Festival Un Temps pour Elles : pour que les compositrices ne soient plus les oubliées de l'histoire musicale

Qui connait le nom d'une compositrice ? C'est justement pour réparer cette injustice historique et réhabiliter ces musiciennes de grand talent que le festival Un temps pour Elles revient enchanter notre été pour sa troisième édition. Au programme, seize concerts organisés dans des lieux prestigieux du Val D'Oise, en région parisienne, à suivre également sur les réseaux sociaux. Un incroyable matrimoine musical à partager sans modération. 
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maubuisson ouverture
©IM
Les soeurs Deborah et Sarah Nemtanu au violon, et Bertrand Chamayou au piano, interprètent des oeuvres de trois compositrices Rebecca Clarke (1886-1979), Nadia Boulanger (1887-1979), et Grazyna Bacewicz (1909-1969), lors de la soirée d'ouverture du 3e festival Un Temps Pour Elles. 
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concert champs elysées
©Jean Fleuriot 
Le festival Un Temps pour Elles revient pour sa troisième édition dans le Val d'Oise, ici (de gauche à droite) Célia Oneto Bensaid, Elsa Dreisig, Héloïse Luzzati lors de la soirée exceptionnelle sur la scène du Théatre de Champs Elysées, à Paris, le 9 mars 2022, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes. 
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photo couverture
©Lorène Gaydon
Pour sa troisième édition, du 10 juin au 10 juillet 2022, le festival de musique Un Temps pour Elles nous fait découvrir des musiciennes et compositrices oubliées, dans des lieux historiques du Val-d'Oise, histoire de faire rimer matrimoine historique et matrimoine musical. 
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Pour sa troisième édition, le festival français Un Temps pour Elles résonne de nouveau et nous propose 16 concerts le long d'un parcours à travers le Val-d'Oise, un territoire riche de lieux patrimoniaux, pour ne pas dire "matrimoniaux" !

Ce festival met à l'honneur des compositrices oubliées, mais également de grandes femmes de l’histoire qui ont forgé et inspiré des lieux emblématiques. Ainsi le chemin des musiciens et du public croisera celui de Blanche de Castille aux abbayes de Royaumont et de Maubuisson, dont elle est la fondatrice, mais également au Château de la Roche Guyon, le théâtre du Casino d’Enghien, le Domaine de Villarceaux et l’Eglise de Luzarches.
 
Nous souhaitons mettre en valeur les compositrices et créatrices du passé, mais également la création contemporaine pour créer, justement, ces modèles.
Héloïse Luzzati, violoncelliste et directrice du festival Un Temps pour Elles
"En proposant des contenus artistiques et musicaux à destination des jeunes générations, nous souhaitons mettre en valeur les compositrices et créatrices du passé, mais également la création contemporaine pour créer, justement, ces modèles", explique Héloïse Luzzati, la fondatrice d'Un Temps pour Elles.
 

Cette nouvelle édition propose entre autres, un périple à travers les grandes oeuvres pour piano, certaines connues et d’autres totalement inédites, une journée en triptyque autour des couleurs au château de la Roche-Guyon, un week-end consacré à la musique vocale avec cordes frottées ou pincées au Domaine de Villarceaux et plusieurs temps forts comme le concert d’ouverture qui met en regard trois grandes compositrices du XXème siècle: Rebecca Clarke, Nadia Boulanger et Grażyna Bacewicz interprétées par Lise Berthaud, Bertrand Chamayou, Victor Julien-Laferrière, Sarah et Déborah Nemtanu.
Temps fort également, le concert de Renaud Capuçon et Guillaume Bellom au théâtre du Casino d’Enghien le 6 juillet dans un programme français d’oeuvres écrites dans les années 1920 de Mel Bonis, Marguerite Canal et Charlotte Sohy.

À l’occasion de la sortie du premier opus du label discographique «La Boîte à Pépites», développé par l’association Elles-women composers, comme le festival Un Temps pour Elles, c'est aussi l'occasion de (re)découvrir la vie et l’oeuvre de Charlotte Sohy à travers un dessin animé réalisé par Lorène Gaydon et Héloïse Luzzati à l’occasion du week-end de clôture le 9 juillet au Domaine de Villarceaux. Ce concert dessiné mêle avec poésie moments de vie, musique et illustrations.
 
 
En guise d'amuse bouche de haute volée, le festival a organisé le 9 mars dernier un concert exceptionnel sur la scène du Théatre des Champs Elysées ►
un temps pour elle concert
©Frantz Vaillant

Les "Trobairitz" du Moyen Âge

Présentes dès le Moyen Âge, où elles se nomment "trobairitz" (équivalent féminin du troubadour), les femmes qui composent de la musique ont toujours existé. Malgré cela, elles occupent une part infime dans l’histoire de la musique officielle et aujourd’hui, à peine 4% des œuvres musicales programmées en concert sont écrites par des compositrices. Elles ont été et restent largement invisibilisées. Pour justifier cette invisibilité, un argument récurrent : si ces compositrices ne sont pas passées à la postérité c’est qu’elles n’ont pas créé de chefs-d’œuvre…

"Contribuer à réparer cette injustice est l’une des missions du festival Un temps pour Elles. Faire découvrir et entendre des œuvres, pour beaucoup inédites, éveiller la curiosité et l’intérêt du public face à un répertoire trop peu connu. Notre mission tout au long de l’année réside dans l’élargissement du corpus d’œuvres connues des compositrices ; pour ce faire, nous déchiffrons constamment des œuvres inédites à l’enregistrement, manuscrits ou premières éditions, et ainsi se dessine l’envie et la nécessité de programmer ces œuvres et d’en faire profiter un public le plus large possible," précise encore la directrice artistique du festival, violoncelliste.  
 
 

Le 25 juin 2021, à l'abbaye de Maubuisson, ce sont dix femmes de légende qui se sont retrouvées mises à l'honneur. Ces dix compositrices ont toutes pour point commun d’avoir écrit pour la voix. Ce programme mêlant musique vocale et musique instrumentale est une re-création du trio de Charlotte Sohy, rendue possible par le travail de son petit-fils François-Henri Labey, et en présence des artistes Elsa Dreisig, soprano, Nikola Nikolov, violon, Celia Oneto Bensaid, piano, et Xavier Phillips, violoncelle.

 
J’ai une idée si haute de mon art que toute ma joie est de lui vouer ma vie sans espérer autre chose que de vivre par lui et pour lui.
Marie Jaëll, pianiste, compositrice
marie Jaëll
Marie Jaëll se consacra de manière originale à l'étude de la technique pianistique : elle se livra à une analyse très poussée du toucher et proposa une méthode d'enseignement du piano toujours pratiquée : Le toucher : enseignement du piano basé sur la physiologie (1899).
©wikipedia

"Apprendre à composer, une passion qui ne me quitte jamais. Je me réveille le matin avec elle, je m’endors avec elle le soir. J’ai une idée si haute de mon art que toute ma joie est de lui vouer ma vie sans espérer autre chose que de vivre par lui et pour lui", ces mots sont ceux de la pianiste virtuose Marie Jaëll (1846-1925). Sa version pour quatuor avec piano du quatuor en sol mineur était jusqu’à aujourd’hui inédite. "Le manuscrit, particulièrement difficile à lire, a fait l’objet d’une commande du festival à Julien Giraudet. À la jonction entre le XIXème et le XXème siècle, ce programme parcourt la France, l’Allemagne et la Croatie à travers le répertoire pour quatuor avec piano", indique la directrice du festival.

"Un nom d’homme, et vos partitions seraient sur tous les pianos", voilà ce que lui dit Franz Liszt, alors qu'elle n'était encore que l’une de ses disciples. Malgré ce conseil avisé, Marie Jaëll, qui fut aussi l'élève de Camille Saint-Saëns et qui obtint le premier Prix au Conservatoire de Paris en 1862, conservera son identité féminine pour signer ses œuvres. Elle compose de nombreux morceaux de musique qu'elle présente à la Société nationale de Paris et s'impose parmi une société de compositeurs très largement masculine. On lui doit aussi une méthode d'apprentissage du piano par le toucher, toujours pratiquée aujourd'hui. 

"Entendre chaque jour, à chaque pas de votre vie, les seigneurs de la création vous jeter sans cesse à la face votre misérable nature féminine serait propre à vous mettre en rage et à vous monter contre la féminité", écrivait de son côté Fanny Mendelssohn (née à Hambourg, 1805-1847) face à l’injustice de sa condition féminine. Musicienne talentueuse, Fanny Mendelssohn-Hensel aurait certainement été une des figures les plus marquantes du romantisme allemand, si elle avait été un homme... Car si Félix Mendelssohn, son frère, fut soutenu, encouragé, et sa musique connue grâce à l’appui de son père, Fanny, elle, fut muselée et continuellement ramenée au fait d’être femme. Elle n’en compose pas moins toute sa vie sans chercher à être éditée, ce que son frère lui interdit formellement, jusqu’aux dernières années de sa vie. 

femmes de légende festival
©Un Temps pour Elles

Bien avant Jean de La Fontaine, "Marie de France"

marie de france
Enluminure représentant Marie écrivant son ysopet et réalisée par "Le Maître de Papeleu" vers 1290.
©wikipedia
Cinq cents ans avant l’illustre La Fontaine, Marie de France écrit de magnifiques fables animalières inspirée d’Ésope. Une écriture sans concession, vive et acérée. Une plongée dans les poumons de la forêt de Brocéliande : ici se jouent des saynètes de faunes explorant les chemins de vie que peut prendre l’existence humaine. Chaque animal, chaque fable devient guide, offrant aux humains des leçons de vie, de morale et de sagesse politique pour mener à bien leur passage dans cette forêt mystérieuse, parfois inquiétante, sauvage ou civilisée qu’est la vie en société.

Première femme fabuliste, Marie – surnommée "de France" lors de sa redécouverte à la Renaissance – accorde souvent dans ses fables une place inhabituelle à la parole féminine. Celles-ci comptent parmi les plus belles réussites narratives et poétiques du XIIème siècle. Avec la contribution musicale et complice d’Isabelle Olivier, Aurore Evain met en scène l’illustre talent de cette grande autrice injustement oubliée par l’histoire.

Musique et cinéma au féminin

isabelle olivier
Isabelle Olivier, harpiste et compositrice. 
©site officiel/Isabelle Olivier
A l'instar du répertoire classique et lyrique, dans le domaine de la musique de cinéma, les femmes sont bien moins connues que les hommes. Elles n'en sont pourtant pas absentes. Après avoir recherché et visionné la filmographie d’Alice Guy, la musicienne de renom Isabelle Olivier a l’idée de créer un ciné concert en hommage aux pionnières du cinéma injustement oubliées. Compositrice évoluant aux frontières du jazz, des musiques celtiques et actuelles, elle est sollicitée dans le monde du cinéma et du spectacle vivant.

Elle a notamment composé les musiques de cinq films, dont L’Esquive d’Abdellatif Kechiche, et quatre autres signés Agnès Varda -pionnière s'il en est du cinéma contemporain- avec laquelle elle a eu la chance de collaborer à plusieurs reprises. Isabelle Olivier nous propose un programme éclectique, accessible à toutes et à tous, fondé sur une recherche sonore particulièrement élaborée entre acoustique et électronique. 
 

La dynastie Viardot

Un Temps pour Elles a aussi voulu célébrer le bicentenaire de Pauline Viardot (1821-1910), une grande mezzo-soprano, qui fut bien plus qu'une "femme de salon" mais une vraie créatrice de musique, comme le fut sa fille après elle. Son œuvre de compositrice comprend des dizaines de pièces vocales ou instrumentales, de nombreuses transcriptions, trois opéras de chambre, une cantate patriotique. Elle publie aussi une méthode pour voix de femme intitulée Ecole classique du chant. Camille Saint-Saëns dira : "Je ne sais comment elle avait appris les secrets de la composition ; sauf le maniement de l’orchestre, elle les connaissait tous, et les nombreux lieder qu’elle a écrits sur des textes français, allemands et espagnols, témoignent d’une plume impeccable. Au rebours des compositeurs qui n’ont rien de plus pressé que d’exhiber leurs produits, elle s’en cachait comme d’une faute ; il était difficile d’obtenir qu’elle les fit entendre ; les moindres, cependant, lui eussent fait honneur".