Fil d'Ariane
Petit rappel historique. A qui doit-on la Fête des mères ? Dans l'Antiquité, les Grecs célébrèrent en leur temps la mère du Dieu Zeus. Puis, il y eut le Mother's day, créé aux Etats-Unis, en 1908, par une institutrice, Anna Jarvis, qui souhaita ainsi rendre hommage à sa mère qui soigna les soldats, blessés sur le front de la guerre de Sécession, nordistes comme sudistes.
En France, c'est pour saluer le courage des mères ayant perdu un fils sur le front de la Grande Guerre qu'un jour leur est dédié, pérénisé ensuite sous l'impulsion du maréchal Pétain, cette fois pour encourager la politique nataliste de la République. Une célébration matriarcale orchestrée par le patriarcat donc. Ode à la maternité, à la sacro-sainte famille, la famille nucléaire classique, avec aux manettes, à l'ombre du foyer, au chaud dans la cuisine, la mère, la - toute puissante ou pas - maitresse de maison.
Un siècle plus tard, on célèbre toujours les mamans un dimanche de fin mai, à coup de colliers de nouilles, de bouquets de fleurs et de promotions commerciales, - 20 % pour un spa, -50% pour un pendentif en forme de coeur, etc, etc...
La figure maternelle a pourtant bien évolué au cours des siècles. Les révolutions passent, la contraception accorde aux femmes le choix d'enfanter ou non, mais le statut sacré de la procréatrice reste, résiste, comme un tabou inattaquable, ou presque.
Nous les mauvaises mères prenons plaisir à confesser nos péchés car nous savons que les mères qui s’approchent le plus de l’idéal de la Bonne Mère, celles qui se sacrifient, qui sont humbles, douces, joyeuses et infiniment patientes sont en fait les vraies mauvaises mères.
Ayelet Waldman, écrivaine
Au début des années 2000, un nouveau concept voit le jour, celui de la mauvaise mère. Incroyable, mais comment serait-ce possible ? Le tabou tremble sur son piédestal ! Cette idée à contre-courant vient, encore une fois, des Etats-Unis. A son origine, la romancière Ayelet Waldman. En 2005, elle écrit un article dans le New York Times dans lequel elle explique qu’elle aime son mari plus que ses quatre enfants, et que si son mari mourrait, ce serait pire pour elle que si un de ses enfants mourrait. Levée de boucliers dans les rangs des matronnes conservatrices. Sa prise de position lui vaut des salves d'insultes, mais aussi, revers positif de la médaille, une tribune et une exposition médiatique sans précédent. Un peu plus tard, cela donnera Bad Mother, véritable best seller, un courant qui donnera naissance à de multiples blogs, bad moms, aussi bien aux Etats-Unis qu'en Europe.
Dix ans plus tard, en 2015, l’étude Regretting Motherhood : A Sociopolitical Analysis publiée par la sociologue israélienne Orna Donath relance le débat. L'enquêtrice va poser cette simple question: "Si vous pouviez revenir en arrière dans le temps, avec la connaissance et l’expérience que vous avez aujourd’hui, seriez-vous une mère ?". Les 23 femmes interrogées, âgées de 25 à 75 ans, répondent à l'unisson, que non, elles ne le referaient pas. Etudiée, commentée, citée partout à travers le monde, cette étude provoque la polémique mais aussi une libération d'une parole enfouie. En Allemagne, le hashtag #RegrettingMotherhood fait le buzz. Orna Donath a reçu depuis des centaines, voire des milliers d'autres témoignages venant aussi bien d'Allemagne, de France, de Grande-Bretagne, du Danemark, de Suisse, d'Italie ou même d'Inde. A chaque fois, son auteure y retrouve la même "exhortation des femmes à se taire".
En ces temps de libération de la parole féminine, les mères et les non-mères ne veulent plus se taire. Quant au mythe de la mère parfaite, il a pris quelques plombs dans l'aile, pour preuve, la publication chaque année de livres qui délivrent sur le ton humoristique conseils et mantras à répéter en boucle pour se laver de toute culpabilisation.
