Festivals d'été contre les violences sexistes et sexuelles

Alors que la saison des festivals bat son plein, ambiance festive, alcool et déshinibition peuvent dégénérer en tensions et comportements agressifs. Contre les violences sexistes et sexuelles, les organisateurs déploient des dispositifs de prévention et de prise en charge. Avec quelle efficacité ?

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Non c'est non

Capture d'écran d'un clip sur la prévention des violences sexuelles et sexistes au festival des Vieilles Charrues dans le Finistère, en Bretagne.

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Il peut s’agir de paroles moqueuses ou blessantes, d'injures ou d’attitudes irrespectueuses, de gestes abusifs, d’agressions ou tout autre acte "portant atteinte à l’intégrité physique ou psychologique d'une personne en raison de son genre ou de son orientation sexuelle", selon la définition retenue par l'institut Gece, chargé de faire le bilan des dispositifs mis en place sur trois festivals d'été pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles.

Dans le sillage de #Metoo

"A partir de 2018, les femmes ont pris la parole sur les sujets de violences sexistes et sexuelles, ce qui a donné une forte impulsion à la prévention des 'vss' sur les festivals, précise Allegra Trichard, directrice et cheffe de projet pour le festival Les Plages Électroniques. Petit à petit, les institutions nous ont suivis, notamment les régions, le Centre national de la musique, mais aussi les associations et les collectifs. Les formations ont commencé en 2019 pour réfléchir aux interventions possibles pour rendre les festivals plus sûrs." 

Les années covid ont mis un coup d'arrêt au déploiement de l'arsenal de moyens de gestion et de prévention des vss. Après la reprise pleine et entière des festivals en 2022, 2023 est l'année du bilan et des perspectives. 

"Un festival, c’est une microsociété, temporaire. Tout ce qu’on retrouve dans la vie, on le retrouve dans ce milieu-là, de manière exacerbée, c’est sociétal. C’est le reflet de la vie," résument Nathalie et Carole, respectivement fondatrice et secrétaire générale de l’association La Lanterne d'aide aux femmes victimes de violences, sur le site du quotidien Ouest-France.
 

L'arsenal anti "vss" : bilan 2023

Applications d’alerte, stands de sensibilisation, espace d’accueil (Safer zones) pour les victimes potentielles, campagnes d’affichage, formations pour équipes de sécurité, collaboration avec des professionnels sont autant d'outils déployés contre les violences sexistes et sexuelles dans de nombreux festivals, en France et ailleurs, suite à la mobilisation de victimes et associations. 

En mai 2023, l’institut d’études et de sondages Gece a publié ses résultats et organisé un webinaire pour dresser le bilan sur trois festivals. Menée à l’été 2022, alors que les dispositifs étaient le plus complet, l'étude synthétise les réponses de 1 251 festivalières et festivaliers représentatifs de Marsatac, 9 335 des Vieilles Charrues et 2 241 aux Plages Électroniques (sur ces trois festivals, le public est en moyenne majoritairement jeune et féminin).

Quel sentiment d’insécurité ?

Plus de 9 personnes sur dix disent s’être senties en sécurité pendant le festival auquel elles prenaient part, et la plupart sans discontinuer. Pour ceux – et celles, plus nombreuses que les hommes – qui ont ressenti de l'insécurité (2 à 4% seulement des festivaliers), c’est surtout devant la scène, plus qu'au bar, que cette sensation semble avoir été la plus vive. Elle est principalement due aux mouvements de foule, à la présence de personnes en état d’ivresse et, dans une moindre mesure, à la peur des piqûres.

L’étude Gece révèle en outre qu’en moyenne, environ 3 % des festivaliers ou l'un de leurs proches ont subi des violences sexistes et sexuelles pendant le festival. "En majorité des injures, du harcèlement et quelques attouchements qui visent principalement les femmes," précise Olivier Allouard, directeur de l’institut d’études et de sondages.

"Safer"

L'application Safer permet de déclencher l'intervention d'un binôme de médiateurs auprès d'une victime géolocalisée grâce à son portable. L'un s'occupe de la potentielle victime, l'autre tente de raisonner le gêneur. 92 % des personnes qui connaissent l’application trouvent qu’elle permet de se sentir plus en sécurité et qu’elle donne une bonne image du festival. "L'année dernière, l'application a recensé une trentaine d'alertes pour 2800 téléchargements sur notre festival," précise Marion Bergé-Lefranc, chargée de production pour Marsatac.

L'utilisation de l'appli reste toutefois tributaire des problèmes de réseaux et de connexions. "Et puis nombreux sont ceux qui ont plutot le réflexe d"aller voir une personne physique lorsqu'ils sont témoins ou victimes, plutôt qu'utiliser l'application, qui n'est pas toujours téléchargée en amont," précise Olivier Allouard, le directeur de l’institut Gece. En 2022, l'application Safer a, en tout, été téléchargée 27 000 fois et a servi à 401 signalements – soit autant qu'il en a été fait directement sur les stands ou auprès des maraudeurs.
Appli safer
Au-delà de l'application Safer, l'association du même nom accompagne les organisateurs dans la prévention des 'vss', avec deux heures de MOOC sur son site Internet, entre autres ressources et contenus d'aide à la préparation des festivals. Sur place (festivals et campings voisins), des stands de sensibilisation reçoivent aussi bien les festivaliers en quête d'échange que des témoins ou victimes. 
La Safer zone est tenue par une psychologue, une juriste et des membres d'association pour accueillir les personnes en détresse. 
Allegra Trichard
 
La Safer zone rassemble bénévoles et professionnels de l'écoute afin d'accompagner les victimes, et de les guider vers un suivi après le festival si nécessaire. "La Safer zone est installée dans un endroit un peu reculé, un peu plus au calme. Elle est tenue par une psychologue, une juriste et des membres d'association pour accueillir les personnes en détresse ou celles qui veulent simplement échanger", explique Allegra Trichard. De fait, les espaces Safer sont sciemment établis à l'abri de l'agitation festive – parfois un peu trop, admettent les personnes interrogées, qui les trouvent trop peu visibles pour être mises en valeur.
 
Aux Vieilles Charrues, deux stands tenus par une cinquantaine de bénévoles précédaient des Safer zones placées en retrait : "Notre premier stand dédié à la sensibilisation du public et au recueil de la parole des victimes remonte à 2019, se souvient Claire Malard, responsable communication pour le festival Les Vieilles Charrues. A l'époque, les personnes formées étaient rares, encore, et les bénévoles manquaient. Le stand avait donc encore une amplitude horaire réduite." Ce n'est qu'en 2022 que le festival a pu systématiser la prévention et la gestion des violences sexuelles et sexistes.
 

Au-delà des points d'accueil fixes que sont les stands de sensibilisation et les Safer zones, indiqués par des panneaux de signalétique, des bandeaux sur écrans géants et des totems d'information font passer les messages. Enfin, des maraudeurs et des "trust people" (personnes de confiance) identifiables à leur chasuble de couleur vive, sillonnent le festival. "Ils observent pour éventuellement détecter un problème et sont a la disposition des festivaliers et festivalières qui voudraient signaler un comportement non adéquat. Ils peuvent déclencher des protocoles de sécurité, puis les situations sont gérées au cas par cas," explique Allegra Trichard. 

Qui connaît Safer ?

Les participant.e.s sont en général au courant de l’existence des dispositifs mis en place sur les festivals pour lutter contre les vss : c’est le cas de 65 % des personnes interrogées à Marsatac, de 77 % aux Vieilles Charrues et de 66 % aux Plages Électroniques. "Partout, plus on est jeune, plus on reste longtemps, plus on est une femme, plus on a entendu parler des dispositifs de prévention, à commencer par la Safer zone,' précise Olivier Allouard.

En général, c’est par le biais du festival lui-même que les participant.e.s ont entendu parler des dispositifs de prévention. En amont via les réseaux sociaux, les lettres d'information et le site Internet. Sur place grâce aux messages sur écran géant et autres stands d'information.

Ce qui fonctionne encore le mieux, c'est d'aller à la rencontre des festivaliers et des festivalières à leur arrivée. 
Marion Bergé-Lefranc

En matière d'information, précise Marion Bergé-Lefranc, chargée de production pour le festival Marsatac, "ce qui fonctionne encore le mieux, c'est d'aller à la rencontre des festivaliers et des festivalières à leur arrivée".

Au bout du compte, peu de festivaliers ont utilisé les dispositifs mis en place ; seulement 6 % des festivaliers des Vieilles Charrues et des Plages Electroniques sont allés dans la Safer zone, et moins de 1 % ont interpelé un maraudeur de vigilance et de sécurité. Le cas échéant, c'était surtout pour s'informer ou pour trouver un couvercle afin de protéger leurs boissons de l'ajout de GHB, par exemple. Les signalements de comportement abusif restent marginaux, selon l'institut Gece. Une bonne nouvelle au regard du pouvoir dissuassif des dispositifs de lutte contre les vss...

Agathe Brunel, chargée de diffusion et de production de contenus pour l’association SAFER, elle, voit plus loin : "Après des débuts en 2019, 2021 a été l'année des tests, puis 2022 le premier déploiement officiel. 2023 est l'année de l'ouverture sur les soirées étudiantes ou d'entreprises, et les événements sportifs".