d'abord à Margaret Atwood et à sa Servante écarlate, qui a fait le tour du monde, ou encore Mazo de la Roche, qui signa l’immortelle saga des Jalna, récemment rééditée. Des autrices canadiennes, certes, mais pas francophones... Les oeuvres de femmes telles que Laure Conan, Louky Bersianik, Kim Thúy, Daphné B, Brigitte Pilote ou Antonine Maillet - autrices de renom au Canada - restent, en France, terra incognita, alors qu'elles ont écrit en français.
"A l’image de toute la culture québécoise, la littérature canadienne francophone se protège, avant tout des influences états-uniennes, et elle ne s’exporte pas," pense Marie-Eve Lacasse, autrice canadienne installée en France depuis vingt ans. Caitlin Workman, directrice du Centre culturel canadien en France, a aussi sa petite idée sur la question : "La France a une culture si dense et riche en littérature qu’il n’y a pas toujours de place pour les autres, dit-elle avec gentillesse, se félicitant de ce "festival qui met à l’honneur des écrivaines qui font vivre leur culture, leur vie, et qui montrent aussi, avec un regard intimiste, un autre Canada que celui des grandes villes du Québec."
À l'occasion de la 9e édition Canadiennes & Québécoises du Festival international des écrits de femmes, quels livres d'autrices canadiennes dans le domaine public disponibles gratuitement sur @wikisource_fr ? ➡️ https://t.co/ZbI3v0sBR5
— Le deuxième texte (@Georgele2etexte) October 16, 2021
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L'édition 2021 du "Festival international des écrits de femmes", le "Fief" s'est tenu les 16 et 17 octobre 2021 à la maison de Colette, à Saint-Sauveur-en-Puisaye, aux portes de la Bourgogne, à l'occasion du jumelage entre la maison de Colette, en France, et la maison de Gabrielle Roy, au Canada. Deux jours durant, autrices, traductrices, poétesses et expertes ont fait connaître avec passion et érudition des femmes et leurs oeuvres méconnues en France.
"Les écrivaines canadiennes sont toutes un peu des pionnières, pour Caitlin Workman. Nous sommes un pays très jeune par rapport à la France, qui a une histoire culturelle et littéraire très moderne du simple fait que nous n’avons que 153 ans. Il y émerge des idées sur le féminisme, sur l’exploration du territoire, de soi, de la vie, qui font l’unicité de la littérature canadienne et de toute l’œuvre qu’elle génère d’est en ouest." Kim Thúy, par exemple, écrivaine d’origine vietnamienne établie au Québec, raconte, en français, son périple depuis le Vietnam pour arriver au Canada et sa vie en exil "de façon très poétique avec un usage sublime des mots, du langage et de la métaphore," souligne Caitlin Workman. Pour cette jeune Canadienne qui a grandi en France, Colette, aussi, est une pionnière : "Elle a inspiré beaucoup d’écrivaines canadiennes, en défrichant le chemin pour les féministes et tant d’autres autrices, jusqu'au Canada."
Côté pionnières, on pense d'abord à Gabrielle Roy. Comme la Française Colette, cette autrice canadienne issue de la communauté francophone du Manitoba anglophone vécut en femme libre et indépendante, voyageant et explorant des territoires littéraires encore en friche au Québec – le musée Colette propose d'ailleurs une exposition mettant en parallèle les vies des deux écrivaines, et qui a inspiré le thème de cette 9ème édition du Fief.
Autrice, traductrice et professeure à l’université de Montréal, Lori Saint-Martin est fascinée par ces écrivaines qui sont parties à la conquête d'autres horizons pour fuir leur milieu – souvent leur famille et encore plus souvent leur mère – et qui y sont revenues bien plus tard via l'écriture. Elle recommande aux lectrices qui aiment les écrits de Colette sur sa mère, Sido, et sur son rapport au départ et aux retrouvailles par l’écriture, de lire Gabrielle Roy.
"Dans les années 1950 et 1960, Gabrielle Roy a écrit sur son 'devenir jeune femme', sur sa mère qu’elle adorait et qui lui disait de vivre sa vie, explique Lori Saint-Martin. Mais Gabrielle Roy a décidé qu’elle ne pouvait pas vivre sa vie comme sa mère le voulait. Alors elle est partie, elle s’est éloignée. Et puis sa mère est morte et elle renoue avec elle dans l’écriture, avec des écrits d’une beauté et d’une nostalgie extraordinaire."
Surmonter la rupture par l’écriture, c’est aussi ce qu’a vécu Marie-Eve Lacasse, autrice québécoise installée en France depuis vingt ans. Dans Autobiographie de l'étranger, elle dissèque sa rupture avec les siens et l'exil en France, qu’elle voulait "pour toujours", avec son cortège de mauvaises raisons et de négations voulues de son origine – gommer un accent, changer de vocabulaire.
Depuis la parution de son livre, en 2020, les liens avec les siens, peu à peu, se renouent, témoigne-t-elle.
Trois ans auparavant, l'autrice s’était intéressée à Peggy Rose, qui fut la compagne de l’écrivaine française Françoise Sagan.
"Il n’y a pas que les hommes qui gardent dans l’ombre une muse qu'ils n'assument pas," remarque-t-elle avec un demi-sourire. Son roman Peggy dans les phares a été remarqué et primé en France comme au Canada.
Weekend rempli d’émotion en compagnie de merveilleuses écrivaines à la découverte des créatrices pionnières et féministes de mon pays. Bravo @maison_colette pour un 9e festival @ecritsdefemmes pour cette belle réussite et merci d’avoir choisi d’honorer les canadiennes! pic.twitter.com/uB1gULZTsK
— Caitlin Workman (@Caitworkman) October 17, 2021
C’est avec sa langue, ses traditions et sa culture ancestrale que la poétesse innue Joséphine Bacon a renoué grâce à l’écriture. Entrée au pensionnat catholique de Maliotenam, au Québec, à l'âge de 5 ans, elle en est sortie à 19 ans. Encadrée par des religieuses, elle a appris à lire et à écrire le français, loin de la vie nomade de ses ancêtres.
Dans les années 1990, désormais "lettrée", Joséphine Bacon est affectée par le département des Affaires indiennes auprès d’une anthropologue, Sylvie Vincent, pour l’assister dans ses recherches sur les Premières nations. "A l’époque, les ecclésiastiques et les anthropologues étaient les seuls à s’intéresser à la culture innue, se souvient la poétesse, aujourd'hui âgée de 74 ans. Pour elle, j’enregistrais les récits des anciens sur cassettes, je retranscrivais leurs paroles, puis je les traduisais."
Alors Joséphine Bacon réapprend les mots des nomades qu'elle avait oubliés pendant ses années de pensionnat. Elle réapprend la langue des anciens.
Aujourd'hui, elle enseigne l'innu et c’est en innu qu’elle écrit ses poèmes : "J’écris pour les aînés, pour qu’ils puissent lire leur vie en mots simples. Pour que les générations qui viennent n’oublient pas que leurs ancêtres étaient des gens qui marchaient, qui n’avaient pas besoin d’écrire parce qu’ils racontaient. Pour que leurs mots vivent."
Jeanne Mathieu-Lessard, chercheuse à l’université de Montréal, s'est penchée sur la présence des femmes dans les anthologies de l’humour de la littérature francophone. L’Euguélionne, de Louky Bersianik, l’un des premiers romans féministes de l’histoire du Québec, joue déjà sur les ressorts de l’ironie et de la parodie.
Lire l’Euguélionne, de Louky Bersianik (Lucile Durand). Bible du féminisme au Québec (qui a donné son nom à @librairiefemmtl) Merci à Jeanne Mathieu-Lessard ! Excellente. Festival international des écrits de femme.@ML_jeanne pic.twitter.com/AIhOYdD2NI
— encyclo des femmes (@encycloDfemmes) October 16, 2021
"Les femmes sont là depuis longtemps, témoigne la jeune chercheuse. Chroniqueuses et chanteuses au début du XXe siècle. Critiques jouant sur l’ironie dans les années 1960, puis au théâtre dans les années 1970, dans le roman, la poésie et la BD dans les années 1990. Et avec le nouveau siècle, les blogueuses, les autrices de webséries, les performeuses."
Le premier diplôme d’humour du monde, créé en 1988, est dû à une femme, Louise Richer, fondatrice de l’Ecole nationale de l’humour de Montréal. Depuis, note Jeanne Mathieu-Lessard, dans toutes les autres institutions québécoises qui travaillent sur l’humour des femmes, les postes de responsabilité sont occupées par des femmes. "Or cela ne se reflète pas dans les connaissances, déplore la chercheuse. Les textes féminins humoristiques restent peu lus, peu connus."
(Re)lire aussi dans Terriennes :
► "La Servante écarlate", la série qui dérange l'Amérique de Donald Trump
► "Margaret Atwood, ou la force des mots", portrait intime de l'auteure de "La servante écarlate"
► L'écrivaine Gabrielle Roy, "miroir" de Gabrielle Colette au Canada
► Ecrits de femmes : dramaturges chez Colette pour dire les mots et maux du théâtre