Alors qui sont-elles ces mères du 21ème siècle et qui sont celles qui ne le sont pas, par choix ou non ? Autant de questions que pose le film choral La fête des mères de Marion-Castille Mention-Schaar, sortie sur les écrans français en 2018, et toujours d'actualité.
Il y a mille et une façons d'être mère, ou de ne pas l'être, ou de l'être mal.
Extrait du film La fête des mères
Présidente de la République, nounou, boulangère, comédienne, prof, fleuriste, journaliste ... Possessives, bienveillantes, maladroites, absentes, omniprésentes, carriéristes, culpabilisantes, la mémoire à la dérive ... La mère est bien "le héros" de ce film qui commence par cette phrase : "Il y a mille et une façons d'être mère, ou de ne pas l'être, ou de l'être mal". Chacune s'y reconnaîtra, peut-être. Rencontre avec une réalisatrice un brin provocatrice...
J'entends souvent dire que les femmes qui ne veulent pas d'enfants sont des femmes égoïstes, moi je pense qu'on est plus égoïste quand on en fait, que l'inverse.
Marie-Castille Marion-Schaar, cinéaste
Terriennes : les mères au cinéma ont souvent le second rôle, dans votre film, c'est le contraire, elles en sont les héroïnes ... C'est une ode à la mère ?
Marie-Castille Marion-Schaar : J'ai fait ce film pour d'abord justement désacraliser la mère parfaite que l'on ne sera jamais, en tout cas moi que je ne serai jamais ! Mais aussi pour parler de la mère imparfaite que j'ai eue. C'est une mosaïque de personnages, et de mères et d'enfants, pour dire que ce n'est pas simple. La charge mentale des femmes est importante. Il faut bien à un moment qu'on se dise, "ok, de toutes façons, quoiqu'on fasse ou dise, on nous reprochera toujours quelque chose", de même manière que l'on reproche la même chose à notre mère ou nos parents en général. L'essentiel est sans doute ailleurs, dans ce lien qu'il faut peut-être protéger, et faire attention au temps qui passe et à cette relation, qui est unique.
Pour moi, c'était aussi important de parler des femmes qui ne veulent pas avoir d'enfant. Aujourd'hui, il est encore compliqué pour une femme de faire ce choix-là. J'entends souvent dire que les femmes qui ne veulent pas d'enfants sont des femmes égoïstes, moi je pense qu'on est plus égoïste quand on en fait, que l'inverse. J'avais donc envie de faire parler des personnages qui faisaient ce choix-là. C'est donc une mosaïque de personnages autour de ce lien et de notre rapport à la maternité ou à la non-maternité.
Pour moi la meilleure mère possible, c'est celle qui peut faire en sorte que ses enfants deviennent des adultes et arrivent à se séparer de vous et à se construire.
Quelle serait la définition d'une mère parfaite ou bien d'une mauvaise mère ?
Marie-Castille Marion-Schaar : J'ai presque envie de dire que pour moi il n'y a ni mère parfaite, ni mauvaise mère. La maternité, c'est un saut dans le vide, dans l'inconnu. Qu'on s'y prépare, qu'on s'en réjouisse, qu'on en est peur, on ne sait jamais la mère qu'on va être. En tout cas dans ce film, je ne juge pas parce que je sais à quel point le job est difficile. Pour moi la meilleure mère possible, c'est celle qui peut faire en sorte que ses enfants deviennent des adultes et arrivent à se séparer de vous et à se construire.
Il y a encore un autre tabou, celui des mères maltraitantes, vous avez pensé l'évoquer dans ce film ?
Marie-Castille Marion-Schaar : Non, parce que c'est un sujet qui ne peut pas être traité dans un film où il y a plus de vingt personnages. Difficile de placer un tel personnage dans un film choral. Même si dans mes personnages, il y a des mères toxiques, ou vénéneuses, nocives qui laissent des traces douloureuses. La maltraitance peut être verbale, à plusieurs niveaux. Pour ce qui est d'une mère maltraitante voire meurtrière, cela devrait faire l'objet d'un film à part entière, selon moi.
L'année 2017, qui a précédé la sortie de votre film, a été celle du mouvement #MeToo et de la libération de la parole des femmes, victimes de harcèlement et violences sexuelles, et c'est arrivé par le cinéma, aux Etats-Unis. En France, l'affaire a eu moins de répercussions, ça veut dire que ça n'existe pas ?
Marie-Castille Marion-Schaar : J'ai été très surprise par ce peu de prise de paroles. Et très surprise aussi des réactions de collègues, producteurs, hommes, selon lesquels "mais non chez nous ça n'existe pas. On était tous au courant pour Weinstein, mais ici rien à voir." C'est un peu comme Tchernobyl, le nuage n'a pas franchi les frontières. Il est vrai que l'on a ici une approche différente de la sphère privée. On en parle dans les dîners, mais ça en reste là. L'affaire Strauss-Kahn a un peu changé ça, mais dans le cinéma, il y a encore cette espèce d'omerta. J'ai pour ma part rencontré des comédiennes qui m'ont raconté des histoires, des choses qui leur sont arrivées, inacceptables, des comportements humiliants, et sans parler de viols, des tentatives en tout cas, des comportements très insistants. Il y a un vrai rapport de pouvoir, de la part des producteurs ou réalisateurs. Certaines de ces comédiennes ont eu le courage de prendre la parole, et bien, au final, ça s'arrête. Pourquoi, je l'ignore. Est-ce que c'est la peur, ou la connivence des agents... Des comportements comme ça, ce n'est plus possible. Il faut absolument que l'on soit vigilant par rapport à cela et qu'on soutienne surtout celles qui en sont victimes, sinon elles n'y arriveront pas ! Il faut qu'elles soient soutenues par l'ensemble de la collectivité du cinéma, et pas seulement des femmes.
Vous-même, vous avez dû faire face à du sexisme ?
Marie-Castille Marion-Schaar : J'ai la grande chance d'être ma propre productrice, donc c'est vrai que j'ai une totale liberté. Les seules paroles qui m'ont renvoyée au fait que je suis une femme et donc pas une égale, elles sont venues de réalisateurs que je produisais. La productrice a un certain pouvoir, et il y a des hommes qui ne supportent pas ça. Après, il est vrai que dans le quotidien, lors de réunions où l'on est la seule femme, on peut entendre des paroles sexistes, mais comme dans tous les secteurs, sous forme de blagues etc...
Ce qui serait bien, ce serait que les grands festivals fassent des sélections à l'aveugle, sans savoir s'il s'agit d'un film d'une réalisatrice ou d'un réalisateur.
Chaque année, on se pose cette question à Cannes, où sont les femmes ?
Marie-Castille Marion-Schaar : C'est vrai que 3 films de réalisatrices sur 20 en compétition officielle, c'est trop peu. Moi j'aimerais qu'on fasse une enquête. Savoir si les films de femmes ne sont pas sélectionnés parce que ce sont de films de femmes. C'est tellement énorme, que l'on a du mal à le croire. Ce qui serait bien ce serait que les grands festivals, au moins une fois, fassent des sélections à l'aveugle, sans savoir s'il s'agit d'un film d'une réalisatrice ou d'un réalisateur. Peut-être qu'il y aurait le même pourcentage ? On pourrait être étonné.es par le résultat. Le problème c'est aussi qu'il n'y ait pas de sélectionneur dans les grands festivals qui soit une femme. Il n'y en a aucun. Dans les instances, les partenaires financiers, il n'y a quasi aucune femme. C'est tout de même paradoxal, les partenaires financiers de Cannes, les grandes marques de bijouterie ou de cosmétiques jouent à fond la carte glamour et se servent de l'image des femmes, mais ça s'arrête là. Encore une fois, on se sert des femmes pour vendre le festival mais c'est tout. Pourquoi n'y a-t-il pas de parité dans les comités organisateurs ? Cela changerait sans doute bien des choses. S'il faut passer par des quotas pour que ça change, et bien malheureusement faisons le. Mais avant cela, ce serait intéressant de faire une expérience de visionnage anonyme, mais je ne suis pas sûre que les sélectionneurs se plient à ce test, car ça risquerait d'être très surprenant